Aliou Sané, Y en a marre : ‘’Les Sénégalais s’attendaient à mieux’’

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Suppression prochaine du poste de Premier ministre, resserrement de l’attelage gouvernemental… Le nouveau coordonnateur du mouvement Y en a marre, Aliou Sané, livre son point de vue sur le remaniement postélectoral et ses conséquences. Dans un autre registre, le successeur de Fadel Barro, initiateur du concept ‘’Nts’’ (Nouveau type de Sénégalais) se réjouit du fait que, 7 ans après, le patron de l’Exécutif se rend compte que le développement passe par une citoyenneté et, par conséquent, un citoyen modèle. Interview !

Le président Macky Sall vient de procéder à un  remaniement avec comme faits marquants le resserrement de l’attelage gouvernemental et la suppression prochaine du poste de Premier ministre. Quelle lecture vous en faites en tant qu’activiste ?

Je ne sais pas s’il faut appeler cela resserrement de l’attelage gouvernemental, parce que quand même, les Sénégalais s’attendaient à mieux. Du moment où Macky Sall en est à son second et dernier mandat, c’était l’occasion pour lui de marquer son temps et de laisser une empreinte. Il a cette opportunité historique et les gens commençaient à se dire que, pour une fois, il allait tenir sa promesse de faire un gouvernement de 25 ministres avec des Sénégalais choisis de par leurs compétences. Je sais qu’il y en a au Sénégal et dans la diaspora qui puissent conduire sa vision pour réaliser des choses qui soient à la hauteur des attentes des Sénégalais.

Là, on a déjà un gouvernement de  ministres et secrétaires d’Etat, et on ne sait pas ce qui va suivre, parce que Macky Sall nous a habitués aussi à monter un gouvernement et que, chemin faisant, on se retrouve avec plusieurs autres secrétaires et ministres d’Etat. Donc je pense que le terme resserrement est à relativiser parce que quand-même, il est à 35 ministres. Les gens s’attendaient à 25 ministres au plus. Et c’est possible d’avoir 25 bons ministres, des technocrates. C’est un gouvernement quand même politique. On avait pensait que ce serait composé en majorité de technocrates.

On ne peut pas le lui reprocher. L’important est que Macky sera jugé à la fin de ce quinquennat. En termes déjà sur des priorités sur l’emploi des jeunes. Il avait promis, lors de son premier mandat, 500 000 emplois. Qu’en est-il ? Aujourd’hui, il promet 1 million d’emplois. Pour moi, c’est sur ces questions fondamentales qu’il sera jugé. Il sera jugé sur la question de l’éducation.

Justement, par rapport à cette promesse-là, beaucoup pensent que c’est utopique, dans la mesure où il n’y a pas d’industrialisation capable de pourvoir ce nombre d’emplois. Etes-vous du même avis ?

On est d’avis sur ça ! C’est pourquoi les gens prennent cela avec des pincettes. Mais on attendra de voir les mécanismes qu’il mettra en place pour en juger. Et il sera jugé à la fin de son mandat. Pour l’instant, on ne peut préjuger de rien du tout, mais toujours est-il que, malheureusement, les Sénégalais ont été habitués à des slogans fantaisistes et des effets d’annonce. Déjà, avec les 500 mille emplois du dernier septennat, cela peut donner des raisons d’être sceptique. On attendra la fin de son mandat pour apprécier.

Il y a aussi la question de l’enseignement supérieur et tout ce qu’il y a eu sous le premier mandat de Macky Sall. Deux étudiants ont perdu la vie (Bassirou Faye, Fallou Sène) en se battant pour des causes justes. Même si, par la suite, il y a eu des pourparlers avec les étudiants et il a posé des actes pour apaiser.  Mais, dans la durée, la problématique de l’enseignement supérieur doit être revue.

A ce propos, est-ce que la nomination de Cheikh Oumar Hann, très critiquée, ne risque pas de rajouter de l’huile sur le feu ? 

La nomination de Cheikh Oumar Hann, dans la symbolique, qu’est-ce que cela nous renvoi ? Il a été directeur du Coud. Des corps de contrôle de l’Etat l’ont épinglé sur sa mauvaise gestion, à la limite sur de la surfacturation. Aujourd’hui, il est porté à la tête de l’enseignement supérieur. Quelle est le message qui est donné à ceux qui arrivent aux commandes ? Cela veut dire que si je suis de l’Apr ou un de ses alliés, je peux me permettre des excès dans le cadre de ma gestion et même si les corps de contrôle de l’Etat m’épinglent, au finish, mon dossier se retrouvera sous le coude du président.

