Négligences médicales graves : Après deux mois de détention, le chauffeur Daouda Kane, insulino-dépendant, meurt en prison au Pavillon spécial

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Daouda Kane vient allonger la très longue liste des morts encombrants de la Justice, de l’administration pénitentiaire et des services de sécurité (police et gendarmerie). Ce jeune Rufisquois de 31 ans, impliqué dans une affaire de drogue selon les accusations portées contre lui, est mort ce samedi à la prison de Rebeuss, plus précisément au Pavillon Spécial de l’hôpital Le Dantec, des suites de ce qui apparaît comme des négligences médicales. Le garçon souffrait d’un diabète insulino-dépendant qui lui a causé trois crises ayant abouti à son transfert au Pavillon Spécial. Malgré ces alertes et les papiers médicaux détenus par la maman de la victime, Mme Rama Barry, la justice et l’administration pénitentiaire se sont montrées insensibles au sort de Daouda Kane, qui est finalement mort ce samedi 20 janvier à 2h du matin. L’information sera cachée à la maman du défunt jusqu’à ce lundi. La famille annonce une plainte contre ces deux administrations.

Une maman dépitée et bouleversée. Telle est Mme Rama Barry. Ce lundi, elle s’est présentée au Pavillon Spécial de Le Dantec, un drap et des couvertures entre les mains pour son fils qui se disait tenaillé atrocement par le froid. Hélas pour la pauvre maman, à son arrivée au Pavillon spécial, elle ne trouve pas d’interlocuteurs. Elle sent les regards la défigurer et la fuir. Son fils n’était plus sur son lit d’hospitalisation. Rama Barry était songeuse mais elle ne s’imaginait guère ce qui s’était passé. Après une longue attente, le major Diémé a pris son courage à deux mains pour aller affronter la dame à bout de nerfs. « Ton fils est décédé depuis samedi », dit-il laconiquement à la maman.

Rama Barry sent le sol se dérober sous ses pieds. Les images et les souvenirs défilent. Elle ne comprenait pas. Surtout que durant toute la journée du samedi et même du dimanche, elle côtoyait le major et d’autres personnes connues pendant ces deux mois d’incarcération de son fils. Mais personne n’avait osé l’informer de la mort de son aîné et seul fils. Elle ne comprend pas alors pourquoi on lui a caché la vérité pendant trois jours (de la nuit du vendredi au samedi au lundi).

Le cœur gros, les larmes de désespoir et d’incompréhension défilent sur un visage qui reflète une douleur intense. Rama Barry pleure un fils de 31 ans parti à la fleur de l’âge. Un drame qui secoue le quartier Djorga de Rufisque situé à quelques encablures de l’hôpital Youssou Mbargane Diop de la vieille cité. C’est justement à la sortie de cette infrastructure hospitalière pour une consultation médicale de son diabète de type 1 insulino-dépendant que Daouda Kane avait été arrêté le 05 décembre dernier par les éléments de la Brigade de recherches de la gendarmerie de Faidherbe.

Son nom avait été balancé dans une affaire de drogue. Le chauffeur de taxi est transféré à Dakar. Après son audition et le dossier instruit par le juge Mamadou Seck du 8e cabinet d’instruction du Tgi de Dakar, Daouda Kane est envoyé à Rebeuss. Seulement, indique sa maman Rama Barry, son état de santé était incompatible avec un séjour en prison. « J’ai montré des papiers médicaux autant à la gendarmerie qu’au juge d’instruction Mamadou Seck et à l’administration pénitentiaire pour prouver que mon fils avait une grave maladie de diabète insulino-dépendant depuis 2003. Il se pique trois fois par jour.

A cause du diabète, mon fils a contracté des problèmes de reins, mais aussi on a décelé des traces de cancer. J’ai présenté ses dossiers médicaux délivrés par l’hôpital Youssou Mbargane et le médecin de la prison de Rebeuss pour obtenir une liberté provisoire pour mon fils, mais le juge d‘instruction Mamadou Seck du 8e cabinet n’a rien voulu savoir » souligne la dame Rama Barry. D’ailleurs, pour prouver la situation de santé précaire de son fils, cette dernière détenait un certificat médical signé du Dr Alioune Badara Pouye, Médecin Chef du SAU du Centre Hospitalier Youssou Mbargane Diop en date du 10 décembre 2018.

« Je soussigné Dr Pouye Alioune Badara Médecin Chef du SAU du Centre Hospitalier Youssou Mbargane Diop, certifie que M. Daouda Kane âgé de 31 ans est régulièrement suivi par nos services depuis plus de deux (02) ans pour un diabète insulinodépendant. La nature de la pathologie de M. Kane fait qu’il est exposé à des complications aigues et doit prendre de façon régulière ses injections d’insuline. M. Kane a été hospitalisé dans notre service à plusieurs reprises pour déséquilibre diabétique dont la dernière remonte au 21 octobre 2018 », souligne le médecin-traitant.

Trois crises diabétiques du défunt

Selon Mme Rama Barry, son fils a piqué trois crises diabétiques en prison. Le service médical de l’administration pénitentiaire a été obligé de le prendre en charge et de l’évacuer à l’hôpital Abass Ndao. Le vendredi 18 janvier, notre interlocutrice avait trouvé son fils dans un état lamentable. Il était affaibli à cause du régime alimentaire inapproprié qu’il recevait à la prison de Rebeuss. De son nez coulait du sang.

D’ailleurs, le dernier message de Daouda Kane à sa maman a consisté à lui demander de prier pour lui parce qu’il sait qu’il va mourir et qu’il ira au paradis parce qu’il est quitte avec sa conscience. Ce lundi 21 janvier, Daouda Kane a été enterré au cimetière de Dangou à Rufisque. « Il était le seul soutien de la famille. Grâce à ses activités comme chauffeur de clando et d’aviculteur. Nous sommes dans un désarroi total parce que Daouda Kane était un bon fils, un garçon courageux, sérieux et serviable. Je ne manquais de rien. Que vais-je faire aujourd’hui ? On a tué mon seul soutien », pleure Rama Barry.

Elle confirme que sa famille a saisi l’avocat Me Assane Dioma Ndiaye pour une plainte contre l’Etat du Sénégal. Nos tentatives de joindre l’Administration pénitentiaire n’ont pas abouti. Nous lui ouvrons nos colonnes pour qu’elle s’explique à propos de ce drame.

Me Assane Dioma Ndiaye : « le droit à la vie, à la santé prime sur la justice »

Me Assane Dioma Ndiaye confirme avoir été constitué par la famille de Daouda Kane sur ce dossier. Il a vivement déploré la tournure de la situation qui a abouti à la mort du jeune détenu. « La famille de Daouda Kane m’a contacté. D’après sa version des faits, la responsabilité de l’Etat est totalement engagée. Cette famille n’a de cesse de tenter d’alerter le juge d’instruction Mamadou Seck pour lui dire que l’état de santé de Daouda Kane est incompatible avec la détention de ce dernier en milieu carcéral.

Finalement faute pour le juge d’instruction d’avoir donné la réponse appropriée à la famille, l’irréparable s’est produit. Je crois que, dans cette affaire comme d’autres du genre, l’administration pénitentiaire devait prendre ses responsabilités pour dire aux juges que dans certaines situations on ne pas continuer à garder en prison des prévenus du genre Daouda Kane », souligne le patron de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme.

« Le juge doit comprendre que le droit à la santé, à la vie prime sur le droit à la justice. Donc, vraisemblablement, nous allons vers un procès de la famille contre l’Etat », conclut Me Assane Dioma Ndiaye.

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