Le Dr Craig Spencer n’en est pas à sa première épidémie dramatique. Des patients, il en a vu mourir lors de sa mission en tant qu’épidémiologiste en Asie et Afrique, où il a survécu au virus Ebola alors qu’il soignait des malades en Guinée. Pourtant, de par ce qu’il a vu du coronavirus les dernières semaines, celui qui exerce désormais dans un hôpital new-yorkais l’avoue: il est terrifié.
Craig Spencer est retourné dans son pays, où il travaille aujourd’hui comme directeur de la Médecine d’urgence au Presbyterian/Columbia University Medical Center de New York, ville qui constitue l’un des épicentres du virus aux États-Unis. Dans une longue série de tweets, il a décrit la journée aussi harassante que poignante qu’il a vécue dans les couloirs des urgences de son hôpital mardi.
Il explique comment il commence sa journée, se remplissant un grand thermos de café pour affronter le travail qui l’attend comme la plupart des New Yorkais depuis que les baristas ont fermé, et comment il la termine, en courant dans le couloir de son appartement pour que ses enfants ne touchent pas ses vêtements, avant de prendre une longue douche pour rincer tout ce qui peut se trouver sur lui. Avant de puiser un peu de ressources dans un moment en famille.
“Cacophonie de toux”
Il explique comment l’ambiance étrangement calme de la ville désertée se transforme à l’approche des urgences, dans un brouhaha de sirènes mêlé aux lumières des gyrophares qui réfléchissent sur les uniformes de protection des soignants. “Une cacophonie de gens qui toussent. S’arrêter. Enfiler son masque. Entrer”, résume-t-il. Voir un patient ventilé recevoir le maximum d’oxygène possible sans toujours savoir respirer. Les longues discussions avec une patiente et sa famille, cette dernière par téléphone, pour leur annoncer en même temps qu’il va falloir se dire adieu avant que les choses n’empirent.
“Après ça, on vous dit qu’un patient très malade arrive. Vous courez vers lui. Il est au plus mal, il vomit. Il faut le mettre aux soins intensifs, vous le ramenez d’où il vient. Le temps de voir deux patients côte à côté en train d’être intubés. Il n’est même pas 10 heures du matin”, expose-t-il.
La valse des paramètres vitaux alarmants
Et de la sorte, il tient un genre de journal effrayant des patients qui sont amenés à lui. Heure par heure, il détaille la gravité et surtout l’enchaînement des cas effrayants. “Patient dans un état grave, souffle court, fièvre. Oxygène 88%”, peu après: “Pression artérielle basse, respiration difficile, saturation basse”, puis: “Saturation trop basse, incapacité à respirer. Fièvre”.
C’est là qu’il réalise que l’après-midi est passée, qu’il n’a pas bu une gorgée d’eau de la journée: “Tu n’oses pas enlever ton masque, c’est la seule chose qui te protège encore. C’est sûr, tu vas tenir encore un peu avant de le faire. En Afrique de l’Ouest pendant Ebola, tu passais des heures dans une combinaison trop chaude sans une goutte d’eau… Ah, un nouveau patient”.
“Où sont passés les infarctus? Ils ont tous le coronavirus”
Ce qui l’effraie, c’est la répétition de la tâche: “À peu près tous les patients qu’on voit sont les mêmes. On part du principe qu’ils ont tous le Covid-19. On porte gants, lunettes de protection et masques pour toute consultation. Toute la journée. C’est le seul moyen de se prémunir. Où sont donc passés les infarctus et les appendicites? Je ne vois que des coronavirus”, avoue-t-il.
Et puis il y a les rituels, la peur. “Tout nettoyer avant de partir. TOUT frotter. Le téléphone, le badge, la valise. Le thermos. Tout. Dans la javel. Tout dans un sac. Ne prendre aucun risque. Est-ce que j’ai tout nettoyé??? Je refais tout encore une fois. On n’est jamais trop prudent”, raconte-t-il. Et malgré cette propreté compulsive, il explique se sentir “nu et vulnérable” alors qu’il marche dans les rues vides de sa ville qui ne dormait autrefois jamais. “Ce vide ne reflète en rien ce qu’il se passe à l’intérieur de l’hôpital. Peut-être les gens ne savent-ils même pas?”, se demande-t-il.
“Je me fiche de l’impact économique, restez chez vous”
L’urgentiste s’attend au pire: “Tous ceux qu’on a vu aujourd’hui ont été infectés la semaine dernière, voire avant. Donc le nombre augmentera sans aucun doute en flèche la nuit prochaine, comme toutes les nuits précédentes d’ailleurs. Davantage viendront aux urgences. Davantage de paramètres vitaux. Davantage de gens ventilés, intubés”. Il se prépare à la surcharge et à ce que la situation leur échappe totalement.
Seul message d’espoir: “Il est trop tard pour stopper le virus, mais on peut ralentir sa propagation car le virus ne peut pas affecter ceux qu’il n’a pas rencontré. La distanciation sociale est la seule chose qui puisse nous sauver aujourd’hui. Je me fiche de l’impact économique comparé à notre capacité à sauver des vies”, met-il au point.
Il finit en s’adressant à ceux qui ne prennent toujours pas la pandémie au sérieux ou évoquent des théories du complot. “Vous allez entendre des gens dire que ce n’est pas réel. Mais ça l’est. Des gens diront que ce n’est pas si grave. Mais ça l’est. Des gens vous diront que cela ne vous tuera pas. Mais si. J’ai survécu à Ebola. J’ai peur du Covid-19. Jouez votre rôle, restez à la maison, restez en sécurité. Et tous les jours j’irai travailler pour vous”, conclut-il. Ses propos criants de vérité ont été largement relayés, notamment par Barack Obama et Médecins sans frontières.
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