L’histoire des violences électorales au Sénégal

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Les historiens ont du mal à sortir de leurs archives poussiéreux, parfois le triste drame qui avait endeuillé la Médina avec 40 morts  des centaines de blessés. C’était en 1951. A la suite, il y a eu des drames ces dernières années et une chronologie sanglante.

El Hadj Mansour Mbaye est une voix autorisée pour raconter l’histoire du Sénégal. Et quand il fait un récit sur les événements sanglants qui ont opposé des partisans de Lamine Guèye et Léopold Sédar Senghor, le communicateur traditionnel parle seulement des morts. Mais un document de l’INA visionné par IGFM, le journaliste français y évoque 40 morts et des centaines de blessés. Une tragédie accentuée par des tirs à balles réelles de l’armée sénégalaise sur des habitants de la Medina qui voulaient déloger le Président Senghor du palais.

Des décennies plus tard pour l’élection présidentielle de 2019, 22 morts sont notés, plus qu’en 2012 où il y a eu 12 morts dénombrés pour le départ de Me Abdoulaye Wade.

Sous le Président Diouf, successeur de Léopold Sédar Senghor, les Présidentielles de 1988 et de 1993 (le juge Me Boubacar Seye, Vice-président du Conseil constitutionnel est assassiné le 15 mai de cette année, après la tenue de la Présidentielle, Ndlr) auront été les plus contestées. Elles se tiennent dans un contexte marqué par l’aggravation de la situation économique des couches sociales, les grèves des étudiants, la colère des syndicats…Les leaders de l’opposition, avec le farouche opposant au régime socialiste, Abdoulaye Wade, à leur tête, appellent leurs militants à prendre d’assaut le ministère de l’Intérieur et à s’opposer à toute tentative de fraude, au besoin par la force physique. En déplacement à Thiès pour un meeting, le Président Diouf essuie des projectiles lancés par de jeunes opposants pour lui signifier qu’il était en terre hostile. En retour, il les qualifiera de «bandits de grand chemin» et de «jeunesse malsaine». Durant toute la campagne, la contestation de l’électorat urbain monte en puissance. Des émeutes sont notées un peu partout dans Dakar qui est à feu et à sang. Le Président Diouf est obligé, pour contenir la colère éruptive de l’opposition, de décréter l’Etat d’urgence, le 29 février 1988. La violence culmine. Une menace extrême pèse, pour la première fois, sur l’ordre public.

En 2000, la veille de la Présidentielle est aussi marquée par des violences. Des violences physiques sont enregistrées principalement dans les régions de Dakar, Saint-Louis, Kédougou, Kaolack et Diourbel. A Saint-Louis, les sièges des partis Pls et Ps ont été saccagés, alors que dans les régions de Kédougou et Kaolack, on assiste à des attaques de convois. Dans le village de Maka Khonou (Kédougou), ce sont les populations qui se sont attaquées au convoi de responsables du Ps. Le bilan est de quatre blessés, dont une femme sérieusement atteinte, un véhicule détruit et le matériel de sonorisation saccagé. Dans la région de Dakar, notamment à Rufisque, ce sont les maisons du député-maire (Mbaye Jacques Diop) qui sont saccagées. Dans la région de Kaolack, les violences se déroulent à Médina Sabakh et à Ndoffane. Les responsables du Ps essuient des jets de pierres, de retour d’un meeting à Medina Sabakh. Une voiture sera saccagée et des pare-brises cassés. A Ndoffane, c’est la voiture d’un responsable du Parti socialiste qui a été incendiée par les calots bleus, la sécurité du Pds, (le Soleil du 17 février 2000). Dans la région de Diourbel, des coups de feu ont été entendus chez un responsable de la Coalition 2000 qui soutenait le candidat Wade. Deux maisons et des véhicules seront incendiés. Des armes blanches, ainsi que des fusils exhibés publiquement.

