Fatou Faye Ndiaye, consultante en entretien de maisons et travaux ménagers : «Les projets qui sont dans un coin de ma tête…»
En Afrique et au Sénégal en particulier, la solidarité et l’entraide restent encore des valeurs. Quand on travaille, on ne jouit pas tout seul de son revenu. C’est le cas de Fatou Faye Ndiaye. Quadragénaire, Fatou Ndiaye est originaire de la communauté rurale de Ndiébel. Enfant, contrairement à ses jeunes frères et sœurs, Fatou n’a pas été à l’école. Pour autant, il était hors de question pour Fatou de dépendre de qui que ce soit. Née à Ben Tally (un quartier populaire de Dakar), c’est à Ndiébel, village d’origine de ses parents, qu’elle va grandir. Au milieu des années 90, elle décide de rallier Dakar afin de préparer son avenir dès l’âge de 17 ans. Timidement, Fatou Faye est initiée à la couture et au perlage. Étant donné les contingences inhérentes à la vie de d’épouse et de mère de famille, elle n’aura pas formellement terminé son apprentissage. Fidèle à sa ligne d’autonomie et d’indépendance financière, elle décide de se lancer dans le domaine de l’entretien de maisons et travaux de ménage pour différents foyers. Si Fatou gagne pratiquement deux fois le SMIC au Sénégal, elle peine à réaliser ou à faire des investissements productifs. Le social et la solidarité agissante, à l’africaine et le chichi grèvent ses revenus. Se préoccupant du qu’en dira-t-on Fatou, elle se sacrifie, s’échine pour aider autant qu’elle peut les autres, quitte à se priver elle-même de ses propres désirs. Rencontre avec une spécialiste d’entretien de maisons et de travaux ménagers. ENTRETIEN.
Fatou Faye, vous êtes consultante entretien de maisons et travaux ménagers. Êtes-vous dans ce domaine depuis plusieurs années. Mais avant ça vous avez appris la couture, le perlage…
En effet, j’ai travaillé pendant 6 ans dans le milieu de la couture. En tant qu’apprentie d’abord, puis j’ai commencé à toucher petit à petit à la machine à coudre. Je faisais du perlage payé, trois ans après mes débuts comme apprentie couturière. Je percevais mensuellement 50.000 FCFA. Mais avec le chef d’atelier, ce n’était pas forcément un paiement effectif d’un seul coup. Il arrivait qu’on soit aussi payé par tranche. Et c’est durant cette période que j’ai eu mon enfant. Au début, je l’emmenais avec moi à l’atelier. Mais cela devenait de plus en plus compliqué. Il fallait donc que je trouve autre chose et c’est là que je suis partie travailler dans la société de nettoyage Nickel.
Vous n’êtes pas restée longtemps à Nickel. Mais vous avez commencé à travailler dans différents ménages depuis des années. Qu’est-ce que vous avez déjà réalisé puisque vous gagnez pratiquement deux fois le Smic au Sénégal ?
Ce que j’ai réalisé en termes d’investissements ? Pas grand-chose, si ce n’est un lit pour dormir et des habits. Il faut surtout noter que la société sénégalaise, surtout les gens de mon village, ont une habitude peu favorable pour nous autres travailleurs. Lorsqu’arrivent les fêtes, par exemple, je me dois d’acheter des présents pour certains membres de la famille. D’ailleurs pour faire face aux différentes attentes, j’ai souscrit à une tontine, mais même avec ça, je n’arrive pas à garder de l’argent de côté. Il y a une attente plus conséquente que mon gain et si je ne la satisfais pas, mon nom peut être sali et je ne laisserai jamais cela m’arriver ».
A un moment donné, il faudra bien que pensiez à vous-même. Quelles sont vos ambitions, puisque vous appris la couture ?
