Babacar Ngom, le “baye ganar” selfie-mad-man

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Babacar Ngom, le manitou de SEDIMA et président du Club des Investisseurs Sénégalais, ces derniers temps, est le VRP des capitaines d’industrie façon couleur locale. Signe particulier du plus célèbre des «Baye ganâr» : il pose. Pour le sourire, dites …Macky ! Selfie ! Pour ceux qui l’ignorent, le Club des Investisseurs Sénégalais (CIS) est né il y a de cela quelques mois, en juin 2018. Pour entrer dans ce cénacle sélect, il faut un CV convenable, et un compte en banque qui n’est pas régulièrement à découvert

Rien que le ticket d’entrée créerait une dizaine de PME. Et puis, comme ils disent, il faut être un, euh, patriote. Il y a deux manières de qualifier un tel regroupement. Par emphase, de nationaliste. Par lucidité, de raciste. Vous avez beau exhibé votre certificat de nationalité, si vous n’avez pas le teint du Baol-Baol cuit sous le soleil, on vous refusera poliment l’accès. Ben oui, c’est comme ça. Ces braves gens se sont rendu compte que les vraies affaires se passaient pardessus leurs têtes, et ça avait parfois quelque chose à voir avec leur couleur de peau et leurs manières de kaw-kaw. Et déjà le CIS, auguste assemblée s’il en est, vient d’enregistrer sa cinquante-unième adhésion au moment d’annoncer la création d’une société d’investissements de 20 milliards de francs CFA de capital. Il se dit en douce qu’il risque d’être porté à 60 milliards.
Selon Babacar Ngom, face à la presse, au King Fahd Palace, au sortir de leurs concertations, il s’agit de financer des champions locaux dans les secteurs stratégiques et, pour porter la croissance de l’économie nationale, prendre en charge la phase 2 du …PSE. Nous y voilà ?

Que ce soit volontaire ou non, le plus célèbre des «Baye Ganâr» sénégalais vient de prendre position pour le candidat Macky Sall au nom du Club des Investisseurs, en projetant de mettre des billes dans le Plan Sénégal Emergent, cheval de bataille du candidat à sa propre succession à la présidentielle de 2019. La mission des capitaines d’entreprise est certes de créer de la croissance, de la richesse, des emplois. Mais la différence est grande entre porter le combat du développement par l’entreprise et les investissements, et accompagner le PSE. L’une est politiquement neutre mais légitime, l’autre est partisane, bien que légitime.

Sauf si le CIS a décidé explicitement de soutenir Macky Sall pour la présidentielle, cette déclaration est une bourde. Si c’est décidé de concert par le Club des VIP tropicaux, c’est un casus belli à l’encontre de tous les opposants au régime actuel et surtout des candidats à la prochaine présidentielle. C’est connu, les entreprises ont surtout des intérêts. Souvent, en période électorale, elles préfèrent apporter un soutien conséquent au pouvoir politique qui leur garantit la prospérité, au pire, la stabilité indispensable aux affaires.

Accessoirement, au même moment, elles font parvenir des enveloppes par un coursier noctambule aux opposants les plus irascibles. Quand les investisseurs se dressent contre un pouvoir, c’est toujours parce que sa politique nuit aux affaires. Chez ces gens-là, la seule idéologie qui vaille, c’est le profit. Assurément, ça s’est emballé dans la tête de ce bon Babacar Ngom depuis qu’il est sous les feux de l’actualité. Le brave homme que la légende présente comme le selfmade-man du siècle, s’est transformé en selfie-mad-man. Il n’a pourtant pas besoin de la reconnaissance de ses pairs, ou des célébrités de la politique : son mérite parle tout seul pour lui… 60.000 francs CFA comme capital de départ de son poulailler de Mbao en 1976, devenu la SEDIMA, qui pèse au bas mot 32 milliards de francs CFA et 500 emplois en 2018.