Mais il y a aussi un cas contre, avec Mame Mbaye Niang dont beaucoup disent qu’il a été emporté par le scandale du Prodac…

Pour le cas de Mame Mbaye Niang, je pense que c’est une opportunité pour que la lumière soit faite sur ce dossier-là (le Prodac). On espère que le fait qu’il n’est plus ministre, cela permettra d’aller au fond des choses afin que toute la lumière soit faite sur le dossier du Prodac où on parle de plusieurs dizaines de milliards.

Pouvez-vous nous lister vos attentes en termes de réforme ?

Je pense que c’est le moment, pour Macky Sall, d’engager des réformes pour consolider la démocratie sénégalaise. Aujourd’hui, il va être amené à engager une réforme qui va supprimer le poste de Premier ministre. Là où les Sénégalais l’attendent, c’est sur des réformes qui consacrent l’indépendance de la justice. Les gens continuent de penser que le président de la République doit quitter le Conseil supérieur de la magistrature. Que les magistrats eux-mêmes puissent apporter les transformations qualitatives qu’il faut. Parce qu’on a des gens valeureux au sein de notre justice. Tant que le président restera à la tête de ce conseil-là, qui décidera de la carrière des magistrats, il y aura toujours problème, même dans la perception des Sénégalais. Je pense que ce n’est pas une fin en soi, mais cet acte doit être posé. Ce sera un premier acte fort qui donnera des raisons de penser que, chemin faisant, on pourra avoir une justice qui sort un peu du joug de l’Exécutif. Une justice qui est utilisée à des fins politiques, et on l’a très souvent vu sous Macky Sall.

On a entendu, ce matin, le nouveau ministre de la Justice promettre de lutter personnellement contre les longues détentions préventives. Pensez-vous qu’il est sur la bonne voie ?

C’est une question qui tient beaucoup à cœur Y en a marre et Malal Talla qui travaillent beaucoup sur cette problématique. Parce que c’est une question fondamentale, puisque nos prisons sont surpeuplées. Et je pense qu’on doit réfléchir sur ça. Dans beaucoup de pays, on parle des peines alternatives, c’est-à-dire il y a des gens qui sont en prison et qui attendent leur procès. Je pense que, selon le cas, on devrait voir dans quelles conditions ces détenus peuvent bénéficier de peines alternatives. En termes de personnel, la justice n’a peut-être pas assez de ressources humaines, d’où la pertinence de réfléchir sur cette option. Il y a beaucoup d’associations de défense des Droits de l’homme qui travaillent sur cela, mais il n’y a jamais eu d’avancées significatives.

Si le ministre l’annonce, on s’attend à ce qu’il se concentre davantage sur la question des peines alternatives qui permet de désengorger les prisons et que ces milliers de Sénégalais qui croupissent en prison dans l’attente de leur dossier, soient fixés sur leur sort. Parfois, il arrive qu’une personne soit en détention préventive pendant 5, 6 ans et que, finalement, on se rend compte lors de procès qu’il est innocent. Il perd 6 années de sa vie parce qu’il est resté 6 ans à attendre d’être jugé. Il faut poser ces actes-là et nous estimons qu’il est possible de le faire, c’est juste une question de volonté politique.

Maintenant, la campagne est finie. Ce quinquennat, c’est celui de l’action et c’est sur ça qu’il est attendu sur ce point-là comme sur d’autres points.

Il est dans cette logique d’accélération, puisqu’il veut inscrire son quinquennat sous le sceau du «fast tract»…

‘’Fast tract’’, c’est super ! Tellement de slogans sous Macky Sall ! Je pense qu’il faut en finir avec les slogans et être dans l’action. On a eu droit à beaucoup de slogans : ‘’fast track’’, ‘’gouvernance sobre et vertueuse’’, ‘’accélération de la cadence’’, la ‘’patrie avant le parti’’, ‘’resserrement organique’’, alors qu’en réalité on voit le nombre de ministres (35) et on ne sait pas à quoi s’attendre dans les jours à venir. Mais, encore une fois, Macky Sall a une opportunité pour vraiment travailler à apporter des réponses concrètes aux problèmes des Sénégalais. Et au-delà de ça engager les réformes qu’il faut. Il a l’opportunité d’être du bon côté de l’histoire ou du mauvais ; c’est à lui de choisir.

