Au regard de l’actualité sénégalaise brulante, pour ne pas dire électrisante au point de faire détraquer les compteurs et par conséquent, de faire augmenter les tarifs d’électricité de façon aussi substantielle et aussi inexplicable, nous avons essayé d’en savoir un peu plus.
Alors, pour tenter de comprendre les raisons de ce qui semble être la déroute du siècle tant par sa spontanéité que par sa vigueur, nous avons décidé de faire un retour sur l’excellent ouvrage « SERVIR »1 de PAM. Et cela non pas juste par ce que nous apprécions l’homme, ses qualités d’homme d’Etat, son raffinement ou ses analyses percutantes, objectives et pertinentes, mais par ce que cet ouvrage est une véritable mine d’or qui regorge en son sein des éléments à la fois objectifs et pertinents pris au nom du Sénégal, c’est important de le préciser d’ores et déjà .
Avec le recul et au détour d’une analyse honnête, il s’avère qu’à travers lui et son gouvernement, « que le Sénégal regorge de cadres de très haut niveau au sein de l’administration, capables d’analyses pointues et de propositions de grande qualité » 1. Ce qui a permis en des temps records à la définition d‘une véritable stratégie nationale et un Plan pour régler définitivement la question de l’énergie. Eh oui, un Homme politique a le droit, le devoir même, non pas de spéculer, mais de prévoir l’avenir.
Les Sénégalais subissent de façon inexpliquée et injustifiée une augmentation des tarifs de l’électricité.
• Inexpliquée, parce que l’ancien directeur général de la SENELEC, MMC devenu ME n’a cessé de communiquer sur le fait que tous les indicateurs étaient au vert, que la société avait été redressée de façon miraculeuse sous son magistère avec des méthodes de management modernes, éprouvés et efficaces. Nous l’avions cru sur parole, d’autant plus que l’homme était auréolé de l’aura d’un grand manager hors pair et d’une réputation d’un homme efficace et pragmatique…, ce que nous lui avions concédé en toute honnêteté. Or il s’avère qu’au regard de la récente actualité sur la question de l’augmentation des tarifs de l’électricité, il y’a au mieux une réputation qui a été surfaite, des résultats pour le moins trompeurs et pas très fiables. Mouhamadou Mactar Cissé est sommé de se justifier sérieusement !
• Injustifiés, absolument rien ne présageait de cette augmentation des tarifs aussi surprenante que soudaine. Comment comprendre qu’il y a à peine six mois on nous expliquait la possibilité de vendre notre surproduction d’électricité à des pays voisins du Sénégal, tant la production intérieure était supérieure à la demande locale, et aussi soudainement, procéder à un virage à 190°.
Et pourtant PAM en tant que PM, économiste a eu à prévenir sur la centralité qu’occupe la question énergétique dans tout processus de croissance, d‘émergence et de développement. Ce service qui est la pierre angulaire sur laquelle repose tout besoin, toute aspiration à une vie normale, toute économie qui se veut performante et concurrentielle. De sa fourniture en quantité et en qualité suffisantes et à des prix les moins élevés, voire les plus compétitifs possibles, dépendent la croissance et la compétitivité de notre économie.
Cela alors que le pays n’était pas connu comme un producteur de pétrole, avec une production marginale de gaz. Alors que sa production hydroélectrique est plus que limitée, sans compter que les différentes matières premières pour son exploitation sont importées. Dans un tel contexte, comment comprendre et expliquer que des choix opportuns et judicieux n’ont pas été fait afin d’optimiser les coûts et les moyens de production ?
Bien au contraire, des choix et des méthodes coûteux qui défient toute logique, tout bon sens ont été préférés au détriment des finances publiques et du peuple sénégalais. Une véritable aberration économique qui n’a que trop duré. Avec des centrales qui fonctionnent essentiellement au diesel-oil et au fuel lourd, la SENELEC qui exerce un monopole sur la distribution de l’électricité, est obligée d’importer ses matières premières aux prix forts. Par conséquent l’électricité coûte très chère aux consommateurs.
PAM faisait d’ailleurs remarquer que c’était la « Plus chère de la sous-région, au-delà des prix pratiqués au Mali, pays pourtant enclavé. »1 Il avait dans la même lancée dénoncé « le poids de la fiscalité dans la structure des prix est très lourd et son mode de fixation défi toute rationalité économique » 1. Avec une quasi-absence de marge de manœuvre pour la réduction des prix, étant entendu que cette fiscalité constitue l’une « des principales mamelles des recettes de l’État » 1.
Au vu de ce qui précède et avec une « structuration des prix qui reflète son statut d’entreprise non performante »1, l’Etat n’avait d’autre alternative que de subventionner afin de maintenir ou soutenir les prix. Rien qu’en 2012, cette subvention était de 120 milliards de FCFA, soit près de 2% du PIB. PAM pensait à juste raison que la priorité était d’abord « de mettre fin à cette hémorragie financière avant de baisser les prix pratiqués… »1.
