Mamadou Fall, psychologue-conseiller : « Un suivi psychologique sera nécessaire à la reprise des enseignements »
L’inquiétude liée au coronavirus prend de plus en plus des proportions inquiétantes. La peur s’installe chez tout le monde à cause des innombrables pertes en vies humaines. Ces seules conséquences médicales sont connues du grand public. Personne ne parle des impacts psychosociologiques et anthropologiques sur la population surtout scolaire. Pour en savoir davantage, Seneweb a rencontré Mamadou Fall, psychologue-conseiller et directeur du Centre académique de l’Orientation scolaire et professionnelle (CAOSP) de Tambacounda.
Comment d’un point de vue psychosocial ou socio anthropologique vous pouvez expliquer les attitudes d’une certaine catégorie de la population négligeant les recommandations médicales ?
La situation est certes grave et les populations peuvent être angoissées mais nous ne devons pas nous laisser gagner par cette angoisse. Il ne faudrait pas que cette angoisse soit paralysante. Nous ne devons pas non plus négliger notre capacité de résilience.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que chaque société a ses caractéristiques propres et entretient avec la maladie des relations particulières. La maladie en tant que fait social est diversement appréciée par les sociétés. Dans le cadre du Coronavirus ou Covid-19, il s’agit d’une maladie très particulière pour au moins deux raisons.
Dans ses manifestations et à travers ses symptômes, elle ressemble au rhume auquel les Sénégalais sont habitués. Du coup, beaucoup ont tendance à la négliger, estimant qu’elle n’est rien d’autre qu’une forme de rhume et donc pas trop sérieuse.
D’un autre point de vue, le Covid-19 est une maladie qui exige un mode de prévention qui remet en cause nos manières communes de faire et d’exister ; une maladie dont la prévention affecte nos liens avec le spirituel (avec la fermeture des mosquées et églises). Lorsque dans une société comme la nôtre où les contacts physiques sont privilégiés à travers les salutations, une société où presque tout se fait en communauté ; croire en une maladie, comme le coronavirus, devient presque impossible du point de vue de notre subconscient. C’est comme si, au fond de nous, notre conscience la rejette.
En plus de ces deux éléments, il faut noter que beaucoup de contrevérités ont été racontées au sujet de cette maladie.
Alors, pour lutter contre ces résistances, il est important de jouer sur la sensibilisation mais de façon professionnelle. Cette sensibilisation tiendrait compte de tous les paramètres y compris religieux et socio anthropologiques. Tous les acteurs communautaires doivent se mobiliser autour de cette sensibilisation. Autant nous devons privilégier les approches biomédicales, autant nous devons considérer nos représentations culturelles pour réussir cette sensibilisation.
Quelle analyse faites-vous de la fermeture des écoles en tant qu’acteur du système ?
Le Sénégal, à l’instar de beaucoup d’autres pays du monde entier est frappé par l’irruption de cette pandémie appelée coronavirus. Nous évoluons dans un contexte inédit marqué par une peur généralisée.
Cette situation mondiale n’épargne pas le Sénégal qui depuis le début du mois de mars a enregistré ses premiers cas positifs. La conséquence de cette crise sanitaire inattendue est, comme vous le dites, la fermeture des tous les établissements, de la maternelle à l’Université. Cette décision douloureuse fait suite comme indiqué à l’apparition du coronavirus, une maladie contagieuse et dont la prévention peut se faire en évitant les regroupements et rassemblements. C’est une décision douloureuse parce que nécessairement cela va impacter le quantum horaire mais c’est une décision qui s’imposait dans le cadre des stratégies nationales de riposte développées pour stopper la propagation du virus.
À noter simplement qu’il s’agit là d’une fermeture provisoire des établissements et non d’un arrêt des enseignements-apprentissages.
Les « vacances forcées » sont repoussées jusqu’au 04 mai. Cette année scolaire est-elle menacée ?
