Chambre criminelle de Dakar : Le père, le fils et l’histoire d’envoutement

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Cheikh Awa Balla Sène alias «Sangue» et ses acolytes ont comparu, hier mercredi, à la chambre criminelle de Dakar. Accusé d’avoir détourné les 3,6 millions Fcfa de son père, «Sangue», aidé de sa bande, a aussi cambriolé la maison du vieux, emportant 7,4 millions de FCfa.
C’est un fils quelque peu particulier. Un rejeton au destin singulier qui aurait pu prétendre à un bel avenir. Sans bifurquer par quelconque chemin de traverse, sans tomber dans aucun travers. Âgé de 19 ans à l’époque des faits, Cheikh Awa Balla Sène alias «Sangue» pouvait juste se «reposer» sur la fortune de son père pour se construire une vie dorée. Fils de Mor Sène, riche commerçant et fournisseur de matériaux de construction, «Sangue» a, lui, choisi de verser dans… la délinquance. Quand il a arrêté ses études, son père a aussitôt tenté de lui mettre le pied à l’étrier : il le charge du recouvrement des loyers de fer et de bois. Mais le jeune homme, ambitieux et versé dans le lucre, ne se suffisait visiblement pas des sommes qu’il gagnait en travaillant pour son père. Il se met à abuser de la confiance «aveugle» de son pater et s’emploie à détourner d’importantes sommes d’argent. Comme habité par le diable, «Sangue» loue les services d’un…féticheur. Son objectif : envoûter son père, afin que celui-ci ne se rende jamais compte de ses turpitudes. Il demande son cousin Moustapha Sène dit Pape de le mettre en rapport avec Ndiaga Kanté, un charlatan. Lequel aura pour mission de marabouter le commerçant, pour qu’il ne se rende pas compte des manigances de son rejeton. Le 6 juin 2015, «Sangue» a pu collecter, entre Nguékhokh et Sindia dans la région de Thiès, 3,6 millions FCfa. Somme qu’il détournera intégralement.
Incroyable cambriolage
Ayant pris goût à cette vie, «Sangue» décide de passer à la vitesse supérieure. Le 7 août 2015, il pousse le bouchon un peu plus loin. Il cambriole le domicile des 3e et 4e épouse de son père, sis à la Cité Mandela de Fass Mbao. Il parvient ainsi à mettre la main sur 7 millions de FCfa. Pour cette opération, «Sangue» avait besoin d’une fine équipée. Il a ainsi contacté son ami Daouda Ndiaye qui, à son tour, a recruté Matar Sall dit «Dame», ancien militaire et agent superviseur à l’Agence de sécurité de proximité (Asp) et un certain Djiby Diallo. Dans leur plan bien établi, Daouda est chargé de guetter les mouvements du vieux Mor Sène. Il rôde autour de la villa de la Cité Mandela jusqu’à apercevoir le vieux commerçant en train de quitter les lieux. Il avertit «Sangue». Et aussitôt la bande de voleurs passe à l’action. A l’entrée, ils seront accueillis par Mbeugué, l’une des épouses de M. Sène. L’ancien militaire Dame se présente comme un policier et lui dit qu’il menait une enquête sur Mor Sène. La dame signifie à l’équipée que son époux est sorti et les reçoit dans le salon. Pendant ce moment, son beau-fils, «Sangue», qui connaît les coins et recoins de la maison se retire, défonce la porte de la «suite privée» de son père et y vole un sac contenant 7,4 millions FCfa. Au salon, Dame, lui, pointe son arme à feu sur les deux femmes et les déleste de leurs téléphones portables.
Le forfait accompli, Cheikh a remet 1 million FCfa à chacun des trois membres de son équipée et se retrouve avec 4,6 millions de FCfa. Informé du cambriolage, Mor Sène dépose une plainte contre son fils et X pour vol avec violence. Les éléments de la Division des investigations criminelles interpellent très vite «Sangué» et ses acolytes. A l’enquête préliminaire, les 4 membres du gang reconnaissent sans difficultés les diverses infractions et se voient tous renvoyés devant la chambre criminelle de Dakar.
