Liberté pour Abdou Karim Gueye …Lettre ouverte au Président Macky Sall
Monsieur le Président,
Abdou Karim Gueye a certainement tort d’avoir tenu ses propos, mais la démocratie a toujours été sujette aux abus. Sans abus de liberté, il y a abus de pouvoir, mais n’est-il pas préférable de souffrir l’abus de quelques citoyens que d’être écrasé par l’abus du pouvoir ?
Monsieur le Président rappelez tous les discours que vous avez tenus entre 2008 et 2012 ! Pouvez-vous regarder les Sénégalais dans les yeux et leur dire que les propos de Karim sont plus intolérables que les vôtres ?
Monsieur le Président l’exercice du pouvoir est déjà en soi une forme de violence, vous devez alors comprendre que certains citoyens soient amenés à faire certains dérapages parce qu’excédés et désarmés face au pouvoir. L’insolence de quelques citoyens n’est pas une faute individuelle : elle est imputable à la nation et à l’État. Nous savons tous que le niveau du débat politique dans ce pays n’est pas ce qu’il aurait dû être.
Notre démocratie à failli à certaines de ses obligations : nos enfants nous renvoient une certaine image de notre propre être. Nous avons éduqué notre peuple dans la communication violente ; et nous devons par conséquent avoir la grandeur d’esprit de supporter l’insolence que nous n’avons pas réussi à congédier du langage par et dans lequel nous éduquons nos enfants…
Monsieur le Président, l’État doit pouvoir sanctionner, c’est vrai ; mais la nation doit pouvoir passer sous silence certains dérapages. L’État est forcément jaloux de sa prépotence, mais la nation est mère, et comme toute mère, elle couve sans inspirer le libertinage. Le jour où la nation aura besoin de toutes ses forces vives, l’État devra expier sa férocité envers les fils de la nation. Un État trop revanchard ne réussira jamais à briser son peuple ; en revanche il enlève progressivement le sentiment national aux citoyens. Chaque jour, dans les grandes démocratie, les institutions sont injuriées ; c’est regrettable bien sûr : mais la démocratie requiert un esprit de dépassement.
Monsieur le Président méfiez-vous de ceux qui vous disent « Dura lex, sed lex ». Si voulez incarner votre statut de clé de voûte des institutions et de ciment de notre nation, veuillez préférer la sagesse de Portalis : « une excessive rigueur dans l’administration de la justice aurait tous les caractères d’une tyrannique oppression : summum jus, summa injuria. Le bien se trouve entre deux limites ; il finit toujours où l’excès commence ». Père du Code civil français, cet avocat et philosophe du droit, a préféré avoir une approche humaniste de l’adage prêté à Cicéron. Faut-il le rappeler, la loi, la justice, la prison, etc., ne sont que des moyens dont la communauté se sert pour préserver le dignité et la liberté de l’homme ? Or Monsieur le Président, votre régime envoie trop de monde, et trop vite, en prison. Cette attitude irascible n’est pas compréhensible en démocratie surtout dans un pays comme le Sénégal.
Monsieur le Président nous ne sommes guère apôtre de l’anarchie et de la licence, nous voulons simplement rester humaniste. La privation de la liberté en démocratie doit être le dernier recours. Monsieur le Président, la force qui doit adoucir les cœurs et chasser les angoisses ne doit pas être une source de haine et de division. Toute force devient faiblesse lorsqu’elle n’est pas balancée par l’esprit de justice qui, n’est pas forcément dans le « tout-justice ». La justice institutionnelle et répressive n’est pas la seule source de justice. Et ce que la justice ne peut régler sans dommage pour la cité peut être confié à l’Amour.
Monsieur le Président, Abou Karim Gueye est certes justiciable comme tous citoyen, mais il a droit à la clémence de la nation comme les autres ! Les dérives langagières, les écarts de comportement de certains citoyens, les polémiques virulentes, constituent le feu d’artifice dans une démocratie. Nos opinions sont diverses, la manière de les exprimer également : gérer cette diversité, c’est aussi accepter de souffrir les abus.