Envoyée spéciale du chef de l’Etat, Aminata Touré n’hésite pas à aller au front chaque fois que la situation l’exige – Face aux attaques et autres accusations de l’opposition, elle monte au créneau pour apporter des précisions
Envoyée spéciale du président de la République, l’ancien Premier ministre Aminata Touré n’hésite pas à monter au front, à chaque fois que la situation l’exige. Face aux multiples attaques et autres accusations de l’opposition sénégalaise, en perspective des prochaines joutes électorales, elle monte au créneau pour apporter des précisions. Dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, elle aborde également d’autres questions brûlantes de l’actualité, tels que la polémique sur l’existence de trois fichiers électoraux, le débat autour du fer de la Falémé ou encore le retour annoncé de Karim Meissa Wade, entre autres. Entretien.
En tant que coordonnatrice du pôle parrainage de la coalition Bby, pouvez-vous nous faire le point sur les opérations de parrainage ?
Notre campagne de parrainage se passe bien. Là, nous sommes bientôt sur la ligne d’arrivée et nous comptons finir avec panache. Nos responsables et militants sont déployés sur le terrain, depuis des semaines. Toute notre coalition est à pied d’œuvre depuis lors, sous la houlette de nos délégués régionaux. Les visites de terrain dans les quartiers et villages se déroulent sans grande anicroche. Nous recevons des réactions favorables, car les citoyens sont objectifs, quand ils voient de leurs propres yeux des routes, des forages, des postes de santé ou des écoles qu’ils attendaient depuis des lustres, ils apprécient positivement, car ils vivent ces changements dans leur propre vie.
C’est aussi l’occasion pour eux de nous transmettre leurs doléances et préoccupations que nous notons soigneusement et faisons remonter. Nos objectifs de parrainage, que je ne vous détaillerai pas ici, sont en bonne voie d’être atteints et dans certaines régions nous les avons déjà dépassés. Croyez-moi, le terrain et les médias, c’est deux choses différentes. Ceux qui pensent que c’est en étant prolixes dans la presse de tous les jours qu’on obtient la signature des Sénégalais, ils auront des surprises. Les citoyens sont matures politiquement. Ils demandent à être convaincus et, surtout, ils n’ont pas la mémoire aussi courte qu’on le croit. Ils savent apprécier les progrès qui s’accomplissent depuis bientôt 7 ans.
Selon certaines indiscrétions, le président rencontre beaucoup de difficultés à atteindre ses objectifs fixés à Dakar, dans le cadre du parrainage. Qu’en est-il réellement ?
Ce ne sont que des spéculations. Ceux qui prédisaient une explosion des querelles de clochers durant la campagne de parrainage sont étonnés du calme qui règne et certainement l’assimilent à des difficultés. Un travail soutenu se mène dans toutes les communes et quartiers de la région de Dakar et le suivi de nos opérations nous indique que nos responsables, militants et sympathisants font de solides progrès. Le niveau d’instruction et de conscience politique est plus élevé à Dakar qu’ailleurs. Il faut donc des arguments solides pour convaincre les Dakarois et c’est ce que nous faisons à travers nos stratégies de proximité et de quadrillage. Il est bon de rappeler que notre coalition Benno Bokk Yaakaar a remporté les deux dernières compétitions électorales dans l’ensemble de la région de Dakar et nous bâtissons sur nos victoires des élections législatives de 2017 et du référendum de 2016.
Certains candidats à la candidature commencent déjà à se désister en perspective de la prochaine présidentielle. Est-ce à ce point difficile de réunir le nombre de signatures imparties à tout candidat ? Vous attendez-vous à d’autres désistements ?
La réalité du terrain est la seule qui vaille. La politique, à mon avis, c’est aussi un rapport de confiance, de proximité et de solidarité avec vos voisins, vos concitoyens, vos compatriotes. Ce rapport se construit dans le temps et la constance. Je vois difficilement les Sénégalais donner leur parrainage à des candidats qui leur sont complètement inconnus. Ils ont besoin de connaître un tant soit peu ceux qui aspirent à les diriger. Ils préfèrent avoir un minimum de présomption sur l’aptitude, l’expérience et la probité de leur futur président. C’est ça la maturité politique dont je parle. C’est pour cette raison que d’autres désistements se feront parmi les 139 candidats qui se sont officiellement signalés à la Direction des élections.
Le président de votre parti, l’Alliance pour la République, a pris la décision de confier la Coordination des cadres républicains à Abdoulaye Diouf Sarr. Quelle appréciation faites-vous de cette décision ?
Abdoulaye Diouf Sarr est un homme politique d’expérience avec une solide formation universitaire. Il saura donner toute l’impulsion attendue à la Coordination des cadres républicains qui compte des centaines de profils académiques de toute nature. Diouf Sarr, comme nous l’appelons familièrement, saura tirer profit de ce large éventail de compétences pour davantage animer le parti, défendre le bilan du président de notre coalition et encourager les débats contradictoires de qualité avec l’opposition.
Cette nouvelle donne n’est-elle pas un atout de taille pour Diouf Sarr, dans la bataille engagée au sein de l’Apr pour le contrôle de Dakar ?
