Le MI5 a envoyé une alerte aux parlementaires britanniques, jeudi, concernant Christine Lee, une juriste britannique d’origine chinoise, accusée d’essayer d’infiltrer Westminster, le parlement britannique, pour le compte de Pékin. Elle a côtoyé tout le gotha de la classe politique britannique. Christine Lee a reçu, en 2019, une récompense des mains de Teresa May, alors Première ministre du Royaume-Uni ; elle a été vue en compagnie de David Cameron, un autre ex-Premier ministre conservateur, de Jeremy Corbyn, le champion de l’aile gauche du Parti travailliste, et aussi de Ken Livingstone, ancien maire de Londres.
Depuis jeudi 13 janvier, plus personne ne veut avoir affaire avec cette Britannique d’origine chinoise. Elle a été accusée par le MI5, le service britannique de contre-espionnage, d’avoir infiltré le parlement britannique pour le compte de Pékin.
Au service du département chinois du Travail du front uni
Christine Lee a même fait l’objet d’une alerte spécifique envoyée à tous les parlementaires britanniques. « Cela n’arrive que très rarement et démontre à quel point les renseignements britanniques sont inquiets des agissements des agents d’influence de la Chine au Royaume-Uni », assure Charles Parton, spécialiste de la politique chinoise au Royal United Services Institute (Rusi), interrogé par le Financial Times.
Le MI5 accuse Christine Lee de travailler en sous-main pour le département chinois du Travail du front uni, l’un des principaux organes de propagande à l’étranger de Pékin, comme le souligne le récent rapport sur les opérations d’influence chinoise de l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM). Cette avocate, londonienne de longue date, est aussi soupçonnée d’avoir cherché à s’acheter les faveurs de parlementaires en vue, aussi bien à droite qu’à gauche de l’échiquier politique.
Avec une préférence pour les députés du Parti travailliste, puisqu’elle a versé, par le biais de son cabinet d’avocat, plus de 580 000 livres sterling (soit 694 000 euros) à Barry Gardiner, un député du Parti travailliste, entre 2015 et 2020. « Je ne me sens pas idiot, mais très en colère que quelqu’un ait tenté de m’utiliser ainsi », a réagi Barry Gardiner, qui assure collaborer avec les autorités depuis plusieurs années déjà au sujet de Christine Lee.
Les révélations sur les sommes versées éclairent en tout cas d’une lumière nouvelle certaines prises de position du député travailliste. Il avait notamment été l’un des rares à gauche à défendre, en 2016, le projet de construction de la centrale de Hinkley Point, en partie financée par la Chine.
Mais elle a aussi versé au moins 5 000 livres sterling à Edward Davey, le chef de file des libéraux-démocrates britanniques.
« C’est très inquiétant que quelqu’un ayant des liens avérés avec le parti communiste chinois ait pu ainsi cibler des parlementaires britanniques », a réagi Priti Patel, la ministre de l’Intérieur du Royaume Uni.
La Chine a rapidement rejeté les accusations. « Nous n’avons pas besoin ‘d’acheter de l’influence’ auprès des parlementaires. Nous nous opposons fermement à ces tentatives d’intimider et de salir la réputation des Britanniques d’origine chinoise », a affirmé l’ambassade de Chine à Londres.
Conseillère juridique de l’ambassade de Chine à Londres
Mais au pays des tabloïds, la presse à sensation n’a pas tardé à mettre en branle la machine à remonter le temps. Le Sun, le Daily Mail et autres ont ainsi rapidement établi que Christine Lee n’était pas n’importe quelle représentante de la communauté des britanniques d’origine chinoise.
De son arrivée à la fin des années 1970 en Irlande du Nord à l’âge de 12 ans, à la poignée de main qu’elle a échangée avec le président chinois Xi Jinping à Pékin en 2019, toute la vie de cette femme de 58 ans qui a eu deux enfants avec un avocat britannique a été disséquée.
Les médias britanniques ont bien été aidés dans leur recherche par « Hidden Hand » (La Main cachée), un livre sur les efforts chinois pour influencer le débat public au Royaume Uni qui se penchait déjà en 2021 sur le cas Christine Lee.
Les auteurs avaient découvert que cette avocate n’aidait pas seulement les immigrés chinois à s’installer au Royaume-Uni, mais qu’elle était aussi la principale conseillère juridique de l’ambassade de Chine à Londres. « Un rôle qui démontre sans ambiguïté l’importance que cette juriste a aux yeux des autorités chinoises », affirment les auteurs de Hidden Hand.
Les principaux faits d’armes de Christine Lee ont été de participer à la création du « All Party Parliamentary China Group », un groupe informel de parlementaires intéressés par la Chine. Cette structure a été dissoute en 2021, après plus de vingt ans d’existence.
Christine Lee, qui est impliquée dans la création d’au moins seize entités (entreprises, associations) dont la plupart ont trait au renforcement des liens sino-britanniques, a aussi fondé en 2006 le « British China Project », l’une des principales associations de promotion de la communauté chinoise au Royaume Uni.
C’est cette initiative qui a valu à Christine Lee de recevoir, en 2019, un prix de la part de Theresa May. L’ex-Première ministre avait alors loué le travail « de l’une des juristes d’origine chinoise les plus influentes au Royaume Uni » et lui avait souhaité « d’encore mieux réussir à intégrer les Britanniques d’origine chinoise dans [le] système politique [britannique] ». Une phrase qui peut sembler bien naïve aujourd’hui dans le contexte de suspicion de tout ce qui entoure l’activité chinoise à l’étranger.
Pékin « priorité numéro 1 » du renseignement britannique
Car la publication par le MI5 de ses accusations à l’égard de Christine Lee reflète surtout le changement radical d’ambiance en quelques années au Royaume Uni à l’égard de la Chine, note le Guardian. « Le MI5 préférait jusqu’à présent agir avec précaution quand il s’agissait de la Chine », rappelle le quotidien britannique.
Les espions britanniques n’auraient jamais étalé ainsi leurs soupçons sur la place publique il y a seulement sept ans. À cette époque, Londres préférait mettre en avant la bonne entente avec Pékin. David Cameron, le Premier ministre de l’époque, préférait boire des pintes de bière avec Xi Jinping dans des pubs londoniens plutôt que de traquer d’éventuels agents d’influence dans les couloirs du Parlement britannique.
Pour le Guardian, tout a changé en 2020, lorsque le MI6 – le service de renseignement extérieur – a affirmé que la Chine était devenue « notre priorité numéro 1 ». Il y a fort à parier que Christine Lee ne soit pas l’unique cible de la nouvelle chasse aux agents d’influence à la solde de Pékin. Les auteurs de « Hidden Hand » suggèrent même que le Royaume Uni a dépassé le « point de non retour » tant le Parti communiste chinois aurait réussi à mettre en place un réseau dense d’influence au sein de l’élite britannique .
Avec France 24