L’annonce de deux décès liés au covid-19 en l’espace de 24 heures a surpris plus d’un, surtout des professionnels de la santé qui trouvent bizarre le fait que les autorités n’aient jamais signalé ces deux cas graves, selon Dr Ousmane Guèye du ministère de la Santé et de l’Action sociale. Ces médecins dénoncent le manque de projections liées au nombre de cas déclarés positifs, de décès et de guérisons dans une période bien déterminée
Depuis le 02 mars, date à laquelle le Sénégal a enregistré son premier cas déclaré positif au covid-19 — on en est aujourd’hui à 412 cas déclarés positifs dont 242 guérisons, 164 encore sur les lits d’hôpitaux et un évacué , c’est la première fois que deux décès sont annoncés en l’espace d’une journée. Ils portent le nombre total de trois à cinq décès. Le problème tient moins au nombre lui-même que de la manière subite et inattendue dont ils sont survenus. Surtout que nos autorités sanitaires parlent toujours de « situation stable » lorsqu’elles donnent des informations sur les malades qui sont sous traitement au niveau des différents sites de prise en charge de patients atteints du virus de covid-19. Mais deux décès en 24 heures alors qu’on nous dit que la situation des malades est stable, n’est-ce pas inquiétant et qu’est-ce que cela veut dire en médecine ?
Le médecin généraliste Dr Ismaïla Ndour explique. « Un malade qui est stable, son état n’évolue pas et il est stationnaire. C’est-à-dire qu’il n’est ni plus malade ni guéri, ni favorable, ni défavorable. On peut passer d’un état stationnaire à une gravité. Parmi ces décès, il peut y avoir des cas simples. Mais en général, les malades qui décèdent ont d’autres facteurs déclenchant, comme les asthmatiques, les diabétiques… encore que dans ces cas, on ne parvient pas à faire la différence pour s’ils sont décédés de leur pathologie ou du coronavirus. Ce sont des sujets qui sont déjà fragiles. Mais cela peut aussi décompresser. On parle d’aggravation de la maladie, lorsque celle-ci connait une évolution qui peut être simple ou grave. La maladie a évolué défavorablement ou favorablement. Mais les malades qui sont décédés, selon mes informations, ce ne sont pas des malades qui étaient zen. La médecine ne peut pas dire qu’ils peuvent mourir d’une maladie qui n’avait aucun rapport avec le coronavirus. Mais comme on n’est pas avec eux et ne connait pas ce qu’ils font, je suppose que le coronavirus n’était qu’un facteur déclenchant. Mais ce qui est bizarre, c’est qu’on ne nous a jamais signalé qu’il y a eu des cas graves ».
Le rythme de la progression des cas communautaire est lent
A côté de ces décès, qui posent déjà problème, on note une progression, quoique lente, des cas issus de la transmission communautaire. « La transmission communautaire, c’est un rythme de progression. Le rythme est lent. Ces derniers jours on a élargi les tests mais on n’a pas dépassé les 5 cas par jour. Le problème c’est les cas de contacts. Les mesures collectives comme l’interdiction des grands rassemblements sont bonnes. Ce qui fait que la transmission communautaires est lente ». Mais pas pour les contacts ! « On contamine 4 à 10 personnes. On peut compter quelques cas de transmission, mais avec les contacts, ça explose.
La contamination communautaire est moins fréquente que les contacts. Il ne faut pas s’attendre à ce que l’épidémie s’arrête du jour au lendemain. Ce sont les mesures individuelles qui posent problème. Les comportements individuels n’ont pas changé. Plus il y a des cas communautaires, plus les contacts vont se multiplier. Car ce sont les mêmes habitudes de voisinage qui continuent », explique longuement le médecin généraliste Dr Ismaïla Ndour qui pense que « chacun de nous » doit faire l’auto-confinement et l’auto-isolement et se dire que je fais ma propre traçabilité en réduisant mes activités ».
Quant à l’anesthésiste-réanimateur, Dr Mamadou Mansour Diouf, il parle d’une « multiplication inquiétante qui souligne l’impérieuse nécessité de mettre l’accent sur la sensibilisation au respect des mesures barrières ». « Il convient surtout d’adapter les mesures par rapport à l’épidémiologie », a renchéri son collègue médecin Dr Ismaïla Ndour qui demande de mettre surtout l’accent sur les personnes âgées de 60 ans et plus. Pour ce professionnel de la santé, la prévention doit être accentuée sur les personnes âgées de 60 ans et plus. « Ceux qui ont cet âge se comptent à la goutte. Il faut confiner les plus de 60 ans. C’est obligatoire. Ce sont les personnes âgées qui continuent de sortir et cela devait être le contraire. Il y a des régions qui sont pour le moment épargnées, c’est une bonne chose, mais il faut agir sur les frontières comme les régions de Kaolack. Dans cette dernière, on risque d’avoir un cas importé », estime-t-il.
Dans tous les cas, Dr Ndour invite à protéger les régions qui ne sont pas encore concernées en mettant en place des mesures strictes. Toutefois, il se désole du fait que les autorités n’arrivent toujours pas à faire des projections sur la pandémie du coronavirus dans notre pays. « On doit nous dire si on aura 5000 décès, ou 200 000 cas. C’est des projections qu’il faut faire. On ne fait que copier les mesures de défense de l’occident alors que les contextes sont différents. La médecine c’est de la projection ».Une position partagée par le Dr Boubacar Signaté qui veut savoir « si un praticien ou une entité scientifique détiendrait une quelconque exclusivité sur les données cliniques, ou s’il y a un laboratoire qui lui aussi détiendrait une exclusivité sur les données virologiques ».
Pour Dr Signaté, il est urgent que le professionnel de la santé dispose de ces données, « même provisoires, pour comprendre à quel virus on a affaire, comment il se comporte dans la population, quels symptômes différents ou nouveaux il entraine chez nous ».