LES GRANDES OPTIONS STRATEGIQUES DU SECTEUR DE L’ENERGIE
Le PR suite à une communication en Conseil des ministres a eu à « figer » les principales options stratégiques pour le secteur. Il s’articulait autour des points suivants :
– Assurer la sécurité énergétique du Sénégal par son approvisionnement régulier en énergie de qualité
– Accroitre l’accès des entreprises et des populations à l’énergie comme moyen majeur de provoquer de la croissance économique et dans des conditions équitables.
– Améliorer la compétitivité du secteur pour permettre l’accès à l’énergie aux meilleurs prix. Allier ce dernier au dépérissement du soutien excessif que l’Etat apporte à ce secteur.
– Corriger les éléments irrationnels entrant dans la structure des prix. Engager une étude portant sur la révision de la fiscalité pétrolière.
– La mise en œuvre de cette stratégie passe par le développement d‘infrastructures de production reposant sur un mix de technologies, recherchant l’optimum en fonction notamment des coûts contemporains et futurs de la matière première utilisée.
– Le développement de l’interconnexion régionale et sous-régionale doit également être un moyen de couvrir les déficits occasionnels d’énergie, et pourquoi pas exporter demain d’éventuels excédents de production d’électricité.
– L’amélioration de la gouvernance du secteur et sa réforme institutionnelle, le renforcement de la régulation, et surtout la restructuration opérationnelle et financière de la SENELEC, seront également des passages obligés.
Le PM, PAM a eu à en faire état lors de son discours de Politique Générale. Un travail minutieux et abouti qui est passé à travers tout le circuit de validation, allant des discussions avec les forces vives de la Nation, les partenaires sociaux, des échanges avec les différents partenaires au développement, les bailleurs ainsi que les institutions de Betton Woods, le FMI etc… C’est dire le pays tenait là un « excellent plan stratégique pour l’énergie du Sénégal ».
Il fallait ainsi revenir simplement au bon sens et surtout régler définitivement le problème récurrent par la « mise en œuvre des moyens choisis pour ce faire. »1
Au regard de ce constat, de ce diagnostic profond, sans complaisance, et surtout des limites de la gestion publique, « un recours accru au secteur privé » était devenu incontournable si nous voulons relever le défi de la production et de la distribution en quantité et de qualité suffisantes, en passant bien entendu par la modernisation de l’outil de production. C’est, nous semble, t-il là où réside le salut pour résoudre définitivement cette question et partant aspirer à une véritable émergence voire au développement.
Le PROJET POUR L’ÉLECTRICITÉ
PAM a tenu à préciser d’emblée avec le sens de la méthode et de la pédagogie que nous lui connaissons, la distinction qu’il convient de faire entre le secteur de l’énergie et ses sous-secteurs : l’électricité et les hydrocarbures. Dans le sous-secteur de l’électricité, il y’a principalement deux acteurs que sont l’ASER en charge de l’électrification rurale et la SENELEC, qui elle détient le monopole de la distribution de l’électricité au Sénégal, qui plus est se charge de l’électrification urbaine.
– L’ASER, qui se singularise par une incapacité à atteindre ses objectifs et à réaliser les missions qui lui sont assignées, tant elle vit des difficultés de tous ordres liés à des problèmes qui « ne permettent pas d’envisager avec optimisme l’atteinte de ses objectifs retenus pour l’électrification rurale… »1 . L’objectif qui lui a été assigné était de porter ce taux à 60% en 2017.
En outre, des manquements graves ont été signalés au niveau de son management. Ce qui pose sans ambages la question des nominations politiques avec souvent des profils inaptes à l’emploi. Ce qui a pour conséquences des dysfonctionnements énormes allant des crédits annulés, des problèmes de trésorerie, aux partenaires qui se retirent … , par conséquent les objectifs ne peuvent être au rendez-vous.
Par ailleurs, l’ASER s’est révélée incapable de donner les concessions qu’elle avait pour mission d’attribuer à des initiatives locales, et à des programmes qualifiés de prioritaires.
Face à ce constat accablant d’une réalité aussi triste que surprenante, la proposition était entre autres, le changement devenu « indispensable » du directeur général afin de relancer la machine et certains programmes d’urgence.
– Le second et non moins important acteur, la SENELEC, incontournable, « ce grand corps malade, qui société privée aurait déposé son bilan depuis des lustres» 1. Tout est dit en peu de mots et avec beaucoup de panache. Une véritable incongruité. Sans la perfusion et les apports en oxygène provenant des finances publiques, l’on parlerait de la défunte SENELEC depuis belle lurette.