Il est maire de Yoff comme vous le savez et déjà très présent politiquement à Dakar. Avec ses nouvelles fonctions, il aura aussi pour tâche de stimuler le débat sur les programmes importants réalisés en direction de nos populations, les réformes et la gouvernance du pays, surtout dans les centres urbains, pas seulement à Dakar. Ces centres comptent une classe moyenne importante constituée de jeunes et de femmes qui demandent à être convaincus.
Comment appréciez-vous le positionnement des uns et des autres dans la bataille pour le contrôle de l’Apr de Dakar ?
Pour l’instant, nous sommes tous concentrés autour de l’objectif de réélection de notre candidat Macky Sall. Sa réélection étant quand même la mère des batailles. Ensuite, on envisagera les autres batailles. Et si vous avez remarqué, la rhétorique interne s’est beaucoup adoucie, car nous comprenons l’importance des enjeux actuels.
Etant donné que vous avez transféré votre vote à Kaolack, avez-vous définitivement tourné la page Dakar ?
Non, pas du tout. Nous sommes tous des Dakarois. Je garde des solides liens et des amitiés à Grand-Yoff. En réalité, les communautés non originaires historiquement de Dakar constituent la majorité des électeurs dans la capitale sénégalaise. Les Dakarois originaires du Saloum, par exemple, sont très nombreux dans la capitale, comme les Casamançais, les Baols-Baols ou les Foutankés et autres communautés identitaires. Donc, même si nous votons et militons plus intensément dans nos terroirs respectifs, Dakar ne peut laisser aucun responsable politique indiffèrent.
Comment appréciez-vous le rapprochement entre Abdoulaye Wade et Ousmane Sonko ?
J’apprécie cela comme une rupture de logique de la part du député Sonko. Pour un candidat qui se dit anti-système, c’est un reniement manifeste, car je ne vois pas quelqu’un qui symbolise le système politicien plus qu’Abdoulaye Wade dont le régime a rimé avec mal-gouvernance et atteintes multiples aux valeurs et à l’éthique. La valise de Segura a été une honte nationale, les médias du monde entier en ont fait leurs choux gras. Ce rapprochement sans base principielle, c’est juste de la ‘’combinazione’’ politique. Pour le président Wade, rien d’étonnant, sa logique est simple : l’ennemi de mon ennemi Macky Sall devient mon ami. Mais cela n’a pas beaucoup d’importance à nos yeux. Nous avons confiance en la capacité de discernement des Sénégalais et ce sont eux qui nous intéressent, in fine.
Il est de plus en plus annoncé à Dakar la venue de Karim Wade. Que risque-t-il, s’il met les pieds au Sénégal ? Est-il susceptible d’être mis aux arrêts ?
Tout Sénégalais est libre de venir au Sénégal et tout Sénégalais se doit de respecter les décisions de la justice sénégalaise. Karim Wade le sait mieux que quiconque. Il a eu le temps, en 3 ans à la prison de Rebeuss, d’étudier les dispositions du Code pénal sénégalais. Il sait donc ce qu’il a à faire.
Le débat national est dominé, ces temps-ci, par le niveau d’endettement jugé élevé du Sénégal. Quel est votre avis sur la question ?
Je voudrais citer les propos de l’économiste principal de la Banque mondiale pour le Sénégal, Julio Ricardo Loayza, lors du lancement officiel, en mai dernier, du rapport de la Banque mondiale sur les économies africaines : ‘’Le Sénégal ne devrait pas avoir de problèmes à repayer sa dette publique, en raison d’une notation à risque bas de ses emprunts qui sont jusque-là soutenables. C’est le seul pays, en Afrique de l’Ouest, qui a un risque bas de dettes élevées. C’est-à-dire que, repayer la dette publique pour le Sénégal n’est pas actuellement un problème, car elle est soutenable.’’ Cet économiste n’est ni de Benno ni de l’opposition. Il faut aussi se rappeler que le taux d’endettement du Sénégal était de 21,3 % du Pib en 2006. Ce taux a plus que doublé 6 ans plus tard, passant à 42,9 % du Pib en 2012 sous le magistère du président Wade. Si ce rythme de progression de la dette avait été maintenu pendant un 3e mandat du président Wade, le Sénégal serait aujourd’hui à un niveau d’endettement de plus de 85 % au lieu de 48 % actuellement. C’est ça la réalité des chiffres. Aujourd’hui, on s’endette mieux et surtout la dette est plus utile aux Sénégalais, notamment pour les plus vulnérables.
L’exploitation du fer de la Falémé soulève une polémique depuis l’annonce de la signature d’une convention avec une société turque. Qu’en est-il réellement de cette affaire ?