Wade, «Y en marre», le 23 juin et les morts

En 2012, le contexte est tout autre. Avant 2000, la violence électorale la plus remarquée résultait de la proclamation des résultats, tandis que durant la période post-alternance, elle se déroule en amont du scrutin, durant la campagne électorale et pendant les opérations de vote. Pour la Présidentielle qui a marqué le départ de Wade de la tête du pays, les germes de la violence électorale résident d’une part, dans sa candidature controversée et d’autre part, dans la rupture unilatérale du consensus autour du bulletin unique. Il y a aussi eu l’épisode du découpage administratif. Opéré à grande échelle, le découpage administratif n’est pas du goût de l’opposition qui y voit des incidences sur le processus électoral. En effet, l’érection d’une nouvelle collectivité a pour conséquence d’invalider les cartes d’électeur de certaines franges de la population des localités concernées. Ce découpage est ainsi interprété comme une volonté du pouvoir d’affaiblir l’électorat de l’opposition souvent majoritaire dans les localités ciblées. Ce découpage est d’autant plus mal accepté qu’elle intervient seulement un an voire deux (2) ans après les élections locales de 2009. A Sangalkam, dans la région de Dakar, les affrontements, consécutifs à la mise en place d’une délégation spéciale entre les forces de l’ordre et les populations, aboutissent à la mort du jeune Malick Bâ. Loin d’avoir tourné cette page, la troisième candidature de Me Wade est rejetée par une partie de la société civile et l’opposition, qui pensent que le Président a épuisé ses cartouches et ne peut plus, conformément à la Constitution, se présenter pour un troisième mandat. En revanche, pour ses partisans, le Président Wade ne cherche qu’à briguer un second mandat, le premier mandat, acquis sous la Constitution de 1963, ne devant pas être pris en compte. En janvier 2012, le mouvement Y en a marre voit le jour. Porté par le journaliste Fadel Barro, les rappeurs de Keur Gui, Kilifeu et Thiat, entre autres, le mouvement investit les quartiers, organise des rassemblements pour le départ de Wade.

L’acte majeur a été posé le 23 juin, avec la violente manifestation contre le projet de réforme constitutionnelle introduisant un ticket présidentiel. Tout a commencé la veille, alors que l’opposition tenait une conférence de presse au centre Daniel Brothier de Dakar, les jeunes du mouvement Y en a marre font irruption dans la salle et les forcent à sortir affronter les forces de l’ordre qui a avaient fini d’encercler la Place de l’Indépendance. «Le combat se passe dehors, nous en avons marre des discours», tonnent-ils. Les premières grenades lacrymogènes s’invitent dans le centre, c’est le sauve-qui-peut. Des pneus sont brûlés, des pierres jetées aux forces de l’ordre. Dans la banlieue, des jeunes barrent les rues. Un peu partout dans le pays, la riposte s’organise. Le 23 juin, aux premières heures de la matinée, la Place Soweto est prise d’assaut par des centaines de personnes. «Le projet de loi ne passera pas», jure-t-on. On crie, jette des pierres, barre des routes, brule des pneus. La maison du ministre Farba Senghor est dans la foulée, calcinée. Des leaders de l’opposition malmenés, des membres de Y en a marre arrêtés. Des foyers de tension se créent un peu partout. Le pays manque de s’embraser. Plus les heures passent, plus la détermination des jeunes devient plus grande. Les forces de l’ordre sont dépassées. A l’intérieur de l’hémicycle, les travaux des députés sont perturbés. Me Wade finira par abdiquer et retire son projet de loi. Au lendemain de cette folle journée, le Mouvement du 23 juin voit le jour et s’engage à mener le combat pour le départ de Me Wade. Malgré tout, le  vendredi 27 janvier 2012, le Conseil constitutionnel valide la candidature de Me Wade. Plusieurs manifestations éclatent immédiatement après cette annonce, à la Place de l’Obélisque à Dakar, à Thiès, Kaolack, Matam et Ourossogui. A Colobane (Dakar), jeune auxiliaire de police, Fodé Ndiaye est pris dans un guet-apens et tué. Des jeunes de ladite localité sont arrêtés. Le M23 multiplie les manifestations à la Place de l’Obélisque. Le 31 janvier 2012, alors que les manifestants décident de marcher sur le Palais, les forces de l’ordre foncent sur la foule. Leur véhicule appelé «Dragon» écrase l’étudiant Mamadou Diop, qui meurt sur le coup. Plusieurs blessés sont aussi dénombrés. Toutes ces manifestations n’ont pas empêché Me Wade de briguer encore le suffrage des Sénégalais et d’être battu, au second tour de la Présidentielle du 25 mars 2012, par la coalition Benno bokk yakaar (Bby) portée par le candidat Macky Sall. Qui, aujourd’hui est contraint de faire face à cette même violence de l’opposition qui conteste des décisions liées au processus électoral.

 

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