Le constat qu’en dresse le médecin urgentiste est peu flatteur. L’on se demande comment ce « grand corps malade » a réussi miraculeusement à atteindre le service des urgences avec une « production insuffisante, de mauvaise qualité, coûteuse à l’extrême, distribuée sur un réseau saturé et vétuste»1.
Et le pire c’est que, nous ne sommes pas au bout de nos funestes surprises … Le miracle Sénégalais semble avoir de beaux jours devant nous. En plus, cette entreprise walking dead « souffre d’une fraude à grande échelle sur l’électricité distribuée»1. Et pour boucler la boucle, le banquier, économiste et expert financier sur un ton presque de la confidence nous avoue que sur le plan financier, la situation est « … tout simplement catastrophique, fortement déséquilibrée par des pertes, et des créances compromises sur les collectivités» 1; Avant de rajouter comme une sentence non susceptible d’ appel, que « la comptabilité est difficile à certifier »1 .
A ce stade, nous pouvons légitimement nous interroger sur le pourquoi du comment.
Comment des institutions et collectivités qui votent annuellement des budgets de fonctionnement n’arrivent pas à payer leurs factures d’électricité ? Où va tout cet argent ?
La priorité, n’est-elle pas d’abord de s’attaquer aux impayés, à la fraude massive et à l’échelle industrielle de l’électricité ?
Quand on apprend que « Le gaspillage innocent et d’ignorance, rejoint par ses conséquences la pure fraude qui coûterait au moins 18 milliards FCFA par an à la SENELEC »1.
La SENELEC est-elle en mesure de fournir une liste exhaustive de ses mauvais payeurs ?
Est-ce qu’il y a une volonté affirmée et sincère de lutter contre ces dérives ?
Qui compense tous ces gaps gigantesques ?
La population paye t’elle pour tous ces manquements, lâchetés, trahisons, incivilités … etc.
Répondre à ces interrogations de la manière la plus adéquate, la plus complète, la plus responsable et la plus patriotique possible, reviendrait à soulager les sénégalais de ce lourd fardeau que représente les factures d’électricité.
DE LA FIN DU PLAN « TAKKAL » A LA NOUVELLE STRATÉGIE
Il convient ici d’affirmer d’emblée qu’à l’arrivée de MS aux responsabilités en 2012, que le sous-secteur de l’électricité avait connu une nette embellie. Ce qui s’est manifestée par une raréfaction des délestages tant au niveau des ménages qu’au niveau des entreprises. Ce qui comptait au final pour eux, c’était d’avoir accès à ce service précieux, et la croissance économique allait s’en ressentir, le climat social fortement apaisé.
Sauf que les conditions de « location de capacités de production d’électricité à un coût exorbitant pour les finances publiques sénégalaises » L’objectif était de combler le gap de production de 150 MW, et cela représentait une charge annuelle de 107 milliards de FCFA, sans parler des charges fixes qui tournaient autour de 8 milliards de FCFA. Vue l’énormité de la somme et la saignée qu’elle représentait en termes de finances publiques, l’on comprend mieux l’urgence de ce gouvernement responsable de rechercher les moyens d’y mettre un terme au plus vite. La question de faire venir des investisseurs privés semblait la plus pertinente et la plus pérenne. Et pour soutenir cette thèse, PAM, des chiffres à l’appui, nous laisse juges.
Le coût de production est entre 170 et 190 FCFA le KWh par la SENELEC et le coût de vente est à 118 FCFA. Bien entendu « coût de production et prix de vente sont élevés»1 ;
Alors que à l’époque, pour le même KWh fourni par le barrage hydroélectrique de Manantali à la SENELEC, est de 21,21 FCFA /KWh.
Dans le même temps le KWh fourni par la SOCOCIM, produit à partir du gaz ou celui des ICS à la SENELEC se font à des prix inférieurs à 50FCFA/KWh.
Au même moment, certains groupes et centrales ont des coûts qui peuvent atteindre jusqu’à 230 FCFA/KWh.
A partir de tels constats, il en ressort des choix clairs notamment, le recours au secteur privé devient incontournable, tout comme la diversification des sources pour un mix énergétique. Le but étant de diminuer au mieux l’usage du fuel et du diésel.
Ainsi, avec la nouvelle stratégie, le mix cible vise pour 2017 à diviser le coût du KWh par trois, ce qui le situerait entre 60 et 80 FCFA. Elle vise également à ramener les nouvelles capacités de production de 605 MW en 2012 à 1500 MW en 2017 en tenant en compte bien entendu les nouvelles capacités d’approvisionnement et de production.
LA NÉCESSAIRE REFORME DE LA SENELEC
Une restructuration substantielle indispensable, incontournable et urgente qui passera au moins par un plan de restructuration financière, par un rétablissement de comptes et enfin par une mise à niveau de ses ressources humaines.