«Mon père ne prenait pas bien soin de moi… »
Malgré le désistement du papa de «Sangue» et de ses épouses, parties civiles dans de ce dossier, l’affaire a été évoquée hier mardi devant la Chambre criminelle du tribunal de grande instance de Dakar. L’accusé, Cheikh Awa Balla Sène dit «Sangue», qui a comparu libre à la faveur d’une mise en liberté provisoire, est le premier à se présenter devant la barre. Il a reconnu sans ambages les délits d’abus de confiance et d’association de malfaiteurs : «J’ai détourné 3,6 millions FCfa de mon père qui provenaient d’un recouvrement des locations de matériaux à construction, avouera-t-il à la barre. J’ai remis une partie à Ndiaga Kanté, un féticheur qui devait «museler» le Vieux. J’avais décidé de voler son argent parce qu’il ne prenait pas bien soin de moi comme il le faisait avec ses autres fils.» Interpellé sur le cambriolage à la cité Mandela de Fass Mbao, il explique que l’idée lui est venue de son acolyte Daouda Ndiaye.
Peintre de son état, Daouda Ndiaye (26 ans) s’est précipité à se laver à grande eau, soutenant qu’il n’a jamais incité son camarade à cambrioler le domicile de son père. «Il m’a fait croire qu’il a un différend avec son père et m’a demandé de l’accompagner à Fass Mbao pour récupérer ses affaires. Je n’étais pas au courant du vol. Et je n’ai pas participé à l’opération», conteste Daouda Ndiaye… avant de reconnaître avoir reçu 1 million FCfa de «Sangue». Poursuivi pour recel, Pape Sène, qui a aussi comparu libre, explique : «J’étais juste au courant du premier vol. Je l’ai mis en rapport avec le féticheur. Et il («Sangue ») m’a offert 100 mille FCfa.»
«J’ai versé du sang sur le boubou du vieux…»
A la barre, Ndiaga Kanté n’a lui rien réfuté. Le charlatan, libre lui aussi, a avoué, presque sans ciller, avoir marabouté le commerçant Mor Sène : «Quand Cheikh a détourné les 3,6 millions FCfa de son père, il a sollicité mes services. Il m’a apporté un boubou de son père. J’ai procédé aux sacrifices et abattu une chèvre, dont j’ai versé le sang sur l’habit du vieux. Le même jour, son père l’a appelé pour lui dire qu’il l’a pardonné.» Poursuivi pour «association de malfaiteurs, usurpation de fonction, vol commis avec usage de moyen de locomotion et détention d’arme sans autorisation administrative», Matar Sall a, lui, contesté les faits. L’ancien militaire, qui aurait mis en joue les deux épouses du papa de «Sangue» pour leur dérober leurs téléphones portables, soutient avoir été contacté ce jour-là par Daouda, qui lui a demandé de l’accompagner à Fass Mbao afin d’assister un ami qui a des problèmes familiaux. Il a aussi réfuté la détention d’arme à feu.
L’avocat de la partie civile, Alioune Badara Ndiaye, a réclamé 40 millions pour la réparation du préjudice. Dans son réquisitoire impitoyable contre le fils indélicat, le procureur de la République a requis 3 ans ferme contre le charlatan Ndiaga Kanté et le cousin de «Sangue», Moustapha dit Pape Sène pour recel dans l’affaire du premier détournement des 3,6 millions FCfa. Pour le cambriolage de la maison du vieux Mor Sène à la Cité Mandela de Fass Mbao, il a réclamé la condamnation à la réclusion à 10 ans de travaux forcés pour association de malfaiteurs pour toute la bande des co-accusés, à savoir Cheikh Awa Balla Sène alias «Sangue», Daouda Ndiaye, Djiby Diallo et Matar Sall dit Dame, l’ancien soldat. Le procureur de la République a aussi demandé à la Chambre de décerner un mandat de dépôt à «Sangue», Daouda Ndiaye et Moustapha dit Pape Sène. La défense a plaidé l’application bienveillante de la loi pénale. L’affaire sera vidée le mardi 18 mars prochain.
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