Aboubacry Sow, DG de la Saed : «Le Covid-19 a des externalités négatives sur la production agricole»
Le directeur général de la Société nationale d’aménagement et d’exploitation des terres du Delta (Saed) fait le point sur la campagne de contre-saison sèche chaude dans la vallée du fleuve, marquée par des performances énormes en termes de surfaces emblavées. Dans cet entretien, Aboubacry Sow annonce par la même occasion des prévisions estimées à près de 300 mille tonnes de riz paddy attendues pour cette campagne. Dans ce contexte de coronavirus qui a impacté le secteur de l’agriculture en termes de manque de main-d’œuvre dans la vallée à cause de la suspension du transport interurbain, le Dg de la Saed estime que le Sénégal pourrait saisir l’occasion pour changer de paradigme et ainsi poser les jalons de son autonomie alimentaire par la mise en œuvre du Programme national d’autosuffisance en riz (Pnar).
Dans la vallée du fleuve Sénégal, les producteurs préparent la récolte dans le cadre de la campagne de contre-saison sèche chaude. Quelles sont les prévisions ?
Il faut dire que la campagne de Saison sèche chaude (Ssc) 2020 se déroule dans d’excellentes conditions jusqu’à présent. L’Etat, à travers le ministère de l’Agriculture et de l’équipement rural (Maer), a tout mis en œuvre pour lui assurer une réussite. Les producteurs et tous les autres acteurs sont bien engagés dans cette campagne. Les premières récoltes sont attendues en mi juin pour les premiers semis. Avec environ 49 mille 500 ha de superficies semées en riz, les productions attendues sont estimées à 320 mille tonnes de riz paddy environ.
Près de 49 mille 500 ha de terres emblavées, c’est un record. Qu’est-ce qui explique cette avancée ?
Cette grande avancée s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs qui sont : la maîtrise de l’eau qui est le premier intrant en matière de riziculture irriguée, les facilités offertes par la Banque agricole (Lba ex-Cncas) qui accompagne les producteurs dans le cadre de l’octroi du crédit pour près de 9 milliards de francs Cfa pour cette campagne de saison sèche chaude 2020, la mise à disposition à temps et en quantité des intrants, le renforcement du matériel d’irrigation et du parc de matériel agricole ainsi que l’amélioration de la base productive.
A noter aussi qu’en prélude de la préparation des campagnes agricoles, j’ai effectué une tournée dans toutes les délégations de la Société nationale d’aménagement et d’exploitation des terres du Delta (Dagana, Podor, Matam, Bakel et du Lac de Guiers) et l’occasion m’a été donnée d’échanger avec les producteurs, de visiter les projets et les réalisations de la Saed et de remobiliser notre dispositif de conseil agricole et rural. Pour chaque délégation, un état des lieux a été fait, les contraintes identifiées, et sur la base des objectifs, un plan d’actions a été élaboré. Et des innovations sont apportées dans notre démarche d’accompagnement des filières et des acteurs des collectivités territoriales, en les impliquant à tous les niveaux dans le processus de planification, de suivi et d’évaluation des campagnes.
Malgré les bonnes performances attendues, il y a quand même quelques inquiétudes à cause du péril acridien. Qu’en est-il exactement ?
La riziculture dans la vallée du fleuve Sénégal, à l’image des autres cultures, est sujette à de nombreux aléas. Parmi ceux-ci, il faut noter les oiseaux granivores qui occasionnent des dommages importants.
Ces attaques massives, quotidiennes et répétitives durant toutes les campagnes, essentiellement au moment du semis et de la maturité du riz, engendrent des pertes de rendements de l’ordre de 20% à 25%, voire plus à l’absence de toute protection.
Face à cette préoccupation majeure devenue une donnée permanente de gestion et de fragilité des systèmes de production, les producteurs continuent de développer des stratégies individuelles de gardiennage des parcelles (pose de filets, effarouchement etc.) et utilisent des méthodes alternatives (repiquage, synchronisation des semis).
L’impact et le préjudice liés aux dégâts des oiseaux granivores sur la culture du riz constituent un véritable fléau qui mobilise toutes les parties prenantes, aussi bien les exploitations agricoles familiales que les agro-industriels.
Raison pour laquelle la lutte s’organise à travers le comité de lutte anti-aviaire qui regroupe les principaux acteurs, notamment la Drdr (Direction régionale du développement rural), la Saed, la Dpv (Direction de la protection des végétaux) et le Ciriz (Comité interprofession riz) avec un élargissement aux prestataires de traitement. Des réunions se tiennent mensuellement à Ross Béthio au niveau de la Compagnie agricole de Saint-Louis (Casl). Sous la coordination du directeur de la Dpv, les acteurs discutent des voies et moyens permettant une lutte anti-aviaire efficace sur la culture du riz. Pour cette campagne de saison sèche chaude en cours, en plus des autres moyens de lutte usuels, le comité compte utiliser les drones pour le traitement aérien, et le premier test effectué la semaine dernière sur le dortoir de Pont Gendarme avec le prestataire Ats (Service technique aérien) a donné des résultats satisfaisants.