Oui, j’ai appris la couture il y a quelques années. Mais je n’ai pas eu les moyens de m’installer pour travailler. Si j’arrive à garder de l’argent de côté, je prévoie d’ouvrir un atelier de couture. C’est mon projet parce que j’ai toujours de la passion pour la couture. Je veux m’y investir à fond pour m’installer, sans forcément l’aide de mes frères qui peuvent bel et bien y participer volontiers. Je suis une personne qui se satisfait d’elle dans la mesure du possible. Je ne demanderai donc jamais de l’aide de la part de mes frères. L’un est gendarme et l’autre est enseignant. Je me donne, environ une année pour pouvoir ouvrir un atelier de couture. Si j’avais 300.000 FCFA, je débuterais avec une machine à coudre. Et petit à petit, ça va forcément évoluer. Hormis ce projet, je serai également contente de pouvoir créer une agence qui place des domestiques. C’est dans un coin de ma tête.
Pourquoi ne pas solliciter l’aide de vos frères s’ils veulent bien contribuer volontiers encore que vous, vous aidez les autres?
C’est plutôt parce que je suis une personne qui ne demande pas de l’aide aux autres. Ainsi, il m’arrive de devoir me priver pour satisfaire les autres personnes. Des membres de ma famille, il n’y a personne qui m’aide financièrement, c’est tout le contraire. C’est dans ma nature de ne pas demander, c’est comme ça.
Dans votre propre ménage vous contribuez beaucoup aux besoins de la famille notamment lors des fêtes…
Comme toute autre femme ou presque, nous dépensons forcément dans la vie de tous les jours. Il arrive qu’il n’y ait plus de gaz butane et pour ne pas perdre du temps à toujours demander, j’achète directement. C’est comme ça. Pour ce qui est du loyer, nous vivons dans un appartement, le gendarme, mon mari et moi. Et là aussi, tout le monde contribue. Pour ma vie familiale, ce n’est pas que je débourse de l’argent cash pour la ration alimentaire ou pour les besoins premiers, mais il m’arrive de régler certaines dépenses de moi-même sans même que mon mari ne soit au courant. Il faut aussi savoir que les charges de la maison familiale, c’est à moi de les gérer. Là aussi, mes frères contribuent et j’envoie l’argent à ma mère, au village, pour l’électricité, l’eau et le ravitaillement. C’est comme ça que nous nous organisons et comme je l’ai dit tantôt, les petites économies que je fais me permettent, durant les fêtes de donner le sourire à certains membres de ma famille et de me faire plaisir, aussi .
Vos frères ont été scolarisés : l’un est gendarme et l’autre est enseignant. Pourquoi vous vous ne l’avez pas été ?
Justement, je suis la seule qui n’ai pas été à l’école dans la famille. Je vivais, plus jeune, avec ma grand-mère et comme tous les enfants je n’aimais pas aller à l’école. Elle m’a alors appuyée dans cette décision et finalement je n’ai pas fait d’études. C’est une chose que je regrette puisqu’aujourd’hui ma situation aurait été certainement différente si j’avais été à l’école. Il faut dire que c’est le destin.
Dans votre travail, il y a aussi parfois des risques comme le harcèlement. Vous n’y avez pas échappé à cette horreur..
Je ne veux pas parler de cette page sombre de ma vie. Surtout que je ne suis plus là-bas et je ne veux pas dénigrer cette famille. C’était chez une de mes patronnes à Dieuppeul où j’ai passé 6 ans. Ce qui s’est passé c’est qu’un jour après mon service, je prenais mon bain et j’ai vu un de ses fils me regarder à travers l’autre partie des toilettes. J’étais choquée sur le coup. Ça a fait bruit et la mère en a eu vent. Mais au lieu de régler la situation avec son fils, elle s’en est prise à moi. J’ai alors demandé à partir, à arrêter de travailler là-bas, mais le reste de la famille s’y opposait. Je leur ai alors dit que je ne veux pas être pas être responsable de la division de leur famille. Ils étaient une famille soudée avant que je ne vienne donc que je parte fera moins de dégâts. C’est là qu’ils ont accepté de me laisser partir après cette histoire gênante.
Par Modou Mamoune Tine & Noël SAMBOU