OPINION – FCFA: Entre mort et renaissance (Par Abdoulaye SECK)

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La ratification par l’Assemblée nationale française de l’accord de coopération monétaire conclu entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des pays de l’UMOA le 21 Décembre 2019 pose et encore une fois le légitime débat sur l’avenir de la Zone UMOA. Pour rappel, avant cet accord la zone monétaire était régie principalement par 4 grands principes à savoir : la parité fixe, la garantie de convertibilité illimitée , le libre transfert des capitaux et la centralisation de la moitié des réserves de change au Trésor français. Dès lors, le nouvel accord se présente comme une simple réforme administrative sans aucun Impact économique dans le quotidien des populations de la zone dans la mesure où parmi les 4 principes précités seule la centralisation des réserves de change au Trésor français est supprimée. Dans le but d’approfondir la réflexion, nous allons d’abord présenter le contenu de la réforme monétaire, ensuite la critiquer et enfin dégager des perspectives pour une réelle souveraineté monétaire.

I/ CONTENU DE LA RÉFORME MONÉTAIRE:

Concrètement, les discussions entre la France et les pays de l’UMOA ont abouti à la signature d’un nouvel accord de coopérations monétaire ( ACM) remplaçant ainsi celui de Décembre 1973. Les changements apportés peuvent être résumés suivant 3 axes:
–le changement du nom de la devise : passage de FCFA à ECO.
– la suppression de l’obligation de centralisation de la moitié des réserves de change de la BCEAO sur le compte d’opérations au Trésor français: les montants centralisés par la BCEAO sur le compte d’opérations seront transférés sur un ou plusieurs comptes que la BCEAO désignera.
–le retrait de la France des instances de décisions de la zone: les mandats des représentants de la France au comité de politique monétaire et au conseil d’administration ainsi qu’à la commission bancaire de l’UMOA cesseront.
En somme, ces changements complétés par le maintien des principes la fixité de la parité, du libre transfert des capitaux et de la garantie de convertibilité illimitée constituent l’épine dorsale du nouvel ACM.

II/ CRITIQUES:

Les critiques seront observées sur le plan politique, économique et administratif.
–Sur le plan politique, il est important de relever le caractère antidémocratique et néocolonial de cette réforme. En effet, les populations de l’UMOA, utilisatrices du FCFA, ont été surprises par l’annonce brusque de la fin du FCFA faite par les présidents Emmanuel Macron et Alassane Dramane Ouattara sans concertation ni discussion à l’intérieur des pays qui composent l’UMOA. Pire, la France a ratifié cet ACM avant même les Assemblées nationales des pays de l’UMOA.

Ce coup de Jarnac intervient dans un contexte où la société civile Ouest Africaine, et non les dirigeants, est pleinement engagée dans le combat de la souveraineté monétaire. D’ailleurs, le président Français a publiquement affirmé à Abidjan lors de l’annonce de cette réforme que c’est en entendant la jeunesse Africaine qu’il a engagé la France dans ce processus.

De notre point de vue, la principale motivation politique de la France est d’inclure les autres pays de la CEDEAO dans la Zone UMOA afin de profiter pleinement du lancement imminent du marché continental Africain, la ZLECAF (libéralisation au moins de 90% du commerce) , à travers l’exploitation des matières premières de la Zone.
–Sur le plan économique, le nouvel ACM ne regorge d’aucun élément susceptible d’améliorer la structure économique de la Zone et servira par ricochet à consolider les avantages de la France en particulier et la Zone Euro en général à travers la parité fixe et la garantie de convertibilité illimitée.

–> la fixité de la parité entre le FCFA et l’Euro constitue un handicap à la compétitivité. L’arrimage à une monnaie aussi forte que l’Euro fait du FCFA d’une part une subvention aux importations et d’autre part une taxe aux exportations d’où les déficits structurels des balances commerciales des pays de l’UEMOA.

De plus, l’ancrage à l’Euro oriente facilement les échanges extérieurs des pays de l’UEMOA vers la Zone Euro. À titre illustratif, au moment où le commerce intra zone des pays de l’UEMOA est à 14% ( plus de 60% dans la Zone Euro) notre premier partenaire commercial est le continent Européen avec 44% des échanges extérieurs dont 27% de la Zone Euro selon le rapport sur le commerce extérieur de l’UEMOA en 2019.