Je m’attends à un gouvernement qui s’attèle à travailler, pas à faire de la politique. Macky a 5 ans et c’est son dernier mandat. Il n’y aura pas de troisième mandat. Il a l’opportunité d’entrer dans l’histoire, de laisser sa marque comme celui qui aura contribué à l’émergence du Sénégal au-delà du simple slogan. Que les Sénégalais sentent leurs conditions de vie améliorées. Que la ménagère le sente dans son panier. Que les jeunes aient une formation, une qualification et qu’ils puissent travailler. Qu’il crée les conditions de cette industrialisation qui permettra de créer de l’emploi pour les jeunes. Ça, c’est important ! Le problème, dans ce pays, c’est le système : un Exécutif qui a une mainmise sur le pouvoir Judiciaire et un pouvoir Législatif aussi qui ne joue pas son rôle également.

Avec  la suppression du poste de Premier ministre, ne pensez-vous pas qu’on risque de se retrouver avec une hyper présidentialisation ?

On ne sait pas encore ce qui sera dans le texte qui sera présenté à l’Assemblée nationale. Mais tout porte à croire qu’on va vers un régime présidentiel très fort ; le président va être renforcé davantage. Pour nous, la première conséquence qui doit découler de cette réforme, c’est que Macky Sall démissionne de la tête de l’Apr. Cela devrait être la première mesure qui doit en découler. L’autre chose aussi, c’est que si le Premier ministre saute, c’est un fusible qui saute, un rempart. Parce que le Premier ministre jouait le rôle de filtre. Maintenant, le président doit être prêt à faire face aux Sénégalais. Maintenant, on attend de voir ce que ce texte donnera.

L’autre chose est qu’il y a de bons points aussi dans l’attelage gouvernemental, avec le retour par exemple de Matar Cissé. Tout le monde a loué le travail qu’il a fait à la Senelec. Il y a de l’espoir qu’il puisse travailler à cette importante station qui lui a été confiée. On voit quand même qu’il y a des jeunes qui ont été promus. C’est important de faire confiance à la jeunesse. Maintenant, le ministère de la Jeunesse, on voit que ça reste politisé.

Il y a aussi la question de l’éducation à la citoyenneté. Le président Macky Sall en a parlé lors de son discours d’investiture, le civisme, l’environnement, l’amélioration du cadre de vie. Sur la nomenclature du gouvernement on ne sent pas ce choix-là. Vu la place que cela a occupé dans son discours, on s’attendait à ce qu’il y ait un ministère fort qui puisse s’attaquer à ces problématiques. Sans l’éducation à la citoyenneté, le civisme, pas de développement. On a vu le Rwanda avec Kagamé. Mais cela aussi, il faut qu’au-delà du discours et des slogans, il faut faire montre d’un leadership. Donner un cap à la jeunesse sur ces problématiques là et les engager à arriver à cette qualité de citoyenneté-là. Je pense que Kagamé le réussi bien au Rwanda. Ce sera peut-être par la contrainte ou des mesures sévères, mais ce sera surtout par un leadership qui inspire les citoyens sénégalais à se dire : ‘’Si ce pays se développe, c’est parce que j’aurai contribué à le développer en étant un citoyen modèle qui respect les institutions, l’environnement, qui lutte contre la corruption.’’

Par rapport à cette problématique, en tant que membre de Y en a marre qui travaille beaucoup sur cette question, est-ce que vous serez prêt à apporter votre pierre à l’édifice ?

Vous savez, le premier projet que Y en a marre a développé quand Wade est parti et que Macky est arrivé, et qu’on avait choisi de ne pas entrer dans le gouvernement, c’est l’introduction de clubs citoyens dans les écoles. Parce qu’on avait déjà commencé à faire le tour des écoles et on se rendait compte que le drapeau national ne flottait plus. Il n’y avait plus de drapeau alors qu’à notre époque, on se rappelle, quand on était jeune, la montée des couleurs. Au-delà du fait que Macky Sall donne le ton avec le premier lundi de chaque mois, il était important que dans les faits, dans les écoles, des programmes soient engagés pour plus de civisme, pour l’éducation à la citoyenneté chez les jeunes.