Sur les réseaux sociaux, ça n’arrête pas : ses visites de courtoisie à la tête d’une délégation du CIS aux autorités politiques et religieuses sont des albums-photos. Face à Macky Sall au Palais, en tête-à-tête au petit déjeuner avec le Premier ministre Boune Dionne, en délégation chez les chefs religieux… Même quand Makhtar Cissé, le DG de la SENELEC est en visite à SEDIMA, souriez, selfie ! Il voyage côte à côte avec le patron de la Banque Africaine de Développement, Akinwumi Adesina, selfie… Avec parfois en bonus pour la postérité, sa fille, Anta Ngom Bathily, DG de la boîte que les agences de com’ portent aux nues depuis quelques années en multipliant les distinctions internationales. Si on vous disait par quelles galipettes il faut passer dans les métiers de la com’ pour décrocher un bon client…

Depuis «Le Corbeau et le Renard», on en a fait, du chemin ! Revenons à notre poulailler. Babacar Ngom, selfie-mad-man, veut, pitoyablement, passer pour un gentil. Bien entendu, ça dépend des jours, n’est-ce pas, des circonstances et des interlocuteurs. Un enfant de chœur n’arrive pas à ce niveau de performance en multipliant les gentillesses.

Et c’est là que ça cloche. D’abord, personne n’est dupe : quand ça veut le pouvoir économique, ça fait face aux pouvoirs politiques, non pas afin de renouveler son allégeance au désordre établi mais pour prendre ce qui vous appartient. Or, Babacar Ngom ne montre rien du méchant qui va taper sur la table pour imposer aux autorités le respect des règles du jeu économique, les lois du monde des affaires et de l’entreprise. Il joue plutôt les courtisans à la recherche davantage de faveurs et de reconnaissance sociale auprès de ses supérieurs. Pour un patron des patrons, il a quelque chose du larbin. Quelle tristesse… Dans les années 90, l’un des pires crimes économiques de ce pays fut sans doute la manière et la raison pour lesquelles le régime d’Abdou Diouf coula le groupe Express Transit/Express Navigation.

Feu Cheikh Tidiane Ndiaye parvint en quelques décennies à construire un empire comprenant une flotte maritime commerciale, avec un millier d’emplois à la clé. Le pauvre monsieur (qui était quand même un riche armateur) a juste commis l’erreur de vouloir plaire au Prince. Introduit dans le giron présidentiel, on lui colla la mission impossible de s’associer à Fabienne Diouf. Au premier clash, toute la machinerie administrative entra en branle. Résultat des courses : un millier d’emplois perdus mais surtout, ce qui aurait dû servir de moteur de l’économie maritime sombra en même temps. Certes, beaucoup d’entrepreneurs audacieux et solitaires sont passés à travers les mailles du filet. On les a laissé faire, tant qu’ils n’étaient pas hostiles, ou plutôt, tant qu’ils étaient obéissants et respectueux de la hiérarchie que l’on leur imposait.

NE SURTOUT PAS SE TROMPER D’ADVERSAIRE

Disons-le tout net, la vraie démocratie est économique. Or, les pouvoirs politiques (les marabouts compris) depuis la nuit des temps, en faussent le jeu. Les hommes d’Etat qui se succèdent aux affaires, de concert avec les chefs «religieux», choisissent qui vraiment enrichir et qui appauvrir brutalement selon leurs intérêts et parfois leurs sautes d’humeurs…
A des échelons moindres, les hauts fonctionnaires qui actionnent les leviers de décisions ne se contentent pas du rôle d’arbitre de la compétition nationale : ils sont aussi les concurrents du privé et décident bien souvent dans le sens de leurs intérêts. Ils se partagent les terres, les autorisations et permis d’exploitation. Les informations stratégiques restent entre eux pour faire du profit… Les lourdeurs administratives, la fiscalité finissent de vous plomber l’enthousiasme quand vous avez l’outrecuidance de ne compter que sur votre talent pour gagner votre vie honnêtement.

