Nous vivons, nous nous soumettons inconsciemment à un fatalisme qui disqualifie notre intelligence, encourage le laxisme, la corruption, le népotisme. Ce fatalisme négatif cautionne l’irresponsabilité individuelle, l’inconscience collective et la fuite des responsabilités des autorités, de presque toutes les autorités administratives, sociales, religieuses, politiques et traditionnelles. Les morts s’accumulent sur les routes à travers des accidents inimaginables, des voitures dont certaines à vue d’œil ne respectent aucune règle technique, des chauffeurs surexploités et aussi des chauffeurs trop jeunes et même sans permis de conduire. Dans les banlieues des maisons poussent dont certaines ne respectent aucune règle de construction, aucune administration n’intervient pour arrêter la pose de ces étages brimbalants qui demain, sans surprise, s’effondreront sur des familles. Nous continuons à ne pas porter des masques, à aller dans des rassemblements, des khew, des baptêmes, des mariages, des funérailles, des levées des corps, etc., et tranquillement, sincèrement, nous pleurons nos malheureux morts qui nous quittent un à un, en grande partie, par nos propres errements. Et nous continuerons à répéter pour nous dessaisir malicieusement de nos responsabilités complètement engagées : Atté Yallah ! Le Verdict Divin !
Nous sommes dans un pays où la mort n’émeut plus, elle a intégré la routine quotidienne. La mort s’est banalisée. La mort de nourrissons dans un centre de santé, la mort d’enfants dans une crèche ou un daara, la mort par overdose d’enfant de la haute société, les noyades massives de jeunes dans l’Atlantique, auraient partout suscité, au-delà de la compassion, une révolte intérieure, une introspection générale et des mesures radicales pour éradiquer ces fléaux et redonner à la vie tout son sens.
Toute la société est tétanisée, paralysée. La chaine de confiance s’est brisée. Le citoyen n’a plus confiance en sa Police, la police n’a plus confiance en la Justice, la justice n’a plus confiance en l’Administration. Ceux qui ont la responsabilité de réguler la vie civile et publique ne régulent plus. Ils sont résignés car ils disent urbi et orbi, à qui veut l’entendre, à leur échelle, prendre des décisions radicales ne sert à rien du moment que le coupable ou les coupables vont, à travers aujourd’hui un système bien huilé, finir par être libre et les narguer sur la voie publique, les quartiers et les villages. À quoi bon être impopulaire dans ces conditions ! Comment expliquer qu’un jeune enfant, sans permis de conduire, puisse, après avoir commis un accident, continuer à conduire impunément des camions qui n’ont aucune assurance. Notre conception de la mort est tragique. Car contrairement aux européens, aux asiatiques, aux américains, cette conception nous ramollit face aux voies et moyens d’éliminer cette mort évitable qui relève exclusivement de notre responsabilité, de nous battre résolument pour allonger très rapidement l’espérance de vie de notre population et l’espérance de vie individuelle de chacune et de chacun et enfin, d’assumer notre rôle d’humain que nous confèrent les religions révélées comme d’ailleurs nos religions endogènes.
La promotion de la culture scientifique et technique, l’exhibition à travers les médias d’exemples de pays qui ont éradiqué ou fortement atténué certaines causes de mortalité importantes chez nous, pourraient aider à une prise de conscience des populations et des élites. Nos élites, particulièrement nos élites intellectuelles ont démissionné, peut-être ont-elles fui l’espace public par peur de prendre des positions que ne manqueront pas de fustiger ces hordes d’ignorants qui se sont emparés des réseaux sociaux et imposent le silence par la terreur de leurs invectives. Se pose alors la question : avons-nous de vrais intellectuels ? L’intellectuel doit assumer ses positions argumentées.
Les morts évitables doivent réunir toute la société pour les éradiquer ou les atténuer.
Unis et engagés, nous vaincrons,
Dakar, le 2 septembre 2021
Mary Teuw Niane