Cameroun: à 85 ans, l’éternel président Paul Biya se présente pour un 7e mandat

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Président depuis 1982, Paul Biya repart à la conquête des suffrages à 85 ans, après avoir déjà effectué six mandats. Pour cela, il compte sur la mobilisation de son parti (Rassemblement démocratique du peuple camerounais, RDPC) et un système électoral qui défavorise une opposition divisée. Reste à savoir si les Camerounais le suivront alors que le pays traverse une situation difficile.

Paul Biya, qui a toujours le cheveu noir et dont la moustache grisonne à peine, repart au combat. Il a annoncé en juillet 2018 qu’il se représentait pour un septième mandat (de sept ans). «Conscient des défis que nous devons ensemble relever pour un Cameroun encore plus uni, stable et prospère, j’accepte de répondre favorablement à vos appels pressants. Je serai Votre Candidat à la prochaine élection présidentielle», a-t-il tweeté en français et en anglais, les deux langues du pays.

A 85 ans, Paul Biya détient quasiment un record. Avec 36 ans de présidence à son actif, il talonne Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, président de la Guinée équatoriale depuis…38 ans. Mais en fait, si on ajoute son poste de Premier ministre de 1975 à 1982, date à laquelle il a succédé au premier président du pays Ahmadou Ahidjo, les Camerounais l’ont pratiquement toujours connu au pouvoir. Des statistiques affirment que «75% de la population camerounaise a moins de 25 ans et n’a donc connu que Paul Biya comme président».

L’éternel président est né en 1933 à Mvoméka’a dans le sud du pays, à l’époque où le Cameroun, ex-colonie allemande, est sous mandat de la Société des Nations, dans une zone contrôlée par les les Français. Fils d’un catéchiste, il fait ses études secondaires à Yaoundé, après avoir fait le petit séminaire, puis à Paris où il suit les cours à Louis-le-Grand puis à la Sorbonne. Il est diplômé de Sciences-Po (Relations internationales, 1961), et de l’Institut des hautes études d’Outre-mer.

Il commence sa carrière dans les organes du pouvoir et notamment… à la présidence de la République. A 29 ans, au lendemain de l’indépendance, il est chargé de mission à la présidence de la République. Il ne cesse de progresser dans la carrière politique et devient Premier ministre en 1975. Après la démission surprise d’Ahmadou Ahidjo en 1982 (certains parlent de coup d’Etat médical), Biya devient président… et l’est toujours.

Quinquennat, septennat, les mandats s’enchaînent. Candidat unique en 1984 et 1988, il obtient quasi 100% des voix. Avec l’instauration du multipartisme en 1990, les élections ne changent guère si ce n’est en 1992 où il n’obtient que 40% des voix (mais gagne en raison du système électoral à un tour). Lors des dernières présidentielles, il ne tombe jamais en dessous des 70% des voix, de quoi nourrir les accusations de fraudes électorales.

Une situation tendue dans un pays divisé

Même si Paul Biya apparaît comme le grand favori du scrutin présidentiel, en raison de la division des opposants, cette élection se déroule dans une atmosphère difficile pour le pouvoir avec les incidents qui se multiplient dans les zones anglophones, sans compter les attaques de Boko Haram. Les coups de feu se font entendre désormais quotidiennement dans la capitale du Sud-Ouest, anglophone, où huit civils ont été tués par l’armée fin septembre, selon des témoins. Cette situation de crise remonte à 2016 et ne cesse de se dégrader. «La crise anglophone est à la fois un problème classique de minorité et reflète des problèmes plus structurels», estime le think tank Crisis Group.

Le président Biya, qui a mené une politique relativement centralisatrice, tente de juguler la crise. «Il nous reste évidemment à restaurer la paix dans nos régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, meurtries par les exactions des sécessionnistes en apportant à nos compatriotes de ses deux régions toutes les satisfactions qu’elles sont en droit d’attendre, et en les protégeant contre les excès de ces soi-disant libérateurs», a affirmé le président lors de son premier meeting de campagne.

Cela n’empêche pas certains observateurs d’être pessimistes sur la situation du pays. «Jamais l’unité du Cameroun, pays hétérogène et complexe, n’a été aussi fragile qu’aujourd’hui. Le pays a connu un recul extraordinaire, la conscience tribale et ethnique est avivée au plus haut point. Nombreux sont ceux qui estiment que le changement ne peut passer par les urnes, mais au bout du fusil. Toutes les conditions internes sont réunies pour une déflagration dramatique, dont on voit, d’ores et déjà, les prémices dans le Nord et l’Ouest», prédit l’universitaire Achille Mbembe.

Un président qui sait faire des promesses

Pour sa campagne, le président sortant, avare en déplacements et en apparitions, s’est même rendu en province. A Maroua, il a multiplié les promesses. «Les anciens barrages hydroélectriques seront remis à niveau. D’autres entreront en service. Les installations solaires viendront les compléter. Vous disposerez ici de l’énergie indispensable à l’électrification des zones rurales et au fonctionnement de vos industries», a-t-il lancé à la foule de ses supporters.

Paul Biya a d’ailleurs publié un programme en dix points dont les intitulés ne peuvent rencontrer que peu d’oppositions:
1 Améliorer davantage les conditions de vie de nos compatriotes
2 Continuer à consolider la paix…
4 Accelérer notre marche vers l’émergence du Cameroun…

Pas de quoi masquer les critiques récurentes sur sa façon de gouverner. «La dissimulation, le secret, la patience et la brutalité de la disgrâce en sont les canons. L’ancien étudiant de l’Institut des Hautes Etudes d’Outre-mer de Paris pratique une gouvernance à distance et par procuration surveillée. Ayant une prédilection pour les villégiatures en Suisse, Paul Biya n’éprouve pas la nécessité de s’appuyer sur un gouvernement qu’il réunit rarement en Conseil des ministres», écrit Aza Boukhris sur Mondafrique.

Pour ses opposants, non seulement le président n’a rien à dire mais ce qu’il dit, il le fait avec l’argent de l’Etat. «Paul Biya a emprunté tous les moyens d’Etat, pour une affaire privée: Aéronef de la présidence, haie d’honneur, revue de troupes, honneurs militaires, véhicules de la présidence, sections motorisées de la garde présidentielle, gendarmerie et police… Cette manière illicite d’utiliser les moyens de l’Etat sont des formes d’intimidation qui visent à faire croire que, de gré ou de force, il sera élu. Il a choisi la rase campagne où le taux d’illettrisme est le plus élevé pour intimider les populations qui, voyant ce folklore, se font benoîtement amadouer», écrit le journaliste Aimé Mathurin Moussy.

Un responsable de l’administration Obama décrivait de façon cinglante le système Biya: «Le pétrole a permis d’entretenir la corruption et le clientélisme qui lui ont permis de se maintenir au pouvoir.»

De quoi renforcer les accusations de corruption dans un pays qui est déjà l’un des plus mal classés au monde sur ce sujet. L’ONG Transparency le classe à la 153e place sur 180 pays… très loin de la Nouvelle-Zelande, pays le moins corrompu au monde.

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