Au Sénégal, quatre ressortissants européens sont désormais contaminés par le coronavirus. Mais l’Afrique reste beaucoup moins impactée que l’Asie et l’Europe. Le docteur Massamba Sassoum Diop, qui préside SOS Médecins à Dakar, livre son analyse au micro de Christophe Boisbouvier.
RFI : Quels sont les conseils pratiques que vous donnez aux gens qui nous écoutent ?
Docteur Massamba Sassoum Diop : Ce qui est important, c’est de ne surtout pas s’inquiéter, mais que par contre ce qui est important, c’est lorsqu’on a un problème de type syndrome grippal, c’est-à-dire une toux sèche, éventuellement un mal de gorge avec une fièvre, et qu’on est passé soit par une région du monde où il y avait le coronavirus qui sévissait, soit parce qu’on a été en contact [avec quelqu’un qui est passé par là], à ce moment-là, il y a des numéros qui sont à faire. Et se déclenche à ce moment-là un interrogatoire pour vérifier si oui ou non on est à risque. Et à partir de ce moment-là, une fois qu’on est estimé à risque, il y a un système à domicile qui vient pour faire le prélèvement en sécurité. Le prélèvement est analysé : si c’est négatif, c’est réglé ; si jamais c’est positif, il faut de toute façon rester encore une fois à l’isolement parce qu’il faut comprendre que de très rares patients vont avoir des complications, en sachant que ce ne sont que des personnes affaiblies et âgées qui aujourd’hui sont les victimes de ce virus-là.
Alors pourquoi ce virus est-il plus contagieux que celui de la grippe ?
En fait, c’est sa mutation. Dans l’avenir, ce dont on a le plus peur, c’est un virus extrêmement grave sur le plan clinique qui entraînerait des formes très graves, et qui soit en même temps extrêmement contaminant.
Ce qui n’est pas le cas du coronavirus…
Ce n’est pas du tout le cas du coronavirus. Il n’est pas virulent, il l’est pour les personnes âgées qui ont un problème initialement avant, dans les antécédents de santé. À ce moment-là, ce sont ces personnes-là qui font les détresses respiratoires.
Y a-t-il, comme le dit la rumeur, un traitement qui donne déjà des effets sur les patients ?
Attention. Beaucoup de gens parlent de la chloroquine en disant que le traitement miracle a été trouvé. Il semble que ce soit des concentrations telles que -la chloroquine est toxique pour l’homme à certaines concentrations dans le sang- et il semble que ces concentrations-là soient efficaces sur le virus. Donc, c’est en cours d’études, mais en tout cas, il ne faut surtout pas aller prendre de la chloroquine en se disant « Ça y est, j’ai vu que ça a marché ». D’autre part, les traitements antiviraux classiques sont en train d’être testés actuellement. Et on ne peut pas encore vous dire si ça marche puisque c’est vraiment à l’état d’étude. Donc, en fait, ils sont en train de tester différents types d’antiviraux en attendant de voir lequel marche, et s’il y en a un qui marche. Et en attendant le vaccin. Mais malheureusement, le vaccin, le temps de le concevoir, le temps de trouver la technique, le temps de le tester, le temps de le mettre en place, si on l’a dans 18 mois, on est contents. Mais de toute façon, l’épidémie sera finie depuis longtemps.
Les autorités sénégalaises ont déjà interdit quelques évènements publics : un concert, un gala de lutte… Est-ce que ces mesures vont dans le bon sens ?
Oui. On sait qu’il y a beaucoup de gens qui vont se rencontrer. On va éviter d’avoir une transmission très rapide à beaucoup de gens en peu de temps, qui vont faire saturer les structures d’urgence par exemple de réanimation. Mais en même temps, sans pour autant paniquer la population. Tout est dans l’art de savoir quelles sont les manifestations qui sont le plus à risque, et à ce moment-là, les arrêter.
Donc l’idée, c’est d’éviter que tous les gens qui risquent d’être atteints ne le soient pas tous en même temps ?
