Application des mesures du Pres : Habib Ndao relève des contraintes

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Dans le cadre du Programme de résilience économique et sociale (Pres), l’Etat a pris une série de mesures pour accompagner les ménages et les entreprises. Décortiquant lesdites mesures dans cet entretien, Habib Ndao, secrétaire exécutif de l’Observatoire de la qualité des services financiers (Oqsf), relève des difficultés dans leur application. Des contraintes pesant aussi bien sur l’Etat, les établissements de crédit, que sur la Bceao.

En date du 15 avril 2020, en plein Conseil des ministres, le chef de l’Etat a donné des directives fermes au ministère des Finances et du budget, celui de l’Economie et à l’Oqsf que vous dirigez, en vue d’engager des consultations avec la Bceao, l’Apbef, l’Apsfd pour faire face à l’impact du Covid-19 sur les ménages et les entreprises.
Qu’en est-il de ces consultations avec les acteurs ?
Nous avons entamé ces consultations sans délai. Dans les heures qui ont suivi la publication du communiqué du Conseil des ministres, nous sommes entrés en contact avec l’ensemble des acteurs.
Dans le contexte actuel de crise sanitaire, les mesures macroéconomiques et multisectorielles déjà prises par le chef de l’Etat, à travers le Programme de résilience économique et sociale (Pres), contribuent à renforcer la résilience des différents agents économiques, à relancer la consommation et à stimuler l’investissement pour que l’activité économique ne soit pas plombée.

Quelle a été la démarche des consultations ?
La démarche a été inclusive. C’est ainsi que l’Observatoire de la qualité des services financiers (Oqsf), soucieux de la préservation de la relation de confiance entre clients et établissements de crédit, a décidé d’engager de larges consultations avec les acteurs du secteur financier conformément aux directives présidentielles du Conseil des ministres du 15 avril 2020 : consultations allant des services des ministères des Finances et du budget, de l’Economie, du plan et de la coopération, de la Microfinance jusqu’aux associations consuméristes, en passant par la Bceao et l’Association professionnelle des banques et établissements financiers (Apbef) ainsi que l’Association professionnelle des systèmes financiers décentralisés (Apsfd).
Je saisis d’ailleurs l’occasion pour saluer le sens des responsabilités et du patriotisme des acteurs de l’écosystème financier et surtout des autorités monétaires qui, dès le 28 février 2020, ont pris des mesures fortes.

Pouvez-vous être plus précis sur les mesures prises par l’Etat, les établissements de crédit et par le Régulateur régional la Bceao.
En ce qui concerne l’Etat, une facilité de trésorerie de 200 milliards de francs Cfa a été mise en place pour les entreprises en difficulté, en plus du report d’échéances et de l’annulation d’impôts et taxes. Pour sa part, l’Oqs a entrepris des campagnes d’explication des mesures à travers des relais, tels que les associations de consommateurs et de recueillir leurs préoccupations, leurs attentes et le cas échéant, leurs propositions alternatives. Après, ce sera le tour de la presse comme ce que nous sommes en train de faire avec vous. Concernant les concertations avec les acteurs des établissements de crédit, les mesures suivantes ont été prises : l’augmentation des ressources mises à la disposition des banques, afin de permettre à celles-ci de maintenir et d’accroître le financement de l’économie ; l’élargissement du champ des mécanismes à la disposition des banques pour accéder au refinancement de la Banque centrale ; le report d’échéances sur les prêts accordés aux salariés du secteur privé ainsi qu’aux entreprises dont les revenus et activités ont été négativement impactés par le Covid-19, pour une période renouvelable une fois de 3 mois, sans frais, ni pénalité de retard. Je précise cependant que les salaires des fonctionnaires n’ont pas été impactés.
Les agents économiques souhaitant bénéficier de ces facilités sont invités à prendre contact dans les plus brefs délais avec leurs institutions respectives par tout canal approprié (téléphone, courriel, etc.) ;
Enfin, au titre des consultations menées avec les différentes associations de consommateurs (Ascosen, Acsif, Uncs, Adeteels, Asub), l’Observatoire a recueilli leurs propositions suivantes : la généralisation du report du remboursement des prêts à tous les clients, quel que soit le secteur d’activité ou le revenu, à l’effet d’élargir l’assiette des ménages bénéficiaires ; une révision à la hausse de l’enveloppe financière destinée aux entreprises affectées par le Covid-19 (actuellement de 200 milliards de francs Cfa qui sera logé en partie au Fongip) en vue d’assurer une plus grande couverture des besoins de certains secteurs et segments de l’économie.
Mais j’avoue qu’à côté des efforts, il y a des contraintes qui pèsent sur chaque acteur à des degrés divers.

Quelles sont ces contraintes qui pèsent sur l’Etat dans l’application des mesures ?
L’Oqsf, dans sa mission d’alerte et de veille sur les services financiers, a évalué les efforts et les difficultés de chaque acteur.
Nous avons partagé avec les consuméristes les mesures prises et leur avons expliqué les contraintes relevées et qui rendent difficile l’applicabilité de leurs propositions.
Du côté de l’Etat, il y a lieu de mentionner les contraintes liées à notre appartenance à une union économique et monétaire, l’existence d’une activité bancaire libéralisée, le coût sanitaire élevé de la pandémie supporté par l’Etat ainsi que la baisse des recettes publiques. Les efforts de l’Etat pour soulager les besoins de financement des agents économiques sont multiformes. En plus des vacances fiscales, l’Etat a mis en place un dispositif de financement de la Trésorerie rapide de 200 milliards de francs Cfa en soutien aux entreprises affectées d’une baisse de 33% de leur chiffre d’affaires suite à cette pandémie.

