Colonel Jean Bertrand Bocandé : le «paquetage» sera bientôt un vieux souvenir à Rebeuss

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Directeur général de l’Administration pénitentiaire, le Colonel Jean Bertrand Bocandé revient, dans cet entretien exclusif accordé à «L’Observateur», sur les mesures de sécurité et d’hygiène dans nos prisons, en cette période marquée par le Covid-19. À bâton rompu et sans détour, le patron des matons s’est épanché sur la fermeture des prisons de Dakar, le transfèrement des nouveaux détenus placés sous mandat de dépôt à la nouvelle prison de Sébikhotane, la population carcérale, le fameux «paquetage», Hissène Habré… tout y passe. Entretien.

La situation du moment est marquée par la pandémie du Covid-19. Peut-on savoir concrètement ce qui a été fait par l’Administration pénitentiaire pour sécuriser aussi bien les détenus que les hommes qui sont sous vos ordres ?

Je voudrais déjà rappeler que l’Administration pénitentiaire est responsable de l’exécution des décisions de justice prononçant une incarcération. Nous avons principalement deux missions : la sécurité et la réinsertion sociale. La sécurité est à prendre dans le sens le plus large du terme. Il y a la sécurité physique qui consiste à empêcher que les détenus ne s’évadent, interdire tout acte de violence entre détenus… . A côté de cela, il y a la sécurité sanitaire. Par rapport à ce type de sécurité, nous employons les mêmes moyens logistiques, humains pour protéger les détenus.

Depuis le premier cas détecté au Sénégal, nous avons adopté une posture proactive. Comme vous le savez, nous sommes une cible très vulnérable vivant dans un espace confiné. Au lendemain de l’annonce du premier cas testé positif dans notre pays, nous avons déroulé les premières mesures conservatoires. Une note de service a été d’ailleurs prise par le médecin de l’Aadministration pénitentiaire pour expliciter les gestes barrières. Dès le 5 mars 2020, nous avons suspendu certaines visites. Avec la multiplication des cas, nous sommes montés d’un cran en suspendant carrément les visites familiales et les plats venus de l’extérieur. Cela, sur l’ensemble des 37 prisons. Pour être logique et conséquent, nous avons, dès le 25 mars, décidé de réquisitionner le personnel dans les prisons. Depuis cette date, aucun agent de l’Administration pénitentiaire, travaillant au sein des prisons, à l’exception d’une frange jugée inapte à ce type de confinement, n’est rentré chez lui. Nous sommes dans le confinement total. Après, il s’est posé à nous le problème des mandats de dépôts. C’est donc dans cette logique que nous avons, les 21 et 22 mars dernier, vidé la prison du Cap Manuel de l’ensemble de ses détenus. Il y en avait environ 200 pensionnaires, tous transférés à la Maison d’arrêt et de correction de Sébikhotane qui, vu la situation exceptionnelle, est amenée à recevoir des détenus en situation de détention préventive.
«Les prisons du Cap Manuel et du Pavillons spécial aménagés pour confiner les nouveau détenus»

La prison du Cap Manuel renfermait-elle en son sein des détenues dames ?

Négatif, il n’y avait que des détenus hommes. Mais à cause de cette situation exceptionnelle, la prison du Cap Manuel change temporairement de statut pour accueillir de nouveaux détenus placés sous mandats de dépôts. Nous avons à la date du 25 mars dernier, fermé toutes les prisons de Dakar qui n’ont plus accueilli de détenus sous le coup d’un mandat de dépôts. Tous les détenus hommes sous le coup d’un mandat de dépôts sont provisoirement transférés à la prison du Cap Manuel. Sur place, ils sont soumis à des tests du Covid-19. Ils y séjournent durant le délai d’incubation qui est environ de 14 jours. S’ils ne sont pas porteurs de la maladie, ils sont alors transférés à la prison de Sébikhotane.