Non, je ne pense. Elle est certes perturbée mais le génie de l’homo senegalensis peut toujours aider à trouver des solutions. Ce que nous redoutons c’est l’aggravation de la situation et le prolongement de l’état d’urgence et des autres mesures. Dans un tel cas, oui, la situation pourrait être catastrophique pour l’année académique. Cependant, si la situation est maitrisée et que la crise sanitaire ne contraint pas les autorités à proroger les délais des mesures, alors l’année pourra être sauvée. On aura raté six semaines d’enseignements apprentissage mais qui pourront être rattrapées avec un réaménagement du calendrier scolaire. Le calendrier connaîtra forcément un dérèglement du fait de coronavirus. A titre d’exemples, les épreuves d’anticipées de philosophie ainsi que les épreuves physiques pour le baccalauréat ne pourront plus se tenir à date échue. Et probablement les dates de tous les autres examens seront revues. Mais malgré tout, nous devons encore garder bon espoir car comme je l’ai dit jusque-là, la situation est relativement maitrisable. Et même si le pire se produisait, on ne le souhaite pas, des solutions ne manqueront pas.
Le CAOSP pourra-t-il atteindre ses objectifs cette année ?
Oui le CAOSP aura le temps de boucler ses activités si les enseignements redémarrent en début du mois de mai. Déjà il faut préciser que s’agissant de nos visites de terrain communément appelées séances d’informations collectives et permanences, nous avons réalisé un bon taux de couverture. À l’exception de quelques établissements de l’IEF de Bakel, tous les autres établissements de l’Académie sont couverts.
Un nouvel calendrier des examens et concours s’impose ?
Nécessairement. Avec cet arrêt des enseignements, nous risquons de perdre au meilleur des cas six semaines. A l’heure actuelle, tout est à l’arrêt, y compris les concours qui devaient être organisés ici même à Tambacounda. L’impact, c’est qu’il faudra nécessairement réinventer le calendrier avec une nouvelle planification.
Les élèves auront-ils besoin d’une prise en charge psychologique à la remise… ?
Oui, les élèves auront besoin d’être assistés parce qu’ils auront traversé une situation inédite caractérisée par beaucoup d’incertitudes et de questionnements. Cette assistance consistera évidemment à les renforcer par rapport à leur confiance et à leur capacité de résilience. Nous allons particulièrement insister auprès des élèves en classe d’examen en organisant des séances de remise en confiance.
Au plan national, une réflexion est en train d’être menée pour voir comment accompagner le ministère à dérouler un paquet de services destiné au suivi et à l’appui psychosocial. Ces interventions se feront en cette période de crise et elles se poursuivront après la crise.
Il est recommandé le télétravail dans plusieurs services. Est-ce le cas au CAOSP de Tambacounda ?
Au plan local, nous continuons à fonctionner comme avant avec un système de permanences, en recevant les usagers. Mais il faut préciser que conformément, à la note ministérielle, un dispositif est mis sur pied pour un respect strict des mesures de prévention surtout celle relative à la distanciation sociale. Nous utilisons aussi les technologies pour échanger avec le niveau central sur des documents.
La situation est angoissante monsieur le psychologue
Vous avez raison de parler d’angoisse née de cette situation inédite. La population est justement angoissée parce qu’elle se trouve dans une situation de non maitrise des événements et qu’elle les pense sous un angle négatif. L’angoisse ou l’anxiété pouvant être entendue comme le fait d’anticiper de manière négative sur des événements qui ne se sont pas encore produits. En effet, le contexte dans lequel nous sommes est caractérisé par une incertitude absolue. À quand la fin de cette pandémie ? Quel sera le nombre de victimes ? Qui seront ces victimes ? En cas de confinement total comment allons-nous faire pour assurer la dépense quotidienne ? etc. Vous voyez que ce sont autant de questions auxquelles les réponses sont peu satisfaisantes.
Pour contenir cette anxiété, il importe à mon avis d’intégrer l’incertitude dans notre quotidien, de ne pas sous-estimer notre capacité de résilience, de continuer à vivre normalement en prenant soin de nous en ne surestimant pas cette menace et peut être au besoin en sollicitant les services d’un spécialiste.
