L’ancien défenseur de Strasbourg, Marseille et Newcastle et ancien international sénégalais s’est imposé sur l’antenne de Canal+ comme un consultant aux idées tranchées. Celui qui se destine au métier d’entraîneur revendique son parler vrai et son art du débat. Dans un entretien à paraitre dans l’édition de France Football de ce mardi, 30 avril 2019, Habib Bèye revient sur ce qui fait sa force dans ce métier. Morceaux choisis.
Avec 51 % des suffrages, vous êtes le consultant préféré des joueurs de Ligue 1. D’où provient cette cote d’amour ?
C’est à la fois très flatteur et subjectif. Les joueurs doivent ressentir que je suis une personne passionnée, obsessionnelle. J’y pense tous les jours ! Je suis amoureux de ce jeu, de ce qui se passe pendant quatre-vingt-dix minutes sur le rectangle vert. Pourquoi (Raheem) Sterling fait ce crochet ? Comment Cristiano Ronaldo réussit encore à nous surprendre ? L’humain est au cœur du jeu. Même dans la quête d’une vie, il est impossible d’en comprendre tous les ressorts. D’où mon désir de devenir entraîneur. Je regarde beaucoup de foot, j’en parle sans cesse, je travaille mes dossiers, j’enregistre sur mon téléphone des notes vocales quand une idée me passe par la tête… J’échange sans cesse avec la personne qui m’aide sur la formalisation et la théorisation de mon projet de jeu. Vraiment, c’est une obsession !
Comment la nourrissez-vous ?
Je lis beaucoup, comme Vestiaires (NDLR : revue des éducateurs de football), les livres de Guardiola, de Ferguson, plein de choses sur le management sportif. J’ai assisté à la conférence d’Arsène Wenger à l’Olympia, nous avons un peu échangé. Une minute avec lui, c’est d’une telle richesse. Sans compter les matches que je regarde, ceux que je commente ou analyse pour Canal+. Entre cinq et huit par semaine… Ce métier de consultant, je l’adore et je mets tout en place pour progresser.
Les joueurs acceptent donc de se livrer…
Quand la confiance est là, ils sont très francs. Récemment, avant City-Tottenham, j’ai croisé Delph avec qui j’ai joué à Aston Villa. Je lui ai demandé : “Fabian, qu’est-ce que Guardiola vous a fait travailler dans la semaine ? Vous allez jouer comment ?” En quelques phrases, il m’a fourni une matière très précieuse. Cette proximité me donne un accès par procuration à l’intérieur de l’équipe. C’est la limite du métier de consultant, on livre des points de vue sans savoir ce qui s’est passé les jours précédents à l’entraînement. Il faut tout faire pour réduire cette “zone d’ombre”. Idem avant un match du PSG, j’aime échanger avec Papus Camara (adjoint de Thomas Tuchel).
« J’AI DU MAL À RECONNAITRE QUE J’AI TORT »
Certains, comme Éric Di Meco et Christophe Dugarry, ne descendent plus sur la pelouse avant le coup d’envoi pour ne pas sympathiser avec un
joueur, ce qui empêcherait une critique personnelle…
Je pense que ça ne change rien. Joueur, on pouvait tout dire sur moi, j’ai toujours accepté la critique, à partir du moment où elle était argumentée. Je n’étais pas forcément d’accord mais j’acceptais une autre sensibilité que la mienne. Depuis que je suis consultant, j’opte pour la même ligne de conduite. Le joueur doit intégrer que je ne suis pas là pour le critiquer mais pour décrypter sa performance. C’est mon métier, je le fais avec ma sensibilité, qui diffère de celle de Pierre Ménès ou Éric Carrière… Je m’attache à produire une analyse honnête. Donc si, deux semaines plus tard, je me retrouve face au joueur, je suis tranquille. Il pourra me dire : “Je ne suis pas d’accord avec toi’’ mais jamais “Tu m’as manqué de respect’’. Et, bien sûr, il pourra me donner son point de vue.
Avez-vous parfois la tentation de lâcher une petite vacherie ?
La méchanceté ne doit pas entrer en compte dans notre métier. Je suis à l’abri du mot facile lancé juste pour faire mal. Il ne faut pas oublier que les footballeurs ont des familles, qu’ils regardent l’émission, parfois en replay, que leur entourage les informe. Comme consultant, je refuse le jeu des petites phrases car je sais que le métier de footballeur est difficile, je l’ai pratiqué pendant quatorze ans. En revanche, j’ai le droit d’affirmer que tel match est chiant car je ne commente pas tous les jours Liverpool, City ou Lille. Mais je dois argumenter en tenant compte des moyens à la disposition de l’entraîneur, en sachant que le club lutte pour le maintien, etc. J’ai connu ça à Strasbourg et, à l’époque, on ne produisait pas de jeu. Je m’attache toujours à élaborer un concept analytique.
Le plateau du CFC ressemble à un forum où chacun défend son temps de parole, ses convictions. Le voyez-vous comme un ring de catch ?
Non, car cela signifierait que chacun doit battre l’autre… En revanche, il y a de fortes personnalités qui veulent exister et il faut savoir avancer ses arguments. Si je ne travaille qu’une idée sur l’un des thèmes évoqués et que Pierre (Ménès) la développe avant moi, je serai dans l’improvisation totale si on m’interroge. Pour éviter d’être acculé dans les cordes, je dois être capable d’amener le débat vers une idée B, voire une idée C. Je m’y prépare en amont en m’imaginant face à un interlocuteur fictif qui me pousse dans mes retranchements. J’assume mon plaisir d’avoir le dernier mot. Pas pour me glorifier, mais parce que c’est mon tempérament. Quand j’apporte une idée, j’aime aller au bout. Cela ne signifie pas que la vôtre est mauvaise, mais je vais tout faire pour vous convaincre.