– Sur le plan financier, le redressement en profondeur s’impose d’autant plus que la société est sous perfusion permanente des finances publiques, sans les quelles elle aurait disparu depuis très longtemps. Et, le plan financier doit nécessairement intégrer un volet reposant « sur le dépérissement du soutien que lui apporte l’Etat »1. Ensuite elle doit travailler à recouvrer une grande partie de sa crédibilité perdue dès lors que ses « comptes sont difficiles à certifier ». Par conséquent, le défi est de rassurer les potentiels investisseurs qui ne s’engagent pas à la légère surtout sur de montants aussi astronomiques.
– Le rétablissement des comptes ne fera pas l’économie de réformes internes, draconiennes, courageuses et profondes « de restructuration et de réforme opérationnelle et managériale » et « opérer une mue profonde »1. Les tarifs parmi les plus élevés de la sous-région sont un handicap pour les ménages, pour l’économie et pour la compétitivité des entreprises. C’est en cela que l’auteur pense et à juste raison que « Le rétablissement des comptes de la SENELEC doit par contre réussir à se passer du relèvement des tarifs d’électricité»1.
– Pour le personnel, il convient d’admettre qu’ une nouvelle stratégie et une réforme en profondeur s’accompagnent impérativement d’un volet formation et conduite du changement dans les façons de penser et de procéder afin de « se donner un nouvel état d’esprit »1. C’est aussi le lieu de se poser un certain nombre de questions, pour les employés qui ne payent que 10% de la facture d’électricité, n’est-il pas « difficilement explicable que cet avantage soit maintenu après son départ à la retraite. »
Et cela avec toutes les dérives possibles et imaginables. Un personnel qui doit également « intégrer cette nécessité morale et technique »1 qu’ils sont des citoyens, acteurs du développement. Et cela d’autant plus que « les frais du personnel par KWh produit par la SENELEC s’élevaient à 14 FCFA contre 7 FCFA pour la Compagnie Ivoirienne d’électricité, et 3 FCFA pour la Compagnie KenGen du Kenya. »1
Vous aurez remarqué que malgré la qualité des cadres de haut niveau, malgré leurs analyses pointues et leurs propositions de haute facture , et l’image de PAM qui ne fait pas exception à la règle, « trop souvent, leurs avis d‘experts éclairés et motivés par l’intérêt national sont sacrifiés sur l’autel des lobbies et des préoccupations politiciennes. »1
Alors que des projets bien ficelés, en harmonie avec les critères de la nouvelle stratégie sur l’électricité et sur le mix énergétique, réalisables dans des temps records et de surcroit répondant aux besoins de production ont été laissés en rade. L’on s’interroge quant à la logique qui président à des choix contre-productifs, contraires aux intérêts au bon sens et souvent à la morale.
A l’exemple de la proposition « Sénégal 500 », de la société américaine « GENERAL ELECTRIC » (GE), dont on ne peut douter de ses capacités, de ses performances avec son chiffre d’affaires annuel de 75 000 milliards de FCFA. Autant dire qu’une telle société disposait de l’expertise, de toutes les garanties de fiabilité, de réalisation et de respect des délais. GENERAL ELECTRIC, proposait de mettre en place un « Power Park », de 500 MW à l’horizon 2018 dont les 240 MW disponibles dès 2015. Ce modèle « clé en main », qui avait les faveurs de PAM, n’a malheureusement pas été retenu au final. Encore une fois, des options grevant les coûts finaux ont été choisies au non d’intérêts obscurs.
Malgré des efforts conséquents, consentis afin de doter le pays d’une stratégie avec des options claires, fortes et réalisables, PAM donne au final un sentiment d’incompréhension, pour ne pas dire d’amertume d’une « belle opportunité ratée »1
Les mêmes logiques décrites ici prévalent malheureusement et souvent en pire dans le sous-secteur des hydrocarbures avec notamment la SAR, acteur clé dans les produits pétroliers et des pratiques peu orthodoxes. Des procédés peu soucieux de l’intérêt général, siphonnant les finances publiques et contraires à toute logique économique. L’on comprend mieux combien les ménages et les entreprises sont tenus en otage par des tarifs prohibitifs. Au final, ils payent des tarifs excessifs par la faute des décideurs qui ont apparemment décidé de faire des choix et orientations à l’évidence contraires aux intérêts de ceux-ce qu’ils prétendent être des leurs.
Accélérer la cadence, ne saurait être trahir les grandes lignes des engagements et orientations étatiques pris par un gouvernement de rupture, avec des mesures fortes, nécessaires et courageuses qui commençaient à produire des résultats escomptés. Elle ne saurait non plus être la soumission de l’Etat à des groupes de pression ou à des lobbies, au détriment des populations et de l’intérêt général.
*Moussa Bèye