8 mars 2021. Le Sénégal sort de cinq jours de troubles sanglants (14 morts) déclenchés par l’arrestation du Député de l’opposition, Ousmane Sonko, accusé de viols multiples par Adji Sarr, une masseuse employée au Salon Sweet Beauté. Durant ces cinq jours de fièvre, marqués, au-delà des pertes humaines, par des destructions de biens considérables et une tension à son paroxysme, un homme a brillé par son silence : Macky Sall, Président de la République du Sénégal. Le 8 mars à 20h, il sort enfin du mutisme.
Mais celui que les Sénégalais découvrent à l’écran est un homme vaincu, qui prononce un discours monocorde, sans force, ni conviction.
La mine est contrainte, comme si le Président était forcé de lire un discours qui n’était pas le sien. Le commandant en chef battait en retraite. “ Taisons nos rancœurs et évitons la logique de l’affrontement qui mène au pire”, lâche-t-il, avant d’annoncer une série de capitulations notamment sur les mesures d’endiguement de l’épidémie de covid-19.
Quel contraste avec l’image renvoyée un peu plus tôt lors de cette même journée du 8 mars par Ousmane Sonko. Lors de sa première prise parole, après sa libération, l’ex Inspecteur des Impôts arbore la mine pleine d’assurance du vainqueur.
Il prononce à l’occasion l’un de ses rares discours d’homme d’État, dénués de démagogie, de complotisme subliminal, ou de radicalité puérile. Comble d’ironie, il se montre même magnanime contre le vaincu : “Nous ne demandons pas au peuple d’aller déloger Macky Sall, même s’il est illégitime. Nous ne voulons pas prendre la responsabilité de saper notre démocratie puisqu’elle est légale. Mais entendons-nous bien, la révolution est en marche vers 2024”.
Cette inversion du rapport de forces entre les deux hommes n’a cessé de se confirmer au fil des mois. Ousmane Sonko est devenu le maître d’œuvre de l’agenda, c’est lui qui fixe les termes du débat, et ses adversaires, pas que le camp présidentiel d’ailleurs, s’ajustent ou s’indignent souvent par rapport à ses sorties.
Pour en revenir au Président, certes il était dos au mur, et la situation presque hors de contrôle, mais les années précédentes, l’homme était connu pour son caractère inébranlable et intransigeant notamment sur les dossiers politico-judiciaires. C’est sous son régime que Karim Wade a été arrêté et envoyé en prison par le moyen d’une juridiction d’exception contestable et sous les récriminations de plusieurs Cours de justice internationale. Rebelote avec Khalifa Sall, tout puissant maire de Dakar, et rival sérieux pour la course à la présidentielle, arrêté lui aussi et condamné pour détournement de deniers publics. Là-encore, le Président Macky Sall est resté sourd aux manifestations sporadiques et aux condamnations, notamment de l’internationale socialiste.
Avec Sonko, la résistance a duré 5 jours, mais le pire c’est que la gestion de la crise et la communication gouvernementale, tout au long de la séquence, furent désastreuses.
Le “Je vous ai compris” lancé par le Président à la jeunesse n’a pas imprégné les esprits chez cette frange de la population. Et ses tentatives de se rabibocher avec elle par des initiatives telles que Xeyu Ndaw Yi et Jokko Ak Macky n’ont pas généré les dividendes escomptés. La jeunesse ne semble plus jurer que par PROS.
Par ailleurs, Macky Sall, intéressant et courageux quelques fois lors des sommets internationaux, est comme ankylosé sur le plan intérieur, depuis cette date fatidique multipliant les erreurs stratégiques, violant la morale politique (transhumance, clientélisme), et voyant, désormais, son poids électoral fondre comme neige au soleil.
Les locales furent un coup de semonce, les législatives, où au mieux il aura une majorité très rikiki, sonnent comme le début de la fin. La politique nous offre, certes, des retournements de situation spectaculaires, l’homme a également une aura bien supérieure à celle de ses camarades de parti, dénués de charisme, mais la mélodie qui sort du Macky a des airs de chant du cygne.
Par Adama NDIAYE