Nous avons procédé de la même façon pour les détenues (femmes) sous le coup d’un mandat de dépôts. Elles sont provisoirement transférées à la Maison d’arrêt et de correction du Pavillon spécial de l’hôpital A. Le Dantec, où d’importants travaux de réhabilitions ont été faits. Ce qui a permis de bénéficier de deux quartiers réhabilités pouvant accueillir une soixantaine de détenues qui peuvent y être confinées durant le délai d’incubation. Après quoi, elles sont transférées à la prison pour femme de Liberté 6.

Dans les prisons situées à l’intérieur du pays, nous avons aménagés des zones de quarantaine. A Thiès par exemple, le carré des mineurs a été aménagé pour recevoir les nouveaux détenus placés sous mandat de dépôts. Les détenus mineurs ont été réorientés vers d’autres locaux aménagés en conséquence.

Vu que toutes les prisons de Dakar sont fermées, peut-on donc s’attendre à un désengorgement de la prison de Rebeuss ?

Cette question du dépeuplement des prisons est en cours avec les mesures salutaires qui sont intervenues comme la grâce, les libertés provisoires et les mesures de libération conditionnelle. C’est pour nous l’occasion d’exprimer toute notre gratitude au chef de l’État qui a accordé son pardon à 2 036 détenus à travers le pays. C’est très significatif si ont fait dans la comparaison. En 2016, on a eu 2 180 détenus graciés pour toute l’année. En 2017, on n’en a compté 773 détenus, 2 430 en 2018, contre 2 201 graciés en 2019.
«Il y a environ 10 000 détenus dans nos prisons… le paquetage sera bientôt un vieux souvenir»

Présentement qu’elle est la population carcérale à la prison de Rebeuss ?

A ce jour, la population carcérale à la prison centrale de Rebeuss avoisine les 2 100 prisonniers. A l’échelle nationale, l’effectif carcéral s’élève à près de 10 000 détenus. Le processus de désengorgement des prisons est aussi soutenu par d’autres actions de taille portées par le Garde des Sceaux, Me Malick Sall, que je remercie pour son empathie vis-à-vis de l’Administration pénitentiaire. Il a donné des instructions fermes notamment aux parquets pour la bonne marche de directives au profit de l’Administration pénitentiaire dont celle du désengorgement. Avec son soutien, nous en sommes arrivés aujourd’hui à recevoir de moins en moins de mandats de dépôts. A titre illustratif, le 1er avril dernier, à Dakar nous avons eu zéro mandat de dépôt et la tendance est relativement maintenu à des proportions souhaitées par le Garde des Sceaux. Aujourd’hui, non seulement on élargit des détenus, mais on en reçoit peu ou presque pas.

On peut donc s’attendre à ce que le fameux «paquetage» ne soit plus qu’un mauvais souvenir à la prison de Rebeuss ?

A l’heure actuelle, le «paquetage» n’existe véritablement que dans deux chambres (10 et 9) à la prison de Rebeuss. Mais avec l’opérationnalisation de la prison de Sébikhotane et les chantiers en cours à la prison de Rebeuss pour accroitre sa capacité, cette question de «paquetage» sera bientôt un vieux souvenir, si on ajoute à cela les libertés provisoires. Depuis l’apparition du Covid-19 au Sénégal, on en est à 369 libérations provisoires accordées sur l’ensemble des 37 prisons du pays. Ajouter à cela les mesures de libération conditionnelle.

Les prisons ne recevant plus de plats apportés de l’extérieur, entraînent des charges supplémentaires. Comment parvenez-vous alors à nourrir les détenus ?

C’est vrais que c’est une situation difficile parce qu’en plus des détenus, il y a aussi le personnel réquisitionné qu’il faut prendre en charge sur le plan sanitaire et de l’alimentation. Mais, le Garde des Sceaux qui est au courant de cette mesure, nous a alloué des crédits supplémentaires. La semaine dernière, il m’a notifié la mise à disposition d’un crédit additionnel de 50 millions de FCfa. Il y a aussi que les détenus qui souffrent d’une certaine pathologie, nous avons prévu des marmites qui prennent en compte tous ceux qui sont sous régime.