Il est aussi important de faire attention à toutes ces informations relayées sur internet et sur les réseaux sociaux. Le fait d’être assaillis d’informations que nous ne maitrisons pas peut augmenter notre anxiété. Limitons-nous donc aux données officielles, à quelques sources d’informations fiables.
Que retenir de cette situation dominée par le Coronavirus ?
Nous vivons dans un contexte grave où la santé est menacée, où l’avenir de l’humanité est menacé. Je crois que tout le monde est maintenant convaincu de l’existence de cette pandémie aux conséquences directes et indirectes désastreuses. Même les plus sceptiques ont fini par comprendre.
L’inquiétude liée au coronavirus prend de plus en plus des proportions extraordinaires. La peur s’installe chez tout le monde. Et bien souvent nous n’en parlons que d’un point de vue biomédical oubliant ou négligeant les implications psychosociologiques et anthropologiques.
Nous voilà réveillés de notre « sommeil dogmatique » par l’infiniment petit. Ce virus qui, de par son irruption brutale, a fini de nous inviter à comprendre que finalement nous devons intégrer l’incertitude dans notre quotidien. L’apparition du Covid-19 renseigne aussi sur la vulnérabilité de l’homme. C’est aussi une pandémie qui nous interpelle sur la manière de penser nos rapports en tant que êtres humains, sur le sens de l’humanité elle-même. Ce qui est quasiment certain, c’est que les relations entre Etats et entre hommes devront changer après cette pandémie.
Avez-vous un message à lancer aux apprenants, aux parents et aux enseignants ?
Oui. Et ce message est adressé d’abord à la communauté. Nous devons tous nous rendre compte de la gravité du coronavirus. Elle est une maladie très contagieuse, qui fait des victimes de tous bords. Et la seule façon pour nous de s’en sortir, c’est la prévention afin de limiter la propagation du virus. C’est pourquoi nous devons suivre les consignes des autorités administratives et sanitaires. L’état d’urgence ainsi que le couvre-feu et l’ensemble des mesures prises par le Gouverneur de Tambacounda doivent être considérés comme des mesures qui nous libèrent, comme des mesures qui nous protègent.
Le respect des barrières sociales n’est pas forcément compatible avec nos traditions mais nous devons les respecter pour se protéger et pour protéger les autres. Aujourd’hui que nous avons enregistré des cas positifs dans la région, tout le monde doit être vigilant et suffisamment responsable. Le Covid-19 est certes une maladie dont la contagiosité est très rapide mais ce n’est pas une maladie honteuse. Ainsi, chaque cas contact doit respecter les consignes et tout cas suspect doit être signalé pour une prise en charge précoce.
Nous devons travailler davantage sur la communication. Evitons l’excès de communication au sujet de cette maladie qui peut avoir des conséquences néfastes sur les populations. Evitons la stigmatisation des personnes considérées comme cas contacts, comme cas suspects.
Avec les cas issus de la transmission communautaire, nous sommes tous potentiellement porteurs du virus. Le virus circule et chacun de nous doit être plus exigent par rapport à lui et par rapport aux autres. L’exigence ici n’est pas synonyme du rejet de l’autre ; au contraire c’est une façon de sauver des vies.
Au service, nous sommes en train de réfléchir avec d’autres acteurs sur le terrain sur la mise en place d’une cellule d’appui psychosocial. Le coronavirus n’aura pas que des conséquences économiques, il aura aussi des conséquences physiques et psychologiques. D’où la nécessité de penser à un suivi psychologique.
À l’endroit des apprenants, parents et collègues enseignants, il faut simplement mesurer la responsabilité individuelle et collective de chacun dans cette situation. La vacance des enseignements dans les établissements n’est pas synonyme de vacance scolaire. Des stratégies sont en train d’être développées tant au plan national par le ministère qu’au plan local par les services déconcentrés pour maintenir les enfants à la maison et les encadrer à réviser leurs cours.