La BCEAO a opté pour une accumulation des réserves de change dans le but de défendre la parité fixe comme l’atteste le niveau élevé du taux de couverture de l’émission monétaire (TCEM) qui est à 78,4% au moment où le taux plancher prévu par les textes est de 20%. Ce choix de politique monétaire restrictive de la BCEAO explique la faiblesse du volume de crédit constaté dans la zone. Selon la Banque Mondiale en 2019, le ratio crédit intérieur sur PIB est à 23% dans l’UMOA au moment où les États Unis sont à 191%, la Chine 164%, la France 107%, Japon 174%, Malaisie 120%, Singapour 120%. À la page 13 du rapport de présentation de cet ACM exposé à l’Assemblée nationale française est mentionnée: << cette politique monétaire prudente destinée à contenir l’inflation et à maintenir la parité fixe entre le FCFA et l’Euro entraîne cependant une rareté de la liquidité pour les porteurs de projets locaux >>. Donc facile sera la compréhension de la récurrence de l’émigration irrégulière et du récent rapport 2020 du PNUD ,qui classe les pays selon le degré de développement , où tous les 8 pays de l’UMOA font partie des pays à niveau de développement faible.

–> la garantie de convertibilité illimitée stipule qu’en cas de déficit de devises la France sera le prêteur automatique de la zone en Euros. En signant cet ACM la France sait bien qu’elle n’aura pas à activer sa garantie avec le niveau structurellement élevé du TCEM de la zone. En 1994, lorsque les pays de l’UEMOA étaient dans le besoin et attendaient l’activation de cette garantie, la France par l’intermédiaire du FMI a imposé la dévaluation!
Donc il est clair que la garantie française n’est qu’un écran de fumée. Dans la loi des finances 2020 de la France aucun Euro n’a été prévu dans la rubrique accords monétaires internationaux du compte de concours financiers.
–Sur le plan administratif, le retrait des représentants de la France ne se signifie pas que la BCEAO a rompu les amarres avec la France dans la mesure où l’article 4 du nouvel ACM stipule qu’une personnalité indépendante sera nommée au sein du comité de politique monétaire de la BCEAO par le conseil des ministres de l’UMOA de concert avec la France. Plus loin, si le TCEM devient inférieur à 20% l’article 8 du nouvel ACM permet à la France de désigner un représentant au comité de politique monétaire de la BCEAO avec voix délibérative.

À cela s’ajoute le manque d’élégance avec le hold-up du nom de la monnaie unique de la CEDEAO, utilisé sciemment dans le but de semer la confusion et de tendre la main aux autres États de la CEDEAO.
Au demeurant, toutes ces critiques exposées montre que contrairement à ce que certains pensent la France n’est pas dans une dynamique de rupture mais de charme et de ratissage pour mieux affronter la Chine dans le terrain néolibéral de la ZLECAF.
Ceci étant dit, il reviendra aux populations d’être les acteurs d’une véritable émancipation.

III/ PERSPECTIVES D’UNE VÉRITABLE SOUVERAINETÉ MONÉTAIRE:

75 ans après le lancement du FCFA , les populations de la Zone Franc exige de plus en plus une autonomie monétaire pour pouvoir sortir du sous développement.
Techniquement, vu les failles constatées dans l’élaboration de la monnaie ECO CEDEAO deux schémas peuvent se présenter pour les pays de la Zone UMOA:
– Procéder à des sorties individuelles avec des monnaies nationales solidaires.
– Maintenir la zone UMOA, rompre l’ ACM avec la France, mettre en place en gouvernement politique, réorienter les objectifs de la BCEAO actuellement calqués sur le traité de Maastricht vers la croissance et la lutte contre le chômage, réduire la dépendance de la zone en produits de consommation et en produits énergétiques ( 51% du total des importations) sur un horizon temporel bien précis par le développement du secteur industriel et enfin opter pour un régime de change flexible dans le but de booster la compétitivité.
Parallèlement à ce débat ouvert sur les alternatives, l’aspect le plus important et décisif sera le rôle des populations.

Comme le disait l’éminent économiste Joseph Pouemi: « la monnaie doit cesser en Afrique d’être le territoire du tout petit nombre de spécialistes qui jouent aux magiciens ». Tous les citoyens doivent avoir leurs mots à dire et être orientés vers les vrais enjeux. Pour ce faire , les populations Ouest Africaine doivent accentuer surtout la pression auprès des autorités, placer la question de la coopération monétaire avec la France et l’avenir de l’UMOA au cœur des débats publics et s’ériger en bouclier contre toutes tentatives de ratification antidémocratique du nouvel ACM.

El Hadji Abdoulaye Seck
Étudiant à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’UCAD.
Master Analyse et Politiques Économiques.
seckpapalaye97@gmail.com

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