Le syndicalisme est en crise. Telle est l’analyse de Daouda Ndiaye, juriste et docteur en Sciences de l’Education. L’expert international en éducation, interrogé par emedia.sn en prélude de la fête du travail, le 1er mai, en veut pour preuve « la crise multiforme que traverse le secteur ». Celle-ci, explique-t-il, « est liée principalement aux relations entre les pouvoirs publics et les syndicats. » Le mal, diagnostique-t-il, est dans les relations avec les syndicats et les pouvoirs publics. Il dit : « Quand on analyse le phénomène syndical en Afrique surtout au Sénégal, il faudra remonter à la période coloniale parce que le syndicalisme est né avec le développement industriel. En Afrique occidentale française, le syndicalisme est né en tant que ramification des confédérations syndicales qui existaient en France. Donc, ce phénomène syndical a pris une autre forme et, c’est dans les relations entre syndicats dont la mission est de défendre exclusivement les intérêts matériels et moraux d’une corporation, et les pouvoirs publics, qu’il faut analyser la vitalité du syndicat. En tout cas, au Sénégal, l’histoire nous montre que depuis très longtemps, les pouvoirs politiques ont cherché à mettre dans leur giron les syndicats. Il y a une crise du syndicalisme qui se manifeste par une perte d’autonomie des syndicats face à un pouvoir public qui tente d’assurer le contrôle de ces organisations syndicales, qui sont tout de même considérées comme des forces politiques latentes même si elles ne sont pas appelées à faire de la politique. »
Qu’est-ce que la désyndicalisation ?
Instructeur formateur syndical, Ass Mamoune Seye, ne dit pas le contraire. « Ce n’est pas que le syndicalisme est mort, précise le conseiller pédagogique de l’international des services publiques. Mais les syndicats ne sont plus efficaces, plus compétents pour améliorer les conditions de vie des travailleurs et consorts. Il y a aussi le fait qu’aussi, le politique a fini de gagner sur certaines organisations syndicales. C’est pourquoi cette désyndicalisation va prendre de l’ampleur parce que les conditions d’existence des travailleurs ne sont pas améliorées. »
En plus de tout cela, souligne-t-il : « Il y a qu’au moment où les organisations syndicales réfléchissent, le patronat réfléchit aussi pour la fluctuation du capital qu’il a investi. C’est ce dégoût prononcé de la part des travailleurs qui fait qu’on ne peut pas réunir plus de 2 millions de travailleurs syndiqués. C’est ça la désyndicalisation. Il y a beaucoup de facteurs où le travailleur sait qu’il n’est pas bien défendu. De longues négociations qui s’étalent sur trois (3), quatre (4) mois sans succès. Des centrales qui ne prennent pas en charge les revendications des secteurs de l’Education, de la Santé, de l’Elevage, de la Pêche, entre autres. Cela a permet aux travailleurs de mieux comprendre la réalité pour s’adonner à d’autres formes d’association syndicale, qui leur permettent d’être en contact direct avec leur employeur et, souvent de poser des doléances satisfaites surtout parce que la paix dans l’entreprise est gage de succès et de réussite. »
À quoi servent les cahiers des doléances
La part de responsabilité de l’Etat ? Ass Mamoune Seye répond que « l’Etat est un employeur avec un budget prévisionnel. Il est obligé de satisfaire les priorités, les salaires permanents des travailleurs de la Fonction publique, les Armées, la police, etc. Lui-aussi, il apprend la vie des organisations syndicales, exploite leurs faiblesses, la désunion qui existe entre eux et, comme appareil politique, s’introduit dans la masse des travailleurs pour créer des confusions. C’est un Etat aussi, on ne peut pas le blâmer. »
Insistant sur la formation, il indique qu’à la tête des organisés syndicales, « il faut des leaders crédibles, engagés, motivés sans une collusion avec l’Etat, pour pouvoir prendre en charge correctement les intérêts des travailleurs. » D’abord, détaille le spécialiste : « Trois (3) choses doivent être des priorités : Qu’on ait des cadres syndicaux qui peuvent lire un bilan du Conseil d’administration, des comptables, des gestionnaires, des administrateurs parce que depuis 1983, nous avions écrit un livre avec les syndicats hollandais pour dire que la participation des travailleurs, c’est un exemple de développement. Si vous n’avez pas des travailleurs qui pénètrent la structure de l’entreprise, qui connaissent les bénéfices ou les pertes, qui maîtrisent les rênes de l’entreprise, ils ne pourront jamais, ces travailleurs-là, poser des revendications réelles pour être satisfaites. »
Ensuite, ajoute Seye, « pour défendre les intérêts des travailleurs et poser des revendications correctes, il faut participer et être présents à l’élaboration des politiques publiques, des projets, des plans économiques et sociaux, qui permettent aux travailleurs de mieux comprendre l’Etat, ses orientations, son objectif. » Enfin, l’autre aspect, conclut-il, « à quoi sert de poser chaque année un cahier de doléances avec 14 ou 20 points alors que les cahiers de doléances de 2017 et 2018 ne sont pas encore ouverts pour pouvoir discuter avec le gouvernement. A qui la faute ? Ce n’est pas le gouvernement, c’est les forces syndicales qui ne sont pas unies pour poser. Si on a un million de travailleurs qui sortent dans la rue pour défendre un seul point, l’ouverture des négociations. Je crois que l’Etat va accepter parce que le syndicalisme, c’est des forces d’opposition qui peuvent contraindre le gouvernement à agir vers ses intérêts. »