La violence récurrente à l’Université Cheikh Anta Diop s’explique par un jeu d’intérêts assez complexe. Argent, influence, politique…, tout y passe, sans oublier la gouvernance.
L’arsenal de guerre exhibé par la direction du Coud est terrifiant. Cette découverte faite en février dernier renseigne à suffisance sur l’ampleur de la violence à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. De quoi prendre la question à bras le corps, même si la méthode fait défaut au vu de la défiance entre le Coud et le rectorat.
Mais au-delà de la cacophonie, il y a une question de fond : pourquoi tant de violence à l’Ucad ? La réponse est multiple. Si cette fois-ci ce sont deux associations culturelles (Kekendo et Ndefleng) qui sont mises en cause, avec des affrontements ayant occasionné mort d’homme, la violence est surtout notée au sein des amicales d’étudiants, celles des facultés en particulier.
Et la donne ne semble pas changer avec le temps. Il y a 10 ans, c’était le même problème. « A notre temps, la violence était extraordinaire, inouïe », avoue Ndéné Mbodji, ancien président de l’amicale de la Faculté des Lettres dans les années 2007, aujourd’hui devenu enseignant à l’Ucad.
De l’argent et de l’influence
Pour cet ancien dirigeant de la liste rouge, il ne faut pas se faire d’illusion, l’Ucad n’est pas un ilot, elle est le reflet de la société sénégalaise. « L’université n’est ni une mosquée, ni une église. Et même dans ces lieux de culte, il y a de la tension», soutient Mbodji qui se défend de faire l’apologie de la violence. Pour lui, il faut non seulement voir la nature du mouvement étudiant partout dans le monde (Hongkong et France), mais aussi interroger la société.
Toutefois, chaque communauté ayant ses spécificités, à l’Ucad, la violence est directement liée à un certains nombre de facteurs bien identifiés. Parmi eux, l’argent, le pouvoir et l’influence. « Il y a beaucoup d’intérêts qui se greffent. Il y a aussi une question de leadership », reconnait Ndéné Mbodji.
A l’image de Mbodji, les anciens délégués sont unanimes sur la question. « On donne aux amicales beaucoup d’argent », admet sous anonymat, un autre.
Il y a d’abord la subvention du Coud aux amicales. Un point qui revient régulièrement. Mais pour Khalifa Diagne, vice-directeur du Coud, la subvention est un droit, elle est légitime. La question fondamentale est donc ailleurs. « C’est dans le cadre de ce qu’on appelle la vie associative qu’ils ont droit à des subventions. Maintenant, le débat doit être axé sur l’utilisation et non le bien fondé de la subvention », estime Diagne.
« Mon cousin a acheté un lit pour sa femme à 200 000 F Cfa »
D’après lui, pour aller vers plus de transparence, le Coud s’est doté d’une charte qui impose aux étudiants de justifier l’utilisation des fonds. « Le Coud est soucieux de cette question, puisque cette charte date de 2014 », ajoute-t-il. Mais avoir une charte est une chose, l’application en est une autre bien différente.
Il s’y ajoute que sur les montants, c’est silence radio. Presque personne ne veut lever le voile, quand bien même ce sont des derniers publics. « Je ne peux rien vous dire, ça concerne le Coud et les étudiants », rétorque Khalifa Diagne. Ce dernier ajoute que tout est codifié, il n’y a rien d’obscure. D’après des sources, ces subventions peuvent aller jusqu’à 4 millions entre le Coud et le ministère de l’Enseignement supérieur.
Outre les subventions, il y a les ristournes. En effet, sur les inscriptions pédagogiques des étudiants, il y a un montant qui est retourné aux amicales. Sans compter les revenus des boutiques que chaque amicale détient dans sa faculté.
Autre point fondamental, la gestion des logements. En fait, chaque faculté dispose d’un quota conventionnel. Mais à côté, il y a le quota dit social. Celui-ci ne peut pas dépasser 10% du quota normal.
Ndéné Mbodji : « Le Pds recrutait des nervis… »
Cependant, à la place du social, ces lits servent très souvent à loger les membres de l’amicale et leurs proches. Sans compter le business lucratif autour de la vente des chambres. Le prix d’un lit varie de 100 000 à 350 000 F Cfa, en fonction des moyens et des connaissances.
« L’année dernière, mon cousin a acheté un lit pour sa femme à 200 000 F Cfa à la cité Claudel », révèle Aliou Ndiaye, un ancien étudiant. La chambre en question est d’ailleurs toujours occupée par la fille, puisque les codifications n’ont pas encore eu lieu.
Pourtant, si l’on en croit les délégués, il n’y a pas de quoi faire fortune. « On ne peut pas avoir plus de deux chambres à vendre, et parfois c’est pour se payer une moto », relativise l’un d’eux.
Dans tous les cas, le changement du train de vie des délégués est manifeste à l’Ucad. Chambre individuelle, télévision, frigo, garde robe bien fournie. Il s’y ajoute que les délégués ne fréquentent jamais les restaurants universitaires, car disposant de quoi payer leur repas dans les restos privés au sein ou aux alentours de l’Ucad.
Pourtant, il arrive que l’argent obtenu au sein du l’Ucad soit juste de la monnaie comparé aux autres possibilités offertes par la fonction. « Quand vous dirigez une amicale, vous avez accès au directeur du Coud, au recteur, au ministre de l’Enseignement supérieur, aux directeurs nationaux et aux leaders politiques de sa localité », énumère un ancien délégué.
7 millions de subvention
Politique ! Voilà justement la racine du mal. Si la situation est aussi complexe au sein de l’Ucad, ce n’est pas uniquement le rapport entre étudiants ou étudiants et autorités universitaires. Il suffit de voir les moyens déployés durant les élections des amicales pour se rendre compte que le besoin de financement est loin de la portée d’une bourse d’étudiant. « La plupart des délégués sont parrainés par des leaders politiques. Pour beaucoup, diriger une amicale est une porte d’entrée dans le monde politique », confesse un ancien coordonnateur.
Ndéné Mbodji en sait quelque chose, lui qui a dirigé l’amicale de la Faculté des Lettres du temps de Me Wade. « Le Pds recrutait des nervis qui m’attaquaient nuit et jour. J’ai subi des menaces de mort pendant 2 ans, simplement parce que je n’étais pas avec le régime », se souvient-il.
Aujourd’hui encore, la politique est plus que jamais présente à l’Ucad. A titre illustratif, un président d’un mouvement d’étudiants d’un parti politique reçoit 7 millions de subvention mensuelle de la part de son parti. Il a également la possibilité de faire nommer ses poulains chargés de mission dans un ministère.
La gouvernance universitaire en question
Il n’empêche que le problème ne se réduit pas uniquement aux intérêts dans les amicales. La gouvernance de l’université peut être aussi source de violence. Comme en atteste la récente demande du conseil restreint de l’Assemblée de l’université de fermer le campus social. Une mesure ‘’insensée’’ qui n’avait aucune chance de passer et que le Coud a immédiatement rejetée.
«Il n’y a pas d’espace de discussion à l’université. En plus, On ne sait pas quelle université on veut construire, est-ce un espace de réflexion et de réussite ou une garderie de gros garçons. Donc, on ne peut avoir que cette université-là», regrette Ndéné Mbodji.
Il y a donc urgence non seulement à revoir les moyens dont disposent les amicales, mais aussi à repenser la gouvernance universitaire pour que la lumière règne à jamais dans cet espace qui doit rester un temple du savoir.