Par rapport au personnel réquisitionné, il y a le cas des femmes qui allaitent, où qui sont état de grossesse. Comment s’est effectué le tri ?

Tout le monde n’a pas été confiné. Il y a une catégorie du personnel qui a été épargné. Ce sont les femmes qui allaitent, celles en état de grossesse, ou encore les hommes qui ne sont pas aptes pour ce type de confinement. Ceux-là ont été écartés. Nous faisons avec les personnes que nous avons jugé aptes et il est heureux de constater que ceux-là constituent la plus grande majorité de l’effectif.

Comment est organisé le confinement du personnel ?

Depuis qu’ils sont en consignation, les agents ne retournent sous aucun prétexte chez eux. Cela constituerait une menace pour eux, ou pour leur famille et éventuellement pour les détenus, si au cours de telles échappées, ils contractaient le virus. Ils ne peuvent sortir des prisons que pour des raisons de services. Par exemple, pour convoyer des détenus au tribunal, parce que les audiences correctionnelles ont repris. Ou encore pour les besoins de transfèrements des détenus au tribunal ou à l’hôpital. À chaque fois qu’ils effectuent ces missions, des mesures de protections sont prises.

Parlons à présent d’un autre détenu, l’ancien Président du Tchad, Hissène Habré ?

Le Président Hissène Habré est un détenu comme les autres. Ici, il n’y a pas de détenu Vip. Le Garde des Sceaux l’a dit dernièrement. Le Président Habré n’est pas un détenu du Sénégal. C’est un détenu de la communauté internationale. Et le quartier où il purge sa peine est un quartier qui a été construit par les Chambres africaines extraordinaires, suivant leur standard. C’est la raison pour laquelle il est tout seul dans ces quartiers.

Sa mise en liberté provisoire avait suscité quelques remous. Le saviez-vous ?

Tout détenu a un droit. Le Président Habré a usé de son droit à demander une permission. Il a formulé une requête qui a été accordée par le juge d’application des peines, mais avec le soutien de l’Administration pénitentiaire. Notre responsabilité est d’assurer la sécurité de tous nos détenus. Et en la matière, il fallait également assurer sa sécurité sur le plan sanitaire. On ne pouvait pas l’exposer au Coronavirus. C’est une mesure humanitaire. Quand la santé d’un détenu est en jeu, nous prenons toutes nos responsabilités pour le protéger. Je viens d’échanger un message avec les éléments prédisposés à sa sécurité à son domicile. De là-bas, il continue à honorer ses rendez-vous médicaux. Il bénéficie d’une permission de 60 jours, qu’on le laisse jouir de ces 60 jours.

L’ouverture de la prison de Sébikhotane a été annoncée à plusieurs reprises. Aujourd’hui qu’elle est opérationnelle, va-t-elle accueillir des détenus hommes et femmes ?

Non. C’est une prison pour hommes qui a une capacité d’accueil de 400 à 500 détenus. C’est une prison où les détenus sont dans les meilleures conditions. Vous ne verrez pas là-bas un détenu se coucher à même le sol. Chacun à son lit et ils sont superposés. En plus de la nouvelle prison, il y a aussi l’ancienne bâtisse de détention qui a une capacité de 200 détenus. Soit au total une capacité d’accueil de 600 à 700 détenus.

Cette prison de Sébikhotane doit recevoir tous les prisonniers de la région de Dakar ?

Non. Normalement dans la catégorisation des prisons, Sébikhotane est une Maison de correction. Elle n’a pas pour vocation de recevoir les détenus qui ne sont pas encore jugés. Très souvent, les Maisons de corrections reçoivent les détenus en fin de peine, c’est pour les préparer à la réinsertion. Mais avec le contexte actuel du Covid-19, on est obligé d’y envoyer provisoirement des détenus qui ne sont pas encore jugés. C’est juste pour gérer une situation.

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