L’ancien patron de l’IAAF doit son retour au Sénégal au soutien du Jaraaf, le club de football qu’il a créé. Et à la générosité de Cheikh Seck, son actuel président, qui a personnellement mis la main à la poche.
Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour, dit-on. À n’en pas douter, Lamine Diack s’est senti très aimé ce 10 mai, alors qu’il embarquait à Paris pour un vol devant le ramener à Dakar. Après plus de cinq ans passés loin de son pays, retenu par deux contrôles judiciaires différents dans les affaires qui l’opposent à la justice française, le patriarche est rentré juste à temps pour fêter en famille la fin du ramadan. Accueilli par ses deux filles à l’aéroport, il a aussi pu retrouver son grand frère, Alioune. Un homme désormais centenaire, qui l’a pratiquement élevé.
« L’ancien président de l’IAAF a été jugé pour avoir couvert des cas de dopages d’athlètes russes contre des pots-de-vin
Ce retour discret fut orchestré étonnamment vite. Et doit beaucoup à Cheikh Seck, l’actuel président du club de football sénégalais le Jaraaf. C’est lui qui a payé rubis sur l’ongle la caution de 328 millions de F CFA (500 000 euros) fixée par la justice française, en attendant d’être remboursé par le Jaraaf.
Lamine Diack a été reconnu coupable de corruption active et passive et d’abus de confiance en septembre 2020, et condamné à quatre ans de prison, dont deux fermes, ainsi qu’à une amende de 500 000 euros. L’ancien président de l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF, désormais appelé World Athletics) a été jugé pour avoir couvert des cas de dopages d’athlètes russes contre des pots-de-vin estimés à près de 3,5 millions d’euros.
« Devoir moral »
Pour comprendre comment le club de football sénégalais a pu s’engager à verser une telle somme pour ramener Lamine Diack au pays, il faut remonter loin, à la fin des années 1960. Le champion d’athlétisme, alors commissaire général aux sports, décide alors de lancer une réforme pour regrouper certains clubs de football sénégalais. Le Foyer France Sénégal, où il a lui-même fait ses classes, et les Espoirs de Dakar fusionnent, le 20 septembre 1969. Le Jaraaf est né, et Lamine Diack en sera deux fois président, de 1974 à 1978 et de 1994 à 2005.
À cette époque, Lamine Diack est aussi inspecteur d’enregistrement, des domaines et du timbre à la Direction générale des impôts et domaines. « C’est lui qui nous a légué notre patrimoine foncier, explique Mbaye Thiam, ancien secrétaire général du club. » Sous l’impulsion de Diack, le Jaraaf récupère ainsi un bail emphytéotique de 99 ans. Le club dispose alors d’un nouveau siège, situé dans le quartier résidentiel du Point E, et d’un terrain attenant qui servira aux joueurs du club.
« Avec notre patrimoine foncier, nous sommes assis sur des milliards
C’est une partie de ce terrain qui été vendue par le Jaraaf afin de permettre le versement de la caution. Une « priorité », voire même un « devoir moral » pour l’équipe dirigeante du club. « Payer cette dette, c’était un gros défi, mais avec notre patrimoine foncier, nous sommes assis sur des milliards, déclare Mbaye Thiam. La somme nous permettra aussi d’éponger nos dettes. Nous conservons néanmoins un local, une salle de réunion et un immeuble de location sur notre siège. L’ancien terrain de foot va être mis en valeur et des immeubles y seront construits. »
Pour permettre à Lamine Diack d’arriver au plus vite au Sénégal, le président Cheikh Seck a décidé d’avancer lui-même les frais de la caution, « à partir du moment où la promesse de vente serait signée », assure Mbaye Thiam. Le Jaraaf a alors versé l’intégralité de la somme sur un compte désigné par la justice française. L’ancien international a récupéré son passeport quelques jours plus tard.
Soutien
Discret, Cheikh Ahmeth Tidiane Seck est lui aussi un ancien joueur de football, membre de l’équipe nationale des Lions de la Teranga. Aujourd’hui, l’ancien gardien de but, qui s’est converti en homme d’affaires, est donné pour milliardaire en CFA. Une partie de sa fortune proviendrait de marchés passés dans le BTP et dans les secteurs militaires et paramilitaires.
En 2002, il recevait la Médaille d’honneur de la police à titre exceptionnel « d’opérateur économique ». Selon l’arrêté du ministère de l’Intérieur pris à cette époque, cette médaille est attribuée « à titre exceptionnel » aux citoyens qui ont rendu « des services éminents et répétés à la Sûreté nationale ».
« On s’est donné les moyens pour ramener Lamine Diack au pays, on ne voulait pas que le Sénégal paye », précise un proche de Cheikh Seck. Le rôle joué par l’État dans cette affaire a en effet été questionné à plusieurs reprises. Au retour de Lamine Diack, le porte-parole du gouvernement, Oumar Guèye, avait été forcé de démentir l’information selon laquelle le Sénégal avait payé les avocats du patriarche, Simon Ndiaye et William Bourdon.
« C’est une information non fondée, erronée et démentie d’ailleurs [par] l’agent judiciaire de l’État », avait-il affirmé lors d’une conférence de presse. « L’État a pour mission d’apporter assistance à tous ses concitoyens, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays » – Lamine Diack compris, avait néanmoins ajouté le ministre.
La fille de l’ancien patron de l’IAAF, Mame Fatou Diack, avait d’ailleurs remercié l’État sénégalais pour son « soutien » à l’arrivée de son père. Lamine Diack, quant à lui, n’a pas de date de retour en France prévue. Mais il a assuré que s’il était convoqué par la justice française, il répondrait favorablement à ses demandes.