Pour ces mines, il faut rappeler aussi que la mal-gouvernance du régime d’Abdoulaye Wade nous a valu une ardoise de 75 milliards à payer à la société minière Kumba Resources, après condamnation du Sénégal en arbitrage, suite à une attribution jugée fallacieuse des mines à l’entreprise minière Mittal. Si une compagnie sérieuse reprend l’exploitation en acceptant nos conditions financières, on devrait plutôt applaudir pour notre bonne capacité de négociation. Les pays se battent pour attirer les investisseurs et si le nôtre est considéré comme une bonne destination, c’est nous qui en gagnons en taxes, en emplois, c’est notre tissu industriel qui s’en trouve renforcé. Si on suit l’opposition, on ne devrait pas signer de conventions d’exploitation de nos ressources ? Que si ! Le tout est de bien négocier et de préserver les intérêts de notre pays. Le Sénégal est volontairement membre de l’Initiative pour la transparence des industries extractive (Itie). C’est parce qu’il y a une volonté forte de transparence du président Macky Sall. Nos efforts ont été salués, il y a quelques jours, par la directrice mondiale d’Oxfam, Ong non partisane.
Quelle appréciation faites-vous de la polémique sur l’existence de trois fichiers électoraux soulevée par le candidat Samuel Sarr ?
On ferait quoi avec trois fichiers, dites-moi ? Ce sont des allégations non sérieuses, sans aucune preuve à l’appui. Le fichier est un et unique, il a été reconstruit complétement. Le rapport de l’Union européenne indique clairement qu’il est fiable à 98 %. Les recommandations d’amélioration sont en train d’être mises en œuvre. Le seul fichier existant est maintenant ouvert pour consultation individuelle ; chaque citoyen peut vérifier s’il est dans le fichier. Rappelons aussi que chaque citoyen a droit à la protection de ses données personnelles.
En tant que proche collaboratrice du président Macky Sall, comment analysez-vous ses erreurs récurrentes sur les versets coraniques, hadiths et ‘’khassida’’, comme ce fut le cas lors du grand Magal de Touba ?
Je pense que le président de la République était en communion avec les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba, c’est ce qu’il faut saluer. Il faut plutôt se féliciter de sa démarche.
Nous nous acheminons vers une élection présidentielle. Pourquoi, selon vous, le peuple devrait choisir de reconduire votre candidat ?
Sur les cinq élections organisées depuis 2012, la coalition Benno Bokk Yaakaar, dirigée par le président Macky Sall, a remporté les cinq. Nous sommes optimistes et pensons que la loi des séries sera respectée, car le bilan du président est très bon. L’inflation a été maintenue à un niveau bas, avec même une baisse des produits stratégiques comme les hydrocarbures. Les citoyens, dans leur majorité, apprécient les politiques sociales symbolisées par le Pudc pour les zones rurales, Puma pour les zones frontalières, les bourses familiales pour les femmes vulnérables cheffes de famille, la santé pour tous avec la Cmu. Notre agriculture progresse en termes de production et de modernisation. Les secteurs de la pêche et de l’artisanat n’ont jamais connu de tels investissements. L’autoroute Ila Touba symbolise aussi les ambitions réalisées de notre candidat. Je passe sur de nombreux progrès dans tous les secteurs de développement. On ne change pas un cheval qui gagne, dit l’adage. Je pense que les électeurs sénégalais donneront un second mandat à notre candidat afin qu’il renforce et élargisse les marges de progrès en cours.
Selon l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye, le gouvernement ment sur les chiffres de la croissance.
Lorsqu’Abdoul Mbaye était Premier ministre, les statistiques étaient bonnes, il les a défendues pendant tout son temps à la Primature. ‘’Vérité quand je suis en poste, mensonge quand je rejoins l’opposition’’. Voilà sa démarche. Vous pensez que la Banque mondiale, le Fmi, les organismes Standard and Poor’s, Flitch Group ou Moody’s peuvent être trompés pendant sept ans durant ? Le Sénégal est le seul pays de l’Afrique subsaharienne, avec l’Afrique du Sud et Maurice, à être admis au Club Nsdd (Norme spéciale de diffusions des données) du Fmi. C’est une reconnaissance internationale de la qualité de nos statistiques. C’est de la pure médisance politique de nature à discréditer notre pays. De la part d’un ancien Premier ministre, c’est regrettable.
Vous étiez surtout attendus dans le domaine de la transparence et beaucoup pensent que le régime a échoué sur ce plan.
Si on est objectif, on sait qu’en matière de corruption, il y a eu des progrès énormes dans notre pays depuis 2012. Consultez à nouveau vos manchettes de l’époque d’Abdoulaye Wade, le Fesman, l’Oci, rénovation scandaleuse de l’avion présidentielle, entre autres très nombreux cas de surfacturations comme l’Aibd pour lequel les renégociations ont conduit à une baisse considérable des coûts. Institutionnellement, on a des mécanismes plus efficaces et la culture de gouvernance a évolué positivement. Ceci étant dit, la lutte pour la transparence et la bonne gouvernance, c’est un travail continue et sans relâche.
Vous qui étiez le chantre de la traque, qu’est-ce que ça vous fait de voir rôder autour du président certains ténors de l’ancien régime accusés de malversation ?
Je m’intéresse aux principes de la bonne gouvernance et à ses mécanismes de mise en œuvre. La question est impersonnelle. On ne prescrit pas la reddition des comptes parce qu’on en veut à un tel ou à un autre, mais parce qu’il s’agit d’allouer exclusivement nos ressