Dans le mètre Al-Basît, choisi par Busayrî pour magnifier le Prophète de l’Islam, Cheikh El Hadji Mansour SyMalick a composé une dâliya (qacîda de rime en dâl « d »), qui n’aura rien à envier à celle d’Ibn Durayd. On savait la portée et la pertinence de ses écrits sur le Prophète, mais, cette fois-ci, Cheikh El Hadji Mansour Sy rend hommage au père vertueux (antal wâlidul barru) et à l’éminent professeur (yâ ustadzou sindîdu) : Cheikh El Hadji MalickSy. Malgré le célèbre vers devenu le refrain d’un hymne à la reconnaissance « Fardunalal-Ibni Shukrulwâlidayni », au-delà du père qu’était Maodo, Cheikh El Hadji Mansour Sy y loue surtout les qualités de l’illustre guide spirituel.
Partant de l’importance que Cheikh El Hadji Malick accordait à l’observance de la Sunna de son modèle, le Prophète Muhammad, Cheikh El Hadji Mansour Sy rend grâce à Dieu de nous avoir gratifié (Manna ‘alaynâ bi shaykhin wâlidin rahimin) d’un tel père spirituel. La force d’un tel témoignage fait de cette qacîda une grâce du cœur (shukril qalbi) que ne pourront exprimer les seuls mots en toute exhaustivité. Le poète hors pair estime qu’il serait impossible d’énumérer tous les aspects de cette gratitude d’avoir Cheikh El Hadji Malick comme guide et père spirituel (wa in ‘ajaztu ‘anil îfâ’i fa ta’dîdu !). Il compare cette ambitieuse tâche de vouloir s’atteler dûment à un hommage à Maodo à la volonté de cet autre ambitieux voulant « compter les gouttes d’eau d’une averse » (qatrâtil wabli), tellement Cheikh El Hadji Malick avait la générosité dans l’âme lorsqu’il s’agissait, surtout, de déverser le savoir.
Ce fils d’Ousmane Sy (Yânajla Uthmâna) est décrit par Cheikh El Hadji Mansour comme la chance de tout aspirant à la réalisation spirituelle (Yâsa’d al-murîdi) ; c’est le Cheikh qui guide vers la réussite et l’Ihsân (l’excellence spirituelle) avec une rare générosité.
Mais Cheikh El Hadji Malick est bien plus que cela : Cheikh El Hadji Mansour nous dit qu’il est cet éducateur de l’âme (murabbî nafsi) en qui il a trouvé un de ces rares guides vous renforçant sur les chemins de la droiture (Irshâdun wata’yîdu). D’après lui, Maodo est, en fait, ce guide qui, de la plus humble et discrète manière, façonne son disciple jusqu’à lui conférer une forme de distinction l’élevant parmi ses semblables (Aslahta hâlî sirran lastu muhtafilan).
Cheikh El Hadji Mansour revient longuement sur cette « méthode Maodo » de former et de façonner des générations qui, finalement, deviennent ses dignes représentants. En plus de procurer une douceur de l’existence (Wal ‘ayshufîraghadin !) et un apaisement du cœur, la gratitude d’être de l’école de Cheikh El Hadji Malick, est doublée d’un gage de continuité de son enseignement. L’observance des principes qu’il a légués en finit par perpétuer cet état de grâce nourri par son flux continu. Cheikh El Hadji Mansour exprime cela dans ce vers sublime : waba’da mâ ghibta wajhu dahri munbasitun/ lanâ bifaydika wa-t-taysîru masrûdu ! Car, comme il l’exprime, Maodo avait déjà éveillé les consciences et mis en garde contre les turpitudes de la mondanité, capables de corrompre héritages et modèles spirituels (Ayqaztanâ zamânan yâtî bi makhbaratin !).
Il faudra recouper cet aspect de l’enseignement de Cheikh El Hadji Malick avec la prière qu’il formule dans l’invocation du Du’âul Wazîfa où il émettait le voeu que ses disciples soient toujours parmi ceux qui s’agripperont aux principes fondateurs (Ilâhiya Fadj’al ahlanâ ahla ghurbatin/ Wa ahla-t-tibâ’isunnatin fi-t-tarâhumi).
Après avoir rappelé que les signes de tels prédictions sont devenus manifestes (Kullul ishârâti çârat ka-n-nahâri), Cheikh El Hadji Mansour se réjouit d’un fait salutaire : c’est comme si tous les jours les supports « lawh, en arabe ou Alluwa en Wolof » sur lesquels l’enseignement de Maodo était gravé sont là pour nous rappeler toute la teneur de la sagesse inculquée et nous orienter (Fîkulli yawmin lanâ lawhun yudzakkirunâ/ Min hikmatin minka fîha d-dahrutarshîdu).
Maodo est ce guide qui réussit à brider « l’âme charnelle » (nafs) et, par l’éducation spirituelle, orienter vers la religion. La victoire qu’une telle méthode a permis de remporter contre les tentations a fait faire dire Cheikh ElHadji Mansour que Maodo a véritablement enlevé le sourire à « Iblîs » dont les stratagèmes n’ont pu prospérer (Iblîsu ma’btasamat minhul makâ’îdu). Cheikh El Hadji Malick est donc peint sous ce jour du rénovateur qui réajusta les piliers (arkân) de l’islam dans un contexte hostile et se dressa contre toutes les éventuelles failles. C’est pourquoi Cheikh El Hadji Mansour lui reconnaît le mérite de défendre et de faire revivre les vertus par lesquels tous le reconnaissaient et qui ont noms : sincérité dans l’adoration, le renoncement, l’équité et la constante amélioration (Sidqun wazuhdun inçâfun wa tajwîdu).
Dans cette revivification de la Sunna et des vertus du soufisme, faisant face à toutes les adversités, Cheikh El Hadji MalickSy a fourni d’incommensurables efforts qu’El Hadji Mansour décrit sur plusieurs vers, insistant sur la manière dont cela déteint continuellement sur ceux qui en ont fait leur modèle : « Qullidta Iqda Jumânin ni’ma taqlîdu » !
C’est pourquoi El Hadji Mansour se satisfait d’avoir ce guide dont tous témoignent des vertus (fîjamî’i nâsi mashhûdu). Car, comme il le dit, Cheikh El Hadji Malick est ce « rectificateur » des fausses opinions dont le discernement n’est que sagesse ( Muçawwib ra’yi fîtadbîrihî hikamun). Mais, pour Cheikh El Hadji Mansour, Maodo, dont les « pas n’ont jamais été guidés par la passion », est surtout cette figure dont la manière de vivre la religion ne peut souffrir de tricherie et encore moins de réfutation « wa laysa fîdînihi ghishun watafnîdu » !
Tel que décrit par El Hadji Mansour, Cheikh El Hadji Malick demeure de ces personnalités marquant leur époque par leur génie de dénouer les problèmes et énigmes avec sagesse tout en restant dépositaires des meilleures qualités humaines et morales (fa fîhi khiçâlul khayri qad kamulat).
A cette étape de la qacîda, Cheikh El Hadji Mansour Sy en arrive à conclure que Maodo compte bien parmi les « hommes Dieu » « Limlâ wahwa min rijâli-l-lâhima’dûdu » ! C’est ainsi qu’il commence une longue énumération des qualités de Cheikh El Hadji Malick en le décrivant comme cet être d’une grande amabilité (layyinul janâbi) à la fois respectueux et compatissant à l’égard des pauvres et des orphelins. Pour lui, Maodo n’a jamais fait que ce qui visait la satisfaction du Très Haut ainsi qu’à servir ses semblables.
La confiance et la quiétude d’esprit accompagnant les disciples d’un tel guide fait dire, sans ambages, à Cheikh El Hadji Mansour que « celui qui se trouve sous la protection d’un tel refuge peut clamer haut et fort : Oh vous les soldats de la passion je n’ai plus aucune crainte du mal provenant de vous,
vous pouvez librement conspirer et chercher à me nuire ! » Pour exprimer cet état d’esprit fait de quiétude, Cheikh El Hadji Mansour emprunte de manière poétique l’image d’un lion que ne peut déconcerter la présence au milieu de louveteaux. C’est pour cela qu’il s’adresse à Cheikh El Hadji Malick pour qui il témoigne son affection, en lui disant qu’il est l’hôte de son cœur qui l’emplit de quiétude « Wa lakam anzilatun fil qalbi taskunuha » ! Sur un plan purement poétique et linguistique l’on ne peut passer à côté de l’extraordinaire bivalence de la racine verbale « sakana », exprimant en même temps l’idée d’« habiter » et de « donner la quiétude » et dont fait usage El Hadji Mansour, connu, aussi, pour son style poétique unique !
Les vers clôturant cette sublime qaçîda entrent dans le cadre de l’hommage d’un disciple animé par le désir d’exprimer sa reconnaissance à un maître. Mais, Cheikh El Hadji Mansour Sy Malick se dit encore confronté à cette difficulté de pouvoir louer son père et surtout guide à la mesure de son mérite. Surtout que Maodo est une source intarissable de savoir, de vertu et de morale. Tout en étant assuré de sa générosité, il se suffira de lui signifier toute sa soif de puiser de ses flots et flux : « Mustamtiran min faydikum ».
En plus d’une reconnaissance à Maodo, cette figure emblématique de l’enseignement de Cheikhna Tijânî par les qualités qu’il a énumérées le long du poème, Cheikh El Hadji Mansour, veut témoigner de la place centrale qu’elle occupe pour ses disciples et pour l’Islam au Sénégal.
En tout cas, il tient à rappeler qu’au-delà de ce que ses propres disciples lui doivent, Cheikh El Hadji Malick continuera à nous abreuver de savoir et de lumière de sorte à perpétuer cet « état de grâce » donnant l’impression d’une éternelle célébration et de la béatitude « Min kulli yawmin lanâ min Yumnihi îdu » ! Et il était bien important pour lui d’exprimer toute le privilège de figurer parmi ses disciples.
Tel peut être l’esprit de cette Qacîda, chantée, psalmodiée et à laquelle la beauté et densité, mais surtout la fidélité dans la description de Cheikh El Hadji Malick donnent toujours des airs d’une étonnante contemporanéité.
Dr. Bakary SAMBE