Le Nts (Nouveau type de Sénégalais) dont on parle, on estime que pour arriver à cette qualité de citoyenneté, il faut miser sur les plus jeunes. A travers ce projet, on voulait que les enfants rivalisent d’ardeur dans les écoles, dans les clubs citoyens, à travers les jardins potagers qu’on avait commencé à aménager dans les écoles pour familiariser les jeunes avec l’environnement, avec les plantes. On avait aussi initié une charte des clubs citoyens pour que les élèves s’engagent à préserver le cadre de vie à travers le ramassage des ordures et autres activités et, à la fin de chaque année, on prime les écoles qui se singularisent. Mais malheureusement cela n’a pas pu prospérer. Cela ne nous a pas empêché de travailler sur d’autres activités d’éducation à la citoyenneté.

Dans ce même sillage, vous avez vu les petites capsules qu’on tournait «Doxa k sa gokh» sur le civisme, le respect du bien public. L’objectif était parfois, à travers  ces petites capsules de 3 minutes, de choquer parfois pour provoquer un changement de comportement. C’est une capsule qu’on diffusait dans une télé de la place, mais après on s’est rendu compte que ce n’était pas une priorité pour cette chaîne. On a décidé de les diffuser sur les réseaux sociaux.

Toujours sur la problématique de l’éducation à la citoyenneté, depuis deux ans aussi, on est en train de travailler dans la banlieue avec une vingtaine d’associations de quartiers. Chacune s’occupe de problématique : l’environnement, le cadre de vie, assainissement. Vous allez voir les scouts du Sénégal qui sont en train de reboiser le littoral et d’autres associations qui aménagent des jardins publics, des espaces verts à Guédiawaye, à Pikine, Malika.

On estime que c’est bien que Macky se rende compte, 7 ans après, qu’il ne peut pas construire le Sénégal dont on rêve sans une jeunesse qui prenne conscience de sa responsabilité dans ce processus-là. Pour y arriver, il faut un leadership, il faut faire rêver les jeunes et les engager dans la réalisation de ce rêve-là. Maintenant, s’il veut s’inscrire dans ce processus pour ce quinquennat, c’est super ! Regardez en Afrique les pays qui sont en train d’émerger, la discipline de leurs populations : Cap-vert, Ethiopie, Rwanda. Là-bas, on ne jette pas des ordures dans la rue.

Vous avez élaboré un certain nombre de concepts dans ce sillage comme le Nts et jusqu’à présent on ne voit pas ce citoyen modèle. N’est-ce pas un échec ?

Vous savez, le changement social c’est un processus et nous Y en a marre on n’a pas la prétention et on n’a certainement pas les leviers qu’il faut. On ne gère pas le pouvoir et on n’élabore pas la politique de la nation. On est juste un mouvement citoyen qui a un rêve pour ce pays, qui pense qu’au-delà d’exercer une pression sur l’autorité, il faut aussi que les citoyens prennent leurs responsabilités. Il faut que ces citoyens si disent que si la rue est sale c’est parce que je pisse dans la rue, je jette mon gobelet de café-Touba dans la rue. Maintenant moi en tant que citoyen, ma responsabilité est de respecter le bien public. Il faut aussi exiger de la municipalité qu’il y ait des bacs à ordures. Le citoyen a beau prendre conscience de sa responsabilité dans la préservation du cadre de vie, mais il faut surtout qu’il y ait des politiques au niveau des collectivités locales qui puissent accompagner cela.

Il y a des projets qui n’ont peut-être pas marché, mais on a travaillé à prêcher par l’acte. Vous voyez, sur toutes les manifestations que Y en a marre organise, après la rencontre, l’une des images qui reste c’est tous ces jeunes qui restent sur place pour faire en sorte que les lieux soient beaucoup plus propres qu’ils ne l’étaient. Peut-être que cela peut paraitre banal, mais pour nous c’est des actes forts que l’on pose pour inspirer d’autres jeunes. Vous avez vu lors des meetings politiques ou des matches de l’équipe nationale, à la fin, les gens essaient de rendre les lieux propres. C’est déjà bien si des citoyens copient Y en a marre sur des actions citoyennes. Pour nous le Nts c’est aussi ce citoyen qui rompt d’avec le fatalisme et qui s’engage davantage à participer à prendre place dans les instances de décision. Par exemple, dans le cadre de «Dox ak sa gokh», on a travaillé à rapprocher les populations des élus. La plupart des jeunes notamment se disent que participer à l’élaboration du budget municipal par exemple, c’est l’affaire des politiciens. A travers «Dox ak sa gokh», «Wakh ak sa maire», on a beaucoup travaillé à ce que les jeunes sachent qu’au niveau local, il faut s’intéresser à la gestion de la chose publique.

 

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