Abdou Cissé, expert en actuariat et finance, apprécie le passage annoncé du Franc CFA à l’ECO à partir de juillet 2020. Près de trois ans après sa prédiction dans un article intitulé ’’Zoom sur la dimension internationale de notre monnaie’’, le F CFA’’, et publié sur ’’Financial Afrik’’ et ’’Réussir business’’, livre à Emedia.sn sa lecture sur ces changements annoncés. A ce propos, il pose l’interrogation selon laquelle si ces changements apporteront des solutions aux problèmes des Africains relativement à l’existence de la flexibilité monétaire ou pas.
Trois changements majeurs
Dans sa lecture, Cissé liste « 3 changements majeurs : le nom, la fin de la centralisation des réserves de changes, la fermeture des comptes d’opération, et le retrait des représentants de la France au sein de nos conseils. »
« Tout ça, analyse-t-il, c’est bien mais vigilance parce qu’un 4e point a été annoncé comme quoi nos chefs d’Etat ont la volonté de garder la parité fixe avec l’Euro. Et de maintenir aussi la garantie de convertibilité. Ce 4e point est d’une importance capitale. »
Poursuivant, Cissé ajoute : « Les questions que je pourrais me poser, la première peut être l’absence des autres chefs d’Etat par rapport à une forme d’annonce de ce genre, la présence de Macron. Donc, est-ce que vraiment on va changer quelque chose ? C’est une question qu’on se pose. La deuxième, c’est de savoir qu’elle est la contrepartie réelle du maintien de la garantie de la convertibilité. Parce qu’avant on avait un compte d’opération, on avait nos réserves, (qui) constituaient la contrepartie de la garantie de convertibilité.
Maintenant, ils disent qu’ils vont nous rendre nos réserves, ils vont fermer le compte d’avis d’opération. C’est bien. Au moins les jeunes africains qui se sont battus depuis plusieurs années, ont gagné quelque chose, qui n’est pas négligeable. Si la France veut continuer à nous garantir la convertibilité et à nous maintenir la parité fixe, il faut qu’on nous dise quand même exactement qu’elle est la contrepartie de ces deux-là.
« Cette contrepartie pose un vrai problème »
Les accords signés et qui définissent cette contrepartie, c’est ça que Ouattara ne nous a pas dit. Et ça, c’est fondamental. C’est ça dont on a besoin. J’imagine que peut-être à partir de demain, les chefs d’Etat de chaque pays vont quand même publier le document officiel qu’ils ont signé avec la France. De toute façon, on en a besoin. Sans ça, on ne pourra pas avancer. Cette problématique de contrepartie me pose un vrai problème. Parce que, lorsqu’on avait nos réserves de change chez eux, on établissait un bilan du compte d’opération. Donc, on avait un bilan, et on pouvait voir dans ce bilan ce qui se passait.
Aujourd’hui, ils nous promettent de nous rendre notre argent, de fermer le compte d’opération néanmoins on aura des accords parce qu’il y aura garantie de convertibilité et maintien réel de la parité fixe. Donc, il faut qu’on sache ce qu’il y a dans ces accords. Ce dont moi j’ai peur, c’est que ces accords si on les interprète techniquement on va finir par ce qu’on appelle un rapport-bilan. Donc, le passage du Franc CFA à l’ECO, techniquement, je vais l’interpréter comme étant un passage d’un bilan clair et net vers un hors bilan. Donc, principalement, on va quitter la Finance d’ordre 1 pour la Finance d’ordre 2. Mais ça on va y revenir, si ça nécessite vrai. »
Une troisième question qu’il se pose et qu’il tient à signaler : « (…) En gros, nous avons reçu des annonces mais on a l’impression qu’on a cherché à détourner le peuple de la réalité des chaînes qui nous attachent encore dans ce système monétaire. Pour cela, ils ont repeint et renommé une forme de niche (dont) ils ont brouillé la surface pour cacher le fond. Le fond, c’est les accords qu’ils ont signés par rapport à tout ça. On a besoin de ce fond et très rapidement.
La flexibilité, la clé
Maintenant, on va se poser la question de savoir mais ces changements est-ce qu’ils vont apporter des solutions aux réels problèmes des Africains ? Mais quels sont nos problèmes ? A mon avis, nous avons un problème fondamental en Afrique, c’est que nous n’avons pas accès à une flexibilité monétaire. Nous n’avons pas accès à des services publics monétaires. Je ne parle pas de taux de change flottant, non.
La flexibilité monétaire que je demande, n’a rien à voir avec ce taux. Pour cela, je vais donner un exemple très simple : au sortir de la 2e guerre mondiale, il faut comprendre que l’Occident était à reconstruire, particulièrement la France. En plus du Plan Marshall, la France, particulièrement, a bénéficié d’une flexibilité monétaire pour développer ses infrastructures, ses industries, et financer sa politique sociale sans avoir besoin d’emprunter sur les marchés financiers. C’est très important. »
Une mesure que l’expert explique par 3 sources : « la première, c’est ce qu’on appelait les avances de la Banque de France. C’était une création monétaire à hauteur d’une fraction des recettes fiscales que la France faisait. Chaque fin d’année, quand la France avait X pourcent de recettes fiscales, la Banque centrale lui autorisait de faire de la création monétaire à hauteur de 20% de ces X pourcent. Deuxième source de flexibilité monétaire, la France avait ce qu’on appelait le service gratuit par le circuit du Trésor c’est-à-dire le dépôt des avoirs des grandes entreprises nationales françaises, qui avait le devoir de déposer leur argent dans les caisses de dépôt. Et la France pour se financer avait le droit de puiser dans ces fonds. »
La pratique du plancher
La troisième source, « c’est ce qu’on appelle la pratique du plancher, qui obligeait les banques à acheter des bons du Trésor à des taux fixés par l’Etat français et non par les marchés financiers. Ces trois sources ont donné naissance à ce qu’on a vu au niveau de la France, qui s’est donc construite autour de cette flexibilité monétaire, et de l’acquisition de nos matières premières bon marché.
La zone F CFA n’a jamais bénéficié d’une telle flexibilité monétaire depuis les indépendances politiques. Ainsi, à l’échelle de l’arrimage, nous avons le droit au même traitement qu’il faut capitaliser et réclamer. C’est ça qui nous manque. Le problème, c’est est-ce que ces changements qu’on annonce vont nous apporter cette flexibilité monétaire. Non, je ne pense pas. Ce que nous attendons aujourd’hui, c’est la réalité des accords signés mais aussi que la Banque centrale nous définisse quelle est la politique monétaire qu’elle va mener pour qu’on dispose d’une flexibilité monétaire. C’est ça le fondement. Tout se passe là. »
Pourquoi on a besoin de cette flexibilité monétaire ? « Tout simplement parce que nous, on a tout à construire, il n’y a pas d’industries. C’est à reconstruire. Sans flexibilité monétaire, on ne pourra pas le faire ».