Et du côté des établissements de crédit qui sont présumés liquides, un report d’échéances généralisé doit être possible ?
Il faut ajouter «liquides d’argent d’autrui». L’activité des banques c’est quoi ? C’est recycler les dépôts de Demba en crédit pour Samba. Quant au report généralisé d’échéances tel que réclamé par les organisations consuméristes, des obstacles majeurs pourraient peser sur les établissements de crédit et les institutions de microfinance au titre desquels : les contraintes de liquidité monétaire suffisante pour combler le gap lié au report malgré le dispositif de refinancement mis en place par la Bceao dans les pays de l’Union ; la baisse du portefeuille des institutions de crédit avec une estimation à près de 1250 milliards de francs Cfa rien que pour la suspension des échéances de prêts sur une période de 3 mois au niveau des banques et de 120 milliards de francs Cfa pour les Sfd ; la différenciation du profilage des risques de la clientèle (public/ privé/ informel) ; la prise en compte de la dimension risque pour les opérations de restructuration de dette notamment pour les clients déjà exposés au surendettement.

Et la Bceao dans tout cela ?
N’oublions pas que la Bceao, qui est le Régulateur de notre Union monétaire, supervise plus de 150 banques au sein de l’Uemoa. A noter que la Bceao ne peut pas prendre des mesures uniquement pour un Etat de l’Union.
Les efforts additionnels fournis par la Bceao sont louables : car elle a injecté plus de 5000 milliards de francs Cfa dans le système financier, et mis en place un dispositif permettant aux trésors d’émettre des titres appelés «Bons Covid 19» avec une maturité de 3 mois.
En effet, la Banque centrale a mis sur pied un dispositif de suivi et de facilitation dénommé «Dispositif Covid-19», à l’intention des entreprises qui auraient des difficultés de financement avec leurs partenaires bancaires du fait de la pandémie du Covid-19. Il s’agit principalement de celles qui n’ont pas pu obtenir un accord avec leurs banques partenaires, pour le report d’échéances de leurs engagements.
Aussi, pour accroître la liquidité en faveur du secteur de la microfinance constitué pour l’essentiel de couches vulnérables, le guichet spécial de refinancement des effets portés sur les Pme a été élargi aux créances bancaires détenues sur les institutions de microfinance.

Quelle partition joue l’Oqsf dans la stratégie mise en place par les autorités ?
Notre partition, pour assurer une bonne mise en œuvre des mesures de report d’échéances au profit de la clientèle, consiste à déployer une campagne de communication et d’information à travers notamment la diffusion de communiqués de presse et la mise au point en interne d’un guichet de conseils et d’orientations à partir du numéro vert (800 880 880). Ce guichet est déjà opérationnel et enregistre quotidiennement des centaines de requêtes d’informations sur le report d’échéances.
Il faut noter que le volet «sensibilisation» sur les mesures de résilience économique et financière destinées à la clientèle est conforme à notre mission d’éducation financière.
Nous avons vu que vous faites partie des premiers intellectuels africains à soutenir l’édito de Macky Sall relatif à l’effacement de la dette africaine, quel est le fondement de votre argumentaire ?
Cette dette est considérée par l’intelligentsia africaine comme étant déjà payée depuis très longtemps. Pour la dette bilatérale, il est heureux que les instituions de Bretton woods ont été les premières à amplifier l’appel du Président Macky Sall et ont eu à proposer leur garantie aux pays créanciers à coordonner avec rigueur le processus d’annulation au cas par cas. Au-delà de cette opinion que je partage, il faut montrer aux capitalistes que sur le plan économique, comme le dit le Président Macky Sall, je le cite : «Si l’Afrique tombe, le Monde entier tombe» eu égard à la globalisation de l’économie mondiale. L’annulation de la dette africaine permet une relance de sa machine économique qui est ombélicalement arrimée à la croissance mondiale.

Etes-vous pessimiste sur l’environnement économique après Covid-19 ?
Je vais vous surprendre, car je reste optimiste sur l’avenir de l’humanité. Pourquoi ? Evidemment rien n’est et ne sera plus comme avant certes. Cependant, à mon humble avis, cette assertion de Karl Max qui disait que «le capitalisme porte en lui-même les germes de sa propre destruction» est dépassée car le capitalisme, depuis la fin du 20ème siècle, a su transformer chaque crise en une grosse opportunité d’aller plus loin, avec des reins plus solides. Le monde va forcément vers un nouvel ordre économique plus égalitaire plus solidaire et plus centré sur l’humain. Ce nouvel ordre doit commencer à l’intérieur des Etats, c’est ce que certains leaders, comme le Président Macky Sall qui a compris en intégrant dès 2012 dans sa politique économie, la stratégie de réduction des inégalités sociales et la lutte contre les disparités régionales, un nouvel ordre économique ne sera viable que si cette dimension est prise en compte dans les relations internationales post Covid-19.
Il faut noter que l’Etat du Sénégal, malgré les 1000 milliards déjà mobilisés, continue de chercher des fonds additionnels pour faire face davantage à l’impact du Covid-19 sur les populations et sur l’économie nationale au-delà des 6 mois. L’ensemble de ces mesures visent d’abord à protéger les ménages et ensuite à assurer une continuité de l’activité économique dans sa globalité.

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