Vingt-six ans, c’est trop (Par Tidiane Kassé)

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Constamment chahuté, sans cesse remis en question, le président du Cng de lutte reste inflexible. Depuis 26 ans qu’il est en poste, son inamovibilité relève même de l’anecdotique. Une sorte d’anomalie ahurissante qui a traversé trois mandats présidentiels. Du haut de son phare, le président Sarr, nommé à son poste en 1994, ne perçoit peut-être pas l’amplitude de la houle qui gronde à ses pieds, l’œil fixé sur un horizon apparemment tranquille. Mais des magistratures comme la sienne, éternelles et patriarcales, ne constituent pas une incongruité dans la marche du sport. Leurs fins sont souvent malheureuses.
Ce n’est pas pour rien que les énergies se décuplent en Afrique pour exiger un terme raisonnable à l’exercice du pouvoir. Notamment à la magistrature suprême. Le chef n’est plus ce crocodile qui se laisser aller paresseusement au fil de l’eau et se prend à dormir d’un œil en attendant l’inéluctable. L’usure du pouvoir comporte des handicaps certains et le règne infini conduit nécessairement à l’émergence d’un potentat. Après deux mandatures à la présidence des États-Unis, Obama n’était point sénile. Il avait 55 ans et l’électorat américain, voire le monde entier, était disposé à lui accorder une rallonge. Mais c’est dans la grandeur des hommes et surtout dans la lucidité des systèmes qu’ils incarnent que les mandats sont faits pour ne pas s’étirer pas à l’infini.
Vingt-six ans après sa nomination, on ne compte les ministres en charge du Sport que le président Alioune Sarr a évacués. On ne compte pas non plus les générations de lutteurs qu’il a vus émerger et s’éteindre. Le drame, quand on surplombe ainsi son espace de gouvernance, c’est de ne pas voir le temps s’écouler. On se rend compte difficilement de la folle évolution de son environnement. La lutte a beau garder la quintessence de son héritage, les hommes qui la pratiquent changent et affichent une mentalité dont les mutations sont d’un dynamisme évolutif extraordinaire. Mbaye Gueye a révolutionné la discipline dans les années 1970, « Tyson » l’a boosté dans les années 2000. Les jeunes d’aujourd’hui aspirent à aller vers des échelles plus novatrices. Il faut savoir les accompagner. Or il est certain qu’on ne peut pas avoir fait hier et vouloir faire demain.
Le drame, c’est que le Cng se trouve à la tête d’une discipline dont les pratiquants ne sont pas toujours d’une hauteur intellectuelle qui leur permet de trôner à la table de décision et de pouvoir être décisifs. Mais en 26 ans de règne, il était possible d’imaginer des mutations qui feraient de la lutte une discipline viable par elle-même. Ce qu’elle n’est absolument pas, malgré les centaines de millions de francs qui peuvent arroser un combat. Qui plus est, quand on entend les opinions et critiques émises par certains lutteurs, il est certain qu’ils ne sont pas tous rien que des montagnes de muscles. Ils sont parfois porteurs de bonnes paroles.
Certes, nul ne peut empoussiérer l’héritage d’Alioune Sarr. L’ordre et la discipline se sont instaurés dans une discipline qui garde dans son ADN le dérèglement absolu. Avec lui, la lutte a franchi des étapes importantes vers une modernité qui ne trahit pas ses origines. Mais il est temps de faire acte de lucidité et de savoir s’ouvrir les portes de la retraite, de se donner cette possibilité de regarder son héritage sans rancune. Partir à temps est une forme de perspicacité qui accompagne et éclaire tout leadership.
Les ministres des Sports qui se sont succédé depuis 1994 l’ont maintenu. Par peur, peut-être, de bouleverser un environnement aussi populaire que passionné et qui peut vous exploser dans les mains. Mais c’est à Alioune Sarr de ce comprendre que la valeur d’une œuvre se mesure dans ce que les héritiers en feront. Selon lui, les membres du Cng sont responsables, matures, autonomes et avisés. Mais ces qualités ne pèsent sans doute pas devant un président qui traine sa vingt-sixième année au trône, dont les opinions peuvent se comprendre comme des oukazes. Une longévité qui conforte son statut de Deus ex machina devant qui toute réaction ne peut être que servile.
De telle longévité sont souvent porteuses de dérives et conduisent au manque de manque de clairvoyance. On peut penser à Lamine Diack, président de l’Iaaf, dont les 15 ans à la tête de cette institution l’ont poussé à être moins vigilant dans sa gouvernance. Josep Blatter également, élu en 1998, fut rattrapé et avalé par les excès d’un pouvoir absolu à la tête de la Fifa, jusqu’à son éjection et sa condamnation. On pourrait encore citer Juan Antonio Samaranch à la tête du Cio (1980-2001), ou encore Bernie Ecclestone, qui fut éternel au volant de la Formule 1 dans les années 80.
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