Depuis quelque temps, la location de terrains de football privés est devenue un business lucratif pour les complexes sportifs sénégalais. Mais leurs activités ont été plombées par la maladie de la Covid-19 qui a fortement infecté le monde du football.
La grande ambiance qui régnait jadis à Dakar Sacré-Cœur (Dsc) a laissé la place à un silence total. Seul le sifflement du vent, le bruit de quelques moteurs et les klaxons de voitures qui passent animent cette rue qui longe la devanture du complexe sportif. Pourtant, en temps normal, elle est très fréquentée, même à une certaine heure tardive du soir. Surtout les week-ends.
Mais, en ce jour de samedi, tout est calme. Jamais un 4 Avril, fête nationale de l’indépendance, n’a été célébré de manière aussi sobre dans la capitale sénégalaise. Ce week-end aurait pu être le moment idéal pour des instants de détente : une partie de football avec des amis ou des collègues sur un terrain bien fait. Mais le coronavirus est passé par là.
En fait, depuis le parcours glorieux du Sénégal à la Coupe du monde 2002, la ferveur autour du football n’a jamais été aussi importante, au pays des Lions de la Téranga. Dans la capitale et sa banlieue, les joueurs amateurs fréquentent de plus en plus les terrains pour une partie de foot. Mais aujourd’hui, ce n’est pas n’importe où que ces derniers pratiquent leur passion insatiable. Les complexes sportifs sont désormais leurs endroits prisés pour taper sur le ballon rond.
C’est la nouvelle tendance à Dakar. Jeunes, vieux, camarades de classe, collègues de travail se retrouvent après des heures chargées pour une partie de match de football. Non pas sur de vieux terrains sablonneux comme jadis, mais sur un beau tapis vert. Ils sont prêts à mettre la main à la poche, pour trouver un rectangle bien gazonné.
La location de terrains de football devient, dès lors, un business très florissant qui a favorisé l’essor des complexes sportifs dans la capitale sénégalais.
Prolifération des complexes sportifs
On en dénombre une dizaine à Dakar. C’est dans le sillage de l’Institut Diambars, un centre de formation créé dans les années 2000 et qui a ses propres installations sportives, que sont nés les complexes sportifs. Les infrastructures mises en place par le président Saër Seck et ses partenaires, qui attirent même certaines sélections nationales, vont inspirer beaucoup d’investisseurs. C’est ainsi que des complexes sportifs comme Dakar Sacré-Cœur, Be Sport (Sénégal-Japon), Temple du foot… ont vu le jour. La liste est loin d’être exhaustive.
Les belles pelouses de ces complexes, l’organisation et l’ambiance qui y règne provoquent la ruée des populations vers ces structures. ‘’Actuellement, les gens préfèrent nos services et ils viennent en nombre. C’est cette forte demande qui motive les bailleurs à investir dans ce business’’, lance El Hadj Dieng, gérant du complexe Be Sport.
Certains ont flairé le profit et ont décidé de se lancer dans ce business qui rapporte. C’est le cas du Centre de formation professionnelle et technique (Cfpt Sénégal-Japon). Cette structure, qui œuvre dans l’éducation et la formation, a ainsi ouvert ses portes au sport pour en tirer des profits. ‘’Nous sommes un centre autonome qui a besoin de générer des ressources pour bien fonctionner. C’est dans ce cadre qu’on a été approché par des partenaires sportifs et financiers pour voir comment exploiter nos terrains pour satisfaire nos étudiants sur le plan sportif et faire des bénéfices. Lesquels seront partagés entre les différentes parties’’, explique Babacar Seck, Directeur du Cfpt Sénégal-Japon.
Pour attirer la clientèle, les investisseurs n’hésitent pas à casquer fort pour augmenter la qualité de service. Au complexe Be Sport, l’heure est à la rénovation. Pour faire face à la concurrence, les propriétaires sont en train de poser un nouveau gazon synthétique. ‘’Nous sommes en train de faire les finitions de la pause de la nouvelle pelouse d’un montant de plus de 100 millions de francs Cfa’’, explique El Hadj Dieng.
Des lieux ‘’idéals pour des retrouvailles’’
Aujourd’hui, en plus d’être un endroit pour la pratique du beau jeu, ils sont, pour certains, le lieu idéal pour des retrouvailles entre amis et collègues. ‘’Notre objectif, c’est de permettre aux travailleurs de pouvoir se détendre, à la descente, en pratiquant le sport dans de bonnes conditions, informe Pierre Dao, gestionnaire du complexe Temple du foot. Nos clients, ce sont souvent des groupes d’amis qui se retrouvent pour se détendre’’.
Des propos corroborés par Babacar Samb. Accroché à l’entrée de Dakar Sacré-Cœur, ce quarantenaire est un habitué de ces terrains privés. ‘’Le plus important pour nous, c’est de se retrouver dans un endroit tranquille pour faire du sport avec des amis. C’est des moments de retrouvailles entre amis, après une semaine de boulot’’, confie-t-il. ‘’Au moins, trois fois dans le mois, on prend un jour du week-end pour venir jouer’’, ajoute-t-il.
‘’Mbaxal’’ pour jouer
Pourtant, jouer sur ces terrains n’est pas donné à n’importe qui. Pour avoir le privilège de fouler ces pelouses, il faut débourser entre 30 et 90 mille francs Cfa pour une heure de jeu. Pour certains qui ont des terrains de 5×5, les grilles tarifaires sont fixées entre 30 et 50 mille francs Cfa. Pour les grands terrains, il faut entre 80 et 90 mille francs Cfa l’heure.
‘’Les prix sont fixés selon l’investissement que l’on fait, mais également avec les prix que proposent les concurrents’’, renseigne El Hadj Dieng de Be Sport.
Si certains, comme Babacar et ses amis, n’ont pas de problème avec les prix de location, une frange de la population, par contre, juge les tarifs chers. ‘’On veut y jouer toutes les semaines, mais nous n’avons pas la possibilité. La location est chère’’, lance Khadim, habitant de la Patte d’Oie.
Malick Diop et ses amis, à Grand-Dakar, quant à eux, ont une astuce pour avoir une heure de partie de foot sur un bon terrain gazonné. ‘’On préfère faire du ‘’mbaxal’’ (cotiser) 2 000 F Cfa par personne que de jouer sur du sable, confie-t-il. Comme on joue seulement pour le plaisir les week-ends, on ne va pas se bousculer avec les joueurs de navétanes sur les terrains de quartier. On cotise chaque samedi pour aller jouer sur un terrain privé’’.
Pour Pierre Dao, gérant de Temple Foot, les prix fixés sont raisonnables et chacun y trouve son compte. ‘’Nous avons des terrains de mini-foot. Ce sont des matches à 5 joueurs dans chaque équipe. Ceux qui ont les moyens vont venir avec ce nombre et se partager la somme à 10. D’autres vont venir à 15 et chacun va donner 1 000 F Cfa. Donc, tout le monde y trouve son compte’’, dit-il.
Un business fructifiant
A Dakar Sacré-Cœur comme dans les autres complexes sportifs de Dakar, les matches s’enchainent. Les week-ends, les rencontres peuvent se succéder jusqu’à 2 h du matin. Avec à 30 mille francs Cfa ou plus l’heure, ceux qui ont deux à trois terrains se frottent les mains. ‘’Si on investit autant d’argent dans ces projets, c’est parce que c’est un business qui marche. Il y a une forte demande et les gens apprécient nos services’’, confirme El Hadj Dieng.
D’autres, par contre, affirment le contraire. ‘’Les revenus ne sont pas aussi conséquents que les gens le pensent, par rapport aux investissements. Mettre en place un complexe sportif n’est pas à la portée de n’importe qui. Il faut casquer fort pour mettre en place des installations dignes de ce nom. C’est à long terme qu’on peut récupérer ce qu’on a investi. Rien que la pelouse coûte des centaines de millions sans compter l’entretien’’, renseigne un membre d’un célèbre complexe sportif sous le couvert de l’anonymat.
Un argument botté en touche par des habitués de ces terrains de football. La plupart des gens qui fréquent ces terrains privés soutiennent que les propriétaires gagnent des sommes colossales, alors que l’entretien laisse à désirer. D’autres pensent même que les prix sont très élevés par rapport à l’offre. ‘’Tout ce qui intéresse ces gens-là, c’est l’argent. Ils en gagnent beaucoup et leur pelouse et la logistique ne méritent pas de tels prix. Ils devraient revoir leurs tarifs’’, s’exclame Mouhamed Samb.
Dans tous les cas, ces terrains de football bien bâtis sont devenus la préférence des footballeurs amateurs de Dakar. Ce sont les endroits prisés par beaucoup de Sénégalais qui jouent pour le plaisir et ils sont prêts à mettre la main à la poche.
Mais aujourd’hui, c’est la dèche. Avec le coronavirus, toutes les activités sportives sont à l’arrêt. Avec l’interdiction des rassemblements, les complexes sont obligés de fermer porte. Des centaines de personnes mises au chômage technique. A Dsc, la mesure a touché 130 agents. ‘’Dès l’instant que nous fermons nos portes, on n’a plus de revenus, tout simplement. Vous comprenez l’ampleur de notre situation’’, soutenait Mathieu Chupin dans un entretien avec le quotidien ‘’Stades’’.
En réalité, même pour certains clubs de l’élite, les revenus tirés des complexes sportifs sont de loin plus importants que la vente de joueurs ou les rentrées d’argent provenant de la Ligue Pro. ‘’On n’attend pas beaucoup de la vente des joueurs et les primes des compétitions. L’essentiel de nos ressources vient de la location des terrains. Avec l’arrêt des activités, Dsc perd 70 % de son chiffre d’affaires’’, regrette M. Chupin.