Babacar Ngom l’a sans doute compris, d’où l’offensive diplomatique en cours qui ressemble à s’y méprendre une opération de séduction. Justement, ce Club des Investisseurs, son essence est de mettre un terme à la soumission du capital aux délires politiciens. Y a maldonne. L’erreur est de croire que c’est contre l’invasion des entrepreneurs d’origines française, libanaise, marocaine, indienne, chinoise et bientôt allemande qu’il faut s’insurger. Bien au contraire, les hommes d’affaires de quelque nationalité qu’ils soient, parlent le même langage, ont la même idéologie et, au fond, les mêmes intérêts. S’ils préfèrent une gestion saine des affaires publiques, beaucoup s’accommoderont de la triche des pouvoirs publics tant qu’elle ne leur nuit pas. Vous avez dit corruption ?

Le pouvoir politique, puisque c’est de lui qu’il s’agit, préfère distribuer les terres et les marchés publics aux entreprises étrangères plutôt qu’aux entrepreneurs locaux. On ne reviendra pas sur les autoroutes qui n’ont pas fini de soulever l’indignation. En réalité, depuis la colonisation, il n’y a pas un gros chantier que les entreprises sénégalaises peuvent entamer sereinement. Depuis la création de la Compagnie Sucrière Sénégalaise à RichardToll, en passant par la SOCAS, l’usine à tomate de Dagana, du temps de Senghor et la SOCOCIM à Rufisque, bien avant les indépendances…

Les finances, le BTP, les mines, le pétrole et le gaz, n’en parlons pas. Les Sénégalais dansent dans la petite cour. Il en a fallu, des décennies, pour qu’ils sortent du tunnel. Un commerçant de l’UNACOIS, au début des années ’90, alors qu’ils allaient à l’assaut de la Chambre de Commerce de Dakar, me disait : « Au milieu des années 1960, quand on importait, le plus gros de nos commerçants ne faisait pas venir plus qu’une malle de marchandises. Aujourd’hui, ce sont des dizaines de conteneurs que nous affrétons. »… Ils avaient pu conquérir la place forte des hommes d’affaires français en y installant le regretté Mamadou Lamine Niang. Avant l’indépendance et durant les années 1960 et 1970, Henry Charles Gallenca y régnait. C’est bien simple, on le surnommait «Le Maître du Sénégal». Les Delmas et lui faisaient la pluie et le beau temps jusque dans les hautes sphères politiques. La tentative des nationaux de l’en enlever avait été freinée par Léopold Sédar Senghor en personne. Il avait reçu expressément feu Ousmane Diagne, qui présidait un syndicat patronal couleur locale, pour l’en dissuader. Nos amis les Français étaient susceptibles et leur capacité de nuisance sans limite. Feu Ousmane Diagne avait dû se plier. Si ça n’était que ça…

Le ministre de l’Economie et des Finances, jusqu’en 1970, était un toubab. André Peytavin, puis Jean Collin… Le syndrome de Mamadou Bitiké, sans doute : les Nègres et la finance ne faisaient pas bon ménage. La preuve, les banques nationales coulèrent toutes avant 1990 : USB, BNDS, BIAO… La tentative de créer une banque 100 % sénégalaise avec la BCS de feu Tidiane Bâ en 1983 ne connaîtra pas meilleur sort. Snif. Bref, à la négraille, de temps à autres, distribution de bonbons : l’ONCAD n’y a pas survécu… Faut avouer que les responsabilités sont partagées : concentrez-vous, les gars ! Dès que les affaires prospèrent, vous multipliez les épousailles !

On me dira que c’est toujours une manière d’investir dans la croissance : la démographie, ça compte… Steve Jobs, le grand-père du smartphone, lorsqu’il débauche en 1983 John Sculley, le patron de Pepsi Cola pour donner une dimension stratosphérique à Apple, lui aurait juste demandé : «Souhaitez-vous passer le reste de votre vie à vendre de l’eau sucrée ou bien avoir une chance de changer le monde ?». Babacar Ngom, qui prétend vouloir changer le Sénégal, passera manifestement le reste de sa vie à vendre du poulet… Fatalitas ? Il y a pire comme sort, certes !

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