Cent vies, cent morts.
Pas de vie sans la mort.
L’ai-je bien aimé ? L’ai-je assez aimé ? L ‘ai-je écouté ? Lui ai-je donné de mon temps ?…
Autant de questions que l’on se pose quand la mort survient. Quand elle nous touche de plein fouet, emportant un être aimé… qui s’en va avec ses mystères. Un être aimé qui plus jamais ne répondra aux questions que l’on voudrait tant lui poser. Un être aimé qui s’en va, nous laissant dans un brouillard épais, dans une nuit noire. Qui s’en va nous laissant hagard, hébété, interdit. Et l’on erre triste, désespéré, impuissant. Amputé de son affection, avec le sentiment que rien ne sera plus jamais comme avant. Cet être aimé nous laisse avec un sentiment de rendez-vous manqué. On aurait voulu lui poser tant de questions, lui dire tant de choses…
On voudrait que le temps s’arrête, on aimerait rembobiner le fil de la vie, remettre le compteur du temps à zéro, pour aimer plus, aimer mieux.
Pourtant, passée la douleur, on renoue avec la vie, avec l’insouciance, avec les joies, avec la farandole du présent. La course folle vers l’éphémère reprend. On s’enivre de plaisirs futiles. Le souvenir de l’être aimé s’estompe, jusqu’à ce qu’il devienne abstrait.
On se perd dans des querelles stériles, dans des luttes mortifères qui laissent le cœur aride, les yeux secs.
Et l’on oublie la mort qui a fauché parents, amis, voisins, collègues de travail … Elle, qui chaque jour, arrache à notre affection des têtes connues, des visages aimés. Elle est et restera un grand mystère, une des plus grandes manifestations de la puissance divine telle que la vie, le flux et le reflux de la mer, l’alternance du jour et de la nuit…. Le Coran (Sourate 67 La Royauté, verset 24) nous prévient : c’est Lui qui vous a répandus sur la terre et c’est vers Lui que vous serez ramenés » …Qu’à cela ne tienne, nous vivons comme si nous étions éternels, sûrs de nous réveiller demain, après demain et tous les jours suivants…Mortels que nous sommes. En oubliant que le clap final peut survenir à tout moment.
La faculté d’oublier la mort nous permet de panser nos blessures, de dépasser nos meurtrissures, de reprendre goût aux choses de la vie, d’avancer léger. Que serions-nous si nous devions pleurer nos morts tous les jours ?
Ce même oubli, ce déni, cette propension à se croire immortels, expliquent la stupeur et l’effroi dans lequel on est plongés à l’annonce d’un décès.
Et l’on se sent fragiles et vulnérables. On est si peu de choses… On se promet d’aimer plus, d’aimer mieux les êtres qui nous entourent. Leur amour, leur tendresse nous aident à panser notre douleur, à continuer de vivre, à accepter. On se remet à croire en l’humain.
« Tu n’es plus là où tu étais, mais tu es partout là où je suis » nous dit Victor Hugo. Y a-t-il plus belle invite à continuer à chérir nos morts après les avoir tant aimés de leur vivant ?
Si seulement nous étions dotés de la faculté de faire revenir nos morts, sans doute les aurions-nous aimés de tout notre être.
Chaque être humain est un mort en sursis. Dieu nous prête la vie. Il la reprendra. Ne soyons pas avares de déclarations d’amour et d’amitié. Ne soyons pas ces retardataires pris au dépourvu lorsque la mort survient, à qui il ne reste que leurs yeux pour pleurer. Cessons de rater les trains, de rouler à tombeaux ouverts sur l’autoroute de la vie. Pourquoi n’avons-nous pas illuminé la vie de nos êtres chers en leur témoignant de l’amour ?
Un mot gentil, un regard appuyé, une caresse, une accolade, un sourire, un baiser, distribués généreusement redonnent à la vie tout son sens. Il est urgent d’aimer. Même mal. Dépêchons-nous de serrer les êtres chers dans nos bras.
Il ne nous reste que la prière pour maintenir un lien avec nos chers disparus. Alors prions de toutes nos forces. Cheikh Ahmadou Bamba n’a –t-il pas recommandé de prier Dieu « comme si nous devions mourir demain ?». Prier c’est aussi aimer…
Tombons les masques, armures et autres barricades. Pour aimer tant qu’il est encore temps… et se laisser aimer.
« Aimons-nous vivants » chantait à juste raison, François Valery, icône de la variété française des années 80.
Pour Birago Diop : « Ceux qui sont morts ne sont jamais partis, ils sont dans le sein de la femme, ils sont dans l’enfant qui vagit et dans le tison qui s’enflamme. Les morts ne sont pas sous la terre, ils sont dans le feu qui s’éteint, ils sont dans les herbes qui pleurent, ils sont dans le rocher qui geint … »
Il s’agit de ne pas laisser s’installer en soi regrets et amertume.
Adieu ressentiment, malentendus, incompréhensions. Place à la bienveillance.
Et si nous nous aimions ici et maintenant ?
Yacine BA SALL
Directrice Générale de l’Institut BDA
Yacine.ba.sall@institutbda.com