FOCUS] État d’urgence au Sénégal : Les quatre raisons d’un régime d’exception

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De 1960 à nos jours, l’état d’urgence a été décrété quatre fois au Sénégal. Si par le passé cette décision était sous-tendue par des crises d’ordre politico-social, celle du 23 mars 2020 répond à une urgence sanitaire majeure. Flashback sur l’historique de l’état d’urgence sous nos cieux !

La décision est à la hauteur du danger ! « L’heure est grave », a signalé le président Macky Sall, le lundi 23 mars 2020 après la détection au Sénégal de 79 cas de Coronavirus, du nom de cette pandémie qui est en train de décimer le monde entier avec 15 mille morts et 400 mille personnes infectées. Face à la propagation rapide du Covid-19 au Sénégal (1er cas le 2 mars et 86 cas et plus 1 500 contacts suivis à la date du mardi 24 mars), le chef de l’Etat décrète l’état d’urgence assorti d’un couvre-feu de 20 heures à 6 heures du matin.

Pour la quatrième fois dans l’histoire du Sénégal indépendant, l’état d’urgence est décrété. Deux fois sous Léopold Sédar Senghor (1962 et 1968), une fois sous Abdou Diouf (1988) et une fois sous Macky Sall (2020). Si les trois premiers ont été imposés par une situation insurrectionnelle, celui du 23 mars 2020 est sous-tendu par une urgence sanitaire majeure : le Covid-19.

1962, crise au sommet de l’Etat

Deux ans après l’accession à la souveraineté nationale, l’Etat du Sénégal, encore en balbutiement, vit sa première crise politique majeure de jeune nation ‘’indépendante’’. Un gros différend entre les deux personnalités qui incarnent le régime parlementaire bicéphale de l’époque : Mamadou Dia (président du Conseil qui incarne le sommet de l’Etat) et Léopold Sédar Senghor (président de la République).

Au centre de la brouille : l’orientation politique et économique que Dia voulait donner au pays. Il prônait lors d’un discours, le 8 décembre 1962, « le rejet révolutionnaire des anciennes structures et une mutation totale qui substitue à la société coloniale et à l’économie de traite une société libre et une économie de développement ». En d’autres termes, il recommandait de s’affranchir de l’ascendance  française en planifiant la sortie de l’économie arachidière.

Revenant en profondeur sur l’ampleur de la mésentente, Mamadou Dia raconte : « Senghor lui-même ne disait rien sur ces réformes ; il n’exprimait pas son hostilité, mais je sentais qu’il n’était point enthousiaste : il restait froid. Cependant, il se faisait de temps en temps l’écho d’amis qui se plaignaient que ma politique était en train d’apeurer les capitaux et qu’à la limite elle les ferait fuir ».

Le président de la République qui sentait son siège vaciller sous la ‘’pression’’ d’un président du conseil qui semblait lui faire de l’ombre décide de lui couper l’herbe sous les pieds.

Une motion de censure sera déposée contre lui par des députés parrainés par Senghor qui ne voulait pas que ce différend soit vidé par l’Ups. Le 17 décembre 1962, l’état d’urgence sera décrété après que Mamadou Dia, qui jugeait la motion de censure irrecevable, décide d’empêcher son examen en postant des gendarmes devant l’assemblée pour interdire l’accès aux députés. La motion de censure sera votée dans l’après-midi au domicile du président de l’Assemblée nationale, Lamine Guèye.

Mamadou Dia sera arrêté le lendemain par un détachement de para-commandos que Senghor avait réquisitionné quelques jours avant (le 14 décembre 1962).

Mai 1968, le ‘’printemps sénégalais’’

En mai 1968, soit six ans après la crise Dia-Senghor, l’état d’urgence sera encore décrété. Cette fois-ci pour faire face à une fronde estudiantine d’une rare violence à Dakar, le 29 mai 1968. Ce mercredi, une vague d’étudiants de Dakar déferle sur les rue de la Médina et déverse sa furie. Patrouilles de police, domicile du ministre de l’Education nationale ou encore celui d’un commentateur de Radio Sénégal, Ousseynou Seck, sont saccagés.

Ces jeunes Maoïstes- pour la plupart- affiliés à l’Union des étudiants sénégalais (Udes), avaient, en plus des revendications d’ordre social (contre la mesure de réduction des bourses), une batterie de doléances politiques, à savoir la politisation de la Cour suprême et de la Radiodiffusion nationale, la soumission de l’Ups à Senghor). En plus de ça, les étudiants accusaient Senghor d’être un pion de l’impérialisme français.

Ce mouvement a eu des déferlantes jusque dans l’hexagone chez les étudiants sénégalais dont Oumar Blondin Diop (mort en prison à Gorée en 1973). Le débarquement de militaires français à Dakar sur demande de Senghor avait exacerbé les choses.

Cette bombe sociale, qui a eu comme dégâts collatéraux l’expulsion de 400 étudiants dahoméens, sera désamorcée par les khalifes généraux de Touba et de Tivaouane qui ont, tour à tour, appelé les parents à raisonner leurs fils, les jeunes étudiants. Pour sa part, le président Senghor décrispe la situation en accédant aux revendications des étudiants au mois en septembre 1968.

1988, le Tsunami électoral

Le lundi 29 février 1988, au lendemain d’un scrutin (présidentielle et législative combinée) très mouvementé, remporté par le président Abdou Diouf (73,2% à la présidentielle et 71,34%, soit 103 sièges à l’Assemblée sur les 120), l’état d’urgence avait été décrété suite aux violences qui ont suivi la proclamation des résultats provisoires.

Par décret n°88-229 du 29 février 1988, le ministre de l’Intérieur de l’époque, André Sonko décrète l’état d’urgence sur toute l’étendue du territoire de la région de Dakar. De même, un couvre-feu de 21 h à 6 h du matin avait été déclaré.

Le principal leader de l’opposition arrivé deuxième aux élections, Abdoulaye Wade, sera arrêté le même jour (29 février 1988) ainsi que 200 autres personnes. Après plusieurs reports, ils sont jugés le 11 mai 1988. «…Hormis Boubacar Sall (ancien leader du PDS à Thiès, décédé : NDLR), considéré jusqu’alors comme le numéro 2 du Parti démocratique sénégalais, qui a écopé de 2 ans de prison ferme, Badara Camara et Assane Dia, condamnés à 6 mois ferme, le principal accusé, Me Abdoulaye Wade, a été condamné à un an avec sursis, tandis que Me Ousmane Ngom, Abdoulaye Faye et Joseph Ndong, ont été relaxés…», indiquait Le Soleil dans sa parution du vendredi 13 mai 1988.

Après deux mois de régime d’exception, le président Diouf annonce, le soir de la fête de Korité (mai 1988), entre autres mesures : « levée de l’état d’urgence, proposition à l’Assemblée nationale d’un projet de loi d’amnistie et appel lancé à Me Abdoulaye Wade pour une concertation sur les maux affligeant le pays ».

Ayant reçu l’onction du Bureau politique du Pds, Abdoulaye Wade et Abdou Diouf se sont ainsi rencontrés le jeudi 26 mai 1988, dans l’après-midi, mettant fin à près de 2 mois de crise politique.

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