« Je ne vais pas mentir, je suis séducteur. Je vais chez le coiffeur tous les quinze jours, j’aime être bien habillé… C’est mon côté girly… Pour mon poids, je suis un psychopathe, je refuse de laisser mon corps changer. Je fais 79,2 kg, comme lorsque j’étais joueur. »
Continuez-vous à vous faire des masques avant de vous coucher pour soigner votre apparence ?
Non, quand même pas… Ma mère disait toujours : “Mon fils, si tu n’as rien à dire, au moins sois élégant.” C’est important d’avoir une certaine tenue. Je ne vais pas mentir, je suis séducteur. Je vais chez le coiffeur tous les quinze jours, j’aime être bien habillé, je porte beaucoup d’attention à mon image. C’est mon côté girly, comme je dis souvent. Pour mon poids, je suis un psychopathe, je refuse de laisser mon corps changer. Je fais 79,2 kg, comme lorsque j’étais joueur. Je cours deux ou trois fois par semaine, plus de la musculation.
Lors de vos premiers pas de consultant, des articles vous qualifiaient de “sniper”, de “grande gueule’’…
… et ça ne m’a pas plu ! Mais, sur le fond, je crois ne jamais avoir été perçu comme un sniper. Je ne veux pas être ce type de consultant. En revanche, j’ai des convictions, je refuse la langue de bois car mon métier, c’est de donner mon avis.
Il y a eu des moments chauds avec Paul Le Guen et Pierre Ménès…
Certes, la télévision est aussi un spectacle, nous évoluons dans un sport qui déchaîne les passions, mais je ne recherche pas ce type de polémique. Sincèrement, l’épisode avec Paul (accrochage en direct en février 2017 après OM-PSG) ne m’a pas plu. C’était un moment de télé qui n’était pas nécessaire. Aujourd’hui, je prendrais les choses moins à cœur. Ce soir-là, mon expression du visage était trop fermée et j’ai un peu perdu mon self-control. Il faut savoir être plus détaché. Sur un point précis, nous n’avions pas le même avis et c’est très bien comme ça. Je ne peux pas dire que ça n’arrivera plus car j’ai un tempérament qui monte très vite.
https://www.youtube.com/watch?v=SVJKV1uR15A
Pierre Ménès a dit qu’“un peu d’humour’’ vous ferait du bien. Qu’en pensez-vous ?
Je pourrais dire les mêmes choses avec un peu de sourires. Mais je suis l’homme que je suis, je peux m’adapter, pas me renier. Le football, c’est sérieux, je n’arrive pas à en parler avec légèreté.
Et quand Charles Biétry évoque votre “trop-plein de certitudes” ?
Je me suis cassé la gueule avec mes certitudes, j’ai pris des murs. Mais ces mêmes certitudes m’ont aidé à me relever, à affronter l’obstacle sous un autre angle et à le surmonter. Après, Charles a raison, j’ai du mal à arrondir les angles et à reconnaître que j’ai tort. Déjà adolescent quand, au centre de formation du PSG, on me disait que j’avais les pieds carrés, j’étais sûr de moi. Je suis conscient que certains prennent ça pour de l’arrogance, trouvent parfois mes avis péremptoires…
En 2017, vous expliquiez que consultant est une occupation “à durée limitée”. Où placez-vous le terme ?
Je le suis à plein temps depuis 2015… Au maximum, on peut tenir dix ans dans ce rôle. Il me reste un an de contrat à Canal+. Ça me va très bien.
Sauf qu’il y a un gouffre de vie entre consultant vedette et entraîneur. D’un côté, confort, notoriété, matches à Manchester ou au Parc des Princes ; de l’autre, stress du classement, dix mille emmerdes par jour, états d’âme des joueurs et vie de famille à construire à Châteauroux ou Béziers…
Mais j’ai envie de me mettre en danger ! J’en ai parlé avec Mickaël Landreau qui, lui, a fait le grand saut. Je pourrais tranquillement rester à la télé, parcourir les villes d’Europe, voir du beau football mais je ressens une certaine frustration. J’aimerais voir si mes idées marchent, si je suis capable de faire gagner une équipe avec des convictions sur le jeu, nourries par des années en tant que joueur, puis observateur du foot. Donc, devenir entraîneur dans deux ou trois ans, c’est l’objectif ! Je passe les diplômes. Avec la somme de sacrifices que cela entraînera. Et aussi le renoncement à une forme de liberté. Mais ça m’attire.
Vivez-vous votre rôle de consultant comme un apprentissage au métier d’entraîneur ?
D’abord, un bon consultant ne fait pas forcément un bon entraîneur car il ne prend aucun risque. Ensuite, oui, en commentant des sommets comme Juventus-Ajax ou les chocs de Ligue 1, j’accumule une expérience incomparable. J’assiste en direct à l’évolution du football, je me frotte aux différentes philosophies, j’écoute les conférences de presse de Guardiola, Pochettino ou Klopp. Ce qui m’offre une base de données hors norme. Je me dis : “Moi, je ne ferais pas ça’’ ou “Je trouve ce système trop risqué’’. Depuis que je commente, je m’applique, à froid, à remplir un petit cahier où je note toutes mes observations, tout ce que j’apprends.
On vous sent impatient.
Quand Arsène Wenger a su que je passais mes diplômes, il m’a dit : “C’est bien, on sent que tu as ça en toi. Mais je ressens chez toi un peu d’impatience. Or, dans ce métier, il est très important d’être patient.” Il avait perçu ça en me regardant à la télé. L’échange a duré quinze secondes, je saurai m’en souvenir.