Exactement. C’est-à-dire qu’on sait que finalement, ça ne sera pas grave pour tout le monde, mais par contre si c’est tout le monde en même temps, même s’il n’y en a pas au bout en pourcentage tant que ça, ça va saturer les systèmes d’urgence, de réanimation. Et c’est là que ça peut entraîner des morts pour d’autres pathologies. Les patients qui ont eu un accident de la route, qui ont fait un infarctus, qui en fait auraient dû être en réanimation, mais les structures de la réanimation étant pleine de patients qui ont le coronavirus, ils ne pourront pas être pris en charge pour leur pathologie. Donc, c’est ça qu’il faudra éviter, c’est la saturation du système. Puis, bien évidemment qu’on ne se retrouve pas avec par exemple beaucoup de soignants qui soient eux-mêmes infectés et qui seraient eux-mêmes en arrêt de travail, ce qui va faire qu’on n’aura pas assez de soignants pour les patients. C’est pour cela que, tant qu’on peut étaler l’épidémie, il faut le faire.
Alors au Sénégal, les personnes contaminées sont des ressortissants européens qui ont voyagé récemment entre l’Europe et l’Afrique. Du coup, est-ce qu’il faut mettre en place un dispositif particulier pour les voyageurs qui arrivent en Afrique en provenance d’autres continents, comme l’Europe, comme l’Asie ?
Déjà, on comprend bien que du coup, la phase initiale est cette sorte de contrôle qui est fait. Moi-même, j’ai fait plusieurs allers-retours ces dernières semaines, et quand on est arrivés à l’aéroport à Dakar, il y avait un système comme il y en a dans quasiment maintenant un peu tous les aéroports. Un système de caméras thermiques qui permet déjà de savoir, de « discriminer », de savoir si les gens ont de la fièvre et dans ce cas-là, de faire un interrogatoire et de voir s’il faut les isoler. Ça, c’est une chose. La deuxième chose, c’est un questionnaire systématique, c’est ce qui est en train d’être mis en place. C’est-à-dire demander à tout le monde de remplir un questionnaire, et le questionnaire est trié ensuite par les agents de santé à la frontière. Et cela permet non seulement d’avoir les coordonnées si jamais on découvre quelque chose par rapport à un vol, ça permet d’avoir les coordonnées des autres passagers ; et d’autre part, si la personne a coché « je suis passée à tel et tel endroit qui sont des endroits à risque », ça permet de pouvoir aller plus loin dans l’investigation.
À ce stade, l’Afrique est avec l’Amérique du Sud le continent le moins touché par ce virus. Est-ce qu’il y a une explication scientifique ?
L’élément le plus probable, c’est que plus on est loin en termes de voie de communication du foyer, plus ça met de temps pour arriver. Il y a plus de communication entre l’Asie et l’Europe, qu’avec l’Afrique. Donc en fait, il a fallu le temps d’un premier niveau de transmission, donc où cela est passé en Europe, et puis comme il y a plus de liaisons cette fois-ci entre l’Europe, l’Italie, la France, éventuellement les États-Unis et l’Afrique, à ce moment-là, c’est là où ça arrive en Afrique. C’est juste le délai pour le virus pour arriver à voyager. A priori, c’est juste le décalage. Maintenant, on peut envisager aussi qu’il y ait un petit retard dans le diagnostic si le système d’alerte est un peu moins performant dans les pays du Sud que dans les pays du Nord.
Oui, mais au Sénégal, le système de détection est aussi performant qu’en France, non ?
Le système, il faut avouer, moi j’ai été très agréablement surpris quand j’ai vu comment le ministère prenait les choses en charge, et c’est vrai que lorsque nous avons fait ce premier diagnostic, on s’est calé sur l’algorithme du ministère sénégalais de la Santé. Et tout s’est déroulé exactement comme cela aurait dû se faire avec l’isolement de la personne chez elle, le prélèvement à son domicile, l’analyse, la confirmation et à ce moment-là l’hospitalisation. Donc oui, le système de détection a été efficace.
En revanche, il y a peut-être d’autres pays du continent où la détection pourrait être défaillante ?
Oui, il y a forcément des décalages entre les différents pays en fonction de leur niveau. Mais c’est vrai qu’aux États-Unis, ce n’est pas pareil qu’en France, ce n’est pas pareil qu’en Angleterre et ce n’est pas pareil… Donc, il y a forcément des décalages selon les pays.
D’où la nécessité pour tous les pays africains de se protéger et d’empêcher l’arrivée de ce virus…
C’est sûr que du coup, la chose la plus efficace, c’est la prévention en amont, donc d’éviter que le virus arrive plutôt que d’avoir à en gérer les conséquences secondaires en réanimation. Mais le tout, sans s’affoler parce que, de toute façon, quand on est dans le ressenti, dans l’émotion, on n’arrive jamais à quelque chose d’efficace.