Un « oui » n’a de sens que si celui qui le prononce à la capacité de dire « non » Lamine GUEYE.
Premier président de l’Assemblée nationale du Sénégal indépendant (1960-1968), Lamine Guèye a sans doute été confronté, d’une certaine manière, à l’image indigne que les parlementaires sénégalais ont, ces dernières années, montré à la face du monde.
C’est tantôt la salle de travail des commissions parlementaires qui se transforme en champ de bataille, opposant des députés de la majorité à ceux de l’opposition. D’autres fois, en lieu et place des débats d’idées sur fond démocratique, l’hémicycle devient un espace d’invectives entre parties opposées.
Pourtant l’article 100 du règlement intérieur (LOI n° 2002-20 du 15 mai 2002) de l’Assemblée nationale fixe pourtant un idéal de député, dans sa conduite quotidienne, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’hémicycle. Ledit article stipule avec gravité :
« Le député, élu du peuple, est un représentant qualifié de la Nation. Le prestige et l’autorité de l’Assemblée nationale, incarnation de la souveraineté populaire, sont les garanties d’une démocratie véritable. L’Elu du peuple a des obligations de rigueur morale, d’intégrité, de droiture et de dignité qui doivent se refléter dans son comportement et sa vie de tous les jours. Ces exigences imposent un statut à la dimension de ses responsabilités ».
Honorables députés, vous appelle-t-on. Malheureusement, de plus en plus, cette appellation devient ironique, car l’image que vos prédécesseurs ont renvoyée est indigne d’un « honorable ».
A partir de ce moment, serez-vous honorables juste parce que, par le biais de promesses qui n’engagent que les électeurs qui continuent à y croire, vous êtes arrivés à vous faire élire « représentants du peuple », comme vous qualifie le règlement intérieur de l’Assemblée nationale ? Ou allez-vous enfin accomplir vraiment ce rôle républicain qui vous est assigné ? Sans équivoque, permettez-moi, pour le moment, d’en douter. Toutefois je confesse que j’aimerai tellement que vous vous fassiez comprendre que j’ai tort de ne toujours croire en cet idéal.
Les dernières législatures nous ont habitués à des parlementaires qui agissent comme si le seul rôle du député se résumait à travailler exclusivement pour le compte du parti – souvent celui au pouvoir – qui leur a permis de siéger au sein de l’hémicycle. Et ce rôle se traduit par le vote mécanique de tous les textes de lois émanant de l’exécutif ; les fameux projets de loi. Ou alors, ils excellent dans la participation aux missions parlementaires dont les travaux de terrain ont rarement conduit au portage d’une proposition de loi visant à dégager des voies de solutions aux difficultés constatées.
D’ailleurs, pendant les campagnes pour les législatives, l’argument de taille des partisans de Benno bokk yakaar, était d’assurer la majorité au président pour qu’il puisse gouverner. Ce qui lui donnait toutes les possibilités et facilitait la tâche aux députés dont la préoccupation se limitait à s’assurer que tous les textes émanant de l’avenue Senghor passent sans difficulté même si l’intérêt général et populaire n’y fait pas bonne figure.
C’est dire que le nouveau tournant issu des dernières législatives vous donne une possibilité inouïe d’écrire des pages plus reluisantes de l’histoire du parlement sénégalais. A vous de la saisir et faire l’Histoire à votre tour à partir de la place Soweto.
Vous êtes censés représenter le peuple dans l’exemplarité, être ses « yeux » et ses « oreilles » auprès du pouvoir central. Je vous supplie donc de combattre toute attitude conduisant l’administration de l’Assemblée nationale, comme cela a été le cas récemment, de profiter injustement des deniers publics.
Les Sénégalais mettent à votre disposition des moyens colossaux de travail (voitures de fonction aux frais du contribuable, passeports diplomatiques, indemnités parlementaires gracieuses). Faites donc bon usage de cette belle opportunité que les populations vous offrent pour avoir un fort impact sur leur vie et sur celle de l’État.
Méritez-vous alors ce qualificatif « honorable » ? Un jour peut-être. Et les prochains mois nous édifieront, à partir de ce 12 septembre 2022, premier jour de votre nouvelle mission. Mais actuellement, bien qu’honorés par votre statut parlementaire, plusieurs « représentants » ont jusqu’ici été loin d’être honorables.
En tout état de cause, comme moi, la majeure partie du peuple sénégalais sera plus que jamais exigeante avec vous pour nous représenter dignement, au lieu d’être vilement au service d’un clan politico-politicienne.