Est-ce que la pandémie du coronavirus a des répercutions sur les activités agricoles que vous supervisez dans la vallée ?
Evidemment, la pandémie du Covid-19 a des externalités négatives sur la production agricole, surtout en termes de pénurie de main-d’œuvre sur toute la chaîne de valeurs.
Comme vous le savez, la vallée draine une main-d’œuvre importante venant de toutes les contrées du Sénégal et des pays voisins. Mais avec les restrictions sur les déplacements, on aura des difficultés sur les récoltes dont 30% sont assurés par la main-d’œuvre extérieure, la lutte anti-aviaire et même la manutention au niveau des rizeries de la vallée. Dans l’optique d’un bon déroulement des opérations de récolte de la saison sèche chaude 2020 et en perspective d’une bonne préparation de la campagne d’hivernage 2020-2021, le Maer est très sensible sur l’urgence de renforcement du parc de matériels de récolte par l’acquisition de moissonneuses-batteuses à chenille.
En plus, cette pandémie a eu des effets négatifs sur la commercialisation de l’ognon et des quantités importantes sont restées en souffrance entre les mains des producteurs.
Beaucoup pensent que cette pandémie doit être une opportunité à saisir par l’Etat et les producteurs sénégalais pour travailler davantage pour une autonomisation alimentaire de notre pays. Qu’en pensez-vous ?
Effectivement, cette pandémie est aussi un moment d’introspection sur notre vulnérabilité alimentaire. On ne peut pas continuer à dépendre de l’extérieur pour notre alimentation au regard des avantages comparatifs dont notre pays dispose. Aujourd’hui, avec cette pandémie, il est clair que les grands exportateurs de riz comme la Thaïlande, le Vietnam et l’Inde vont revoir leur planification d’exportation. Cette situation va entraîner une tension sur le marché international du riz qui, du reste, est résiduel. Le riz est consommé là où il est produit. C’est la raison pour laquelle les eaux de surface, celles pluviales et souterraines de notre pays doivent être valorisées au mieux pour assurer notre souveraineté alimentaire.
D’ailleurs, c’est toute la pertinence du Programme national d’autosuffisance en riz (Pnar) qui vise à terme l’autosuffisance alimentaire. A travers ce programme, l’Etat change de paradigmes et crée les conditions pour l’émergence d’une riziculture performante capable d’assurer l’alimentation des Sénégalais. A cet égard, la Saed, en relation avec les acteurs et sur instructions du Maer, est en train de jouer sa partition dans la vallée du fleuve Sénégal. Les performances enregistrées ces dernières années en témoignent largement.
Un comité scientifique, constitué de l’Institut sénégalais de recherche agricole (Isra), le Centre du riz pour l’Afrique (AfricaRice), du Comité interprofessionnel riz (Ciriz), de la Fédération des périmètres autogérés (Fpa), des riziers, de la Lba et du Projet d’amélioration de la productivité du riz dans la vallée du fleuve Sénégal (Papriz), est mis en place pour réfléchir sur un programme de double culture du riz qui est la condition sine qua non pour booster la production.
A cet égard, les producteurs qui ont bénéficié d’aménagements réalisés par la puissance publique ont un rôle de premier plan à jouer.
Quelle est la situation pour les autres spéculations comme la tomate et l’ognon ?
S’agissant des cultures de diversification comme l’ognon et la tomate, il faut dire que les mises en valeur sont très bonnes et portent respectivement sur 8 000 et 2 100 ha pour ces spéculations. Les quantités produites en ognon portent sur près de 175 mille tonnes et pour la tomate sur plus de 60 mille tonnes dans la vallée du fleuve Sénégal. Ce sont des cultures de rente capables d’apporter des revenus substantiels aux producteurs et contribuent respectivement pour 60 et 50% des besoins en consommation au niveau national. Il faut cependant signaler quelques difficultés de commercialisation et de stockage pour l’ognon. A l’opposé, la filière tomate se porte très bien et est citée en exemple pour sa bonne organisation, facilitée par l’effectivité de la contractualisation avec les agroindustriels comme la Socas, Takamul food et Agroline.
Il faut aussi noter qu’il y a dans la vallée des filières en émergence telles que la pomme de terre, la patate douce, le manioc, le gombo etc.