« Lorsqu’on est dans une structure telle qu’elle soit, on commence d’abord par faire une évaluation. C’est de se poser ces questions : De voir ce qui a été bien fait, (lister) les insuffisances, et par rapport à votre cahier de charges, (définir) ce que vous allez faire. Je pense que c’est des questions pratiques qu’on se pose dans n’importe quelle situation ».
Amadou BA, le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, répondait, lors du panel tenu ce mardi, 15 octobre, en prélude du Forum international de Dakar sur la Paix et la Sécurité prévu les 18 et 19 novembre prochains, au Centre de conférence international Abdou Diouf (CICAD) de Diamniadio, à une question relative à la touche qu’il comptait apporter dans l’organisation de son premier Forum. Très clairement, indique l’autorité de tutelle, il ne s’agit pas « de faire la même chose » tous les ans. Un arrêt sera observé après la prochaine et 6e édition pour une évaluation.
« Pas un Forum des chefs d’Etat »
Poursuivant, Amadou BA précise : « Beaucoup d’entre vous ont considéré le Forum comme une réunion des chefs d’Etat ou des ministres. Or, ce n’est pas ça parce que si vous mettez des universitaires, des officiers généraux supérieurs, des ministres et des chefs d’Etat, vous comprendrez très bien que les ministres ne puissent pas aller au bout de leurs idées personnelles si tant est que ces ministres ont une expérience sur les questions soulevées. On comprendra aussi que les Généraux puissent être sur certaines questions être très réservées. Les universitaires le seront moins. Nous avons pensé avec les équipes du ministère que ce Forum doit être un lieu d’échanges libres, un lieu où on invitera des experts pour produire des outils d’analyse devant permettre aux dirigeants politiques de pouvoir faire face aux défis sécuritaires. »
D’autant plus que le constat est là. « On a mis beaucoup d’argent, toutes les armes sont là mais aujourd’hui nous constatons tous que le terrorisme ne recule pas », avoue-t-il, par ailleurs, récusant un « manque de volonté » des Etats. Mais, souligne-t-il, « la réalité est là, il y a des difficultés des armées face à cette guerre qu’on appelle asymétrique. Les armées n’ont pas pu apporter des réponses appropriées pour que la mission de sécurité qui leur est confiée soit menée avec aisance. C’est une évaluation qui a été faite. »
Modérateur lors du panel, l’ex-chef d’État-Major général des armées (CEMGA), le Général Abdoulaye Fall, a indexé la complexité des menaces, sévissant dans le bassin sahélien, celui du Lac Tchad, et des Grands Lacs, parmi les trois grands piliers des défis à relever dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
L’ancien Ambassadeur en Chine a retenu que « la constante est que la menace est polyforme. En Afrique, nous sommes passés, sur toutes les menaces. C’est vraiment une conflictualité à très large spectre, des guerres de frontière aux guerres civiles, aux guerres identitaires, de l’irrédentisme à la criminalité transfrontalière, aux extrémismes violents jusqu’au terrorisme actuel qui est transnational. »
Le deuxième défi est « la multiplicité des acteurs, intervenant pour faire face à ces menaces. (…) Il y a une foison d’interventions qui souvent ne sont pas coordonnées ou qui sont mues par des intérêts qui sont divers. Et malgré toutes ces interventions, on en est là. Pourquoi ? C’est du fait de la faiblesse des réponses apportées par les forces de défense et de sécurité. Mais l’état consubstantiel de cette situation post-indépendance mais développé par le manque de volonté politique de certains de doter la sécurité des moyens qu’il faut pour le développement parce qu’on a toujours confronté sécurité – développement beaucoup plus vers le développement que vers la sécurité. » Mais, a-t-il souligné, « la tendance est en train de s’inverser, quand on regarde la liste des efforts de budget défense des pays de la CEDEAO, on s’aperçoit entre 2018 et 2019, pas mal de pays ont doublé leur contribution défense. Le Burkina Faso, plus de 52% pour en arriver à 321 millions de dollars de budget défense. Le Niger avec plus 23%, est à 231 millions. Le Togo, +11%, le Ghana, +9%/, etc. Le Sénégal a fait un bond extraordinaire entre 2017 et 2018. Je suis heureux d’entendre le ministre (Amadou BA) dire qu’en 2019, le bond sera encore beaucoup plus important. C’est dire que des efforts nationaux sont en train d’être faits. »
Les défis « actuels » du multilatéralisme
« Puisque nous sommes en manque, nous sommes obligés de faire appel à la coopération idéalement, entre Africains, donc sous-régional, dans le cadre de nos organisations continentales et maintenant quand il y a des gaps capacitaires encore, faire appel à la coopération internationale. Ça rejoint l’intitulé du Forum : ’’Paix et sécurité en Afrique : Les défis actuels du multilatéralisme’’. Enormément d’interventions qui ne sont pas coordonnées parce qu’il y a de plus en plus de présence étrangère en Afrique, de façon diplomatique, c’est connu, mais également de façon militaire (France, USA, Chine, qui est le premier pays contributeur de groupes ici en Afrique). Il y a ceux qui sont là et qui assurent une présence économique (Pays du Golf, le Japon, l’Allemagne). Tout ça, il faut l’organiser. Maintenant est-ce que toute cette population-là est prête à s’engager sur le terrain de la sécurité ? Non. Parce qu’il y en a qui ne veulent pas directement investir dans la sécurité mais qui sont prêts à investir dans des regroupements internationaux qui prônent la paix. Les défis du multilatéralisme, c’est ça, au-delà de la crise du multilatéralisme mondiale. Car ce à quoi on assiste ces derniers temps, c’est les intérêts de l’Etat qui dirige l’action, au détriment de l’intérêt de toute la communauté. Maintenant, la problématique, c’est que nous avons des attentes vis-à-vis de la coopération internationale avec le renforcement de nos forces de défense et ensuite de notre Instances incluses dans la gouvernance démocratique. »
A terme, l’objectif est clairement fixé, a rappelé le Général Fall, « les Forum de cette nature doivent aider à mettre en perspective ce que nous voulons et de voir comment l’articuler pour arriver à ça. Puisque la vision est là. L’objectif pour 2063, c’est une Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens et représentant une force dynamique sur la scène mondiale, une paix, une sécurité et une stabilité préservée. »
La coopération est nécessaire pour tendre vers cet objectif. Par ailleurs, des efforts de gouvernance doivent être fournis, en plus de capaciter les forces de défense et de sécurité. Ainsi, tout le secteur de la sécurité (forces de défense et de sécurité), les Institutions judiciaires, celles en charge de l’application de la loi, du contrôle de l’action des militaires, (le Parlement, la presse, la société civile), sont invitées à « être les autorités exécutives du système de sécurité ».
Pour la 6e édition du Forum de Dakar, il est prévu de faire financer des thèses de doctorat sur certaines questions « pour permettre d’aller en profondeur » par rapport aux enjeux sécuritaire.
500 participants sont annoncés à Dakar aux trois plénières et deux ateliers prévus. La cérémonie d’ouverture sera présidée par le chef de l’Etat, Macky Sall, et son invité de marque.