Depuis la révision constitutionnelle restaurant le poste de Premier ministre au Sénégal, certains juristes évoquent l’illégalité des décrets pris par le président de la République, sans le contreseing du Premier ministre.
C’est une approche séduisante et qui effleure la vérité juridique mais ce qu’il faut savoir, c’est que la jurisprudence a déjà tranché ce cas de figure.
Pour elle, la signature du Premier ministre apposée à côté de celle du président de la République sur un acte décrétal, est une formalité de validité, une condition de forme. Toutefois, selon une jurisprudence constante, lorsque cette condition est fonctionnellement irréalisable et non opérationnelle, le juge considère qu’on est en face d’une formalité impossible.
Ainsi, depuis l’arrêt REVERS du Conseil d’Etat français du 23 mars 1962 à celui Synd. Nat. CGT/FO de l’ANPE du 30 décembre 1998, la jurisprudence a forgé la théorie dite de la « formalité impossible », en décidant que « la procédure n’est pas viciée quand il a été impossible de procéder à une consultation obligatoire, du fait de l’autorité qui refuse de nommer les membres de l’organisme à saisir. Par conséquent, l’obligation de consulter un organisme, prévue par un texte, ne s’impose à l’administration qu’à compter soit de l’installation de cet organisme, soit de l’expiration du délai raisonnable de sa mise en place ».
Sur ce point, la doctrine est aussi unanime et pour s’en convaincre, il suffit de lire (B.*SEILLER « Acte administratif : régime, Rép. cont. adm, oct. 2020, n211 et s ; ou encore ( S. HUL . « Procédure contentieuse : quand une formalité prévue par la Constitution s’avère « impossible », la semaine juridique, Administrations et Collectivités territoriales, N 12, 26 mars 2018) ; ou aussi ( L. ERSTEIN , « la formalité impossible », Semaine juridique ad. et CT, No 51-52, 26 décembre 2017).
A cet effet, la condition de forme, dont l’irrespect vicierait un décret, ne peut être retenue que sur la base de l’existence d’un Premier Ministre, organiquement et personnellement nommé.
Pour le juge administratif, dans le cadre de la normativité administrative, un acte administratif, qui devait être pris sur la base d’un avis obligatoire d’un organe consultatif, alors que ce dernier était non opérationnel ou en totale léthargie, voire inexistant, est effectivement légal et régulier, puisque cette condition de forme était impossible, donc ne peut pas prévaloir.
Par analogie entre la consultation obligatoire et le contreseing du Premier ministre, on peut emprunter le même raisonnement et aboutir à la même conclusion.
Dès lors, le même cas de figure s’applique en l’espèce et la condition formelle de la signature obligatoire du Premier Ministre sur le décret présidentiel, ne saurait ici prospérer.
En attendant la nomination du prochain chef de Gouvernement, les décrets pris par le président de la République ne sont ensachés d’aucune irrégularité, sont donc juridiquement valables et réguliers et s’appliquent erga omnes ».
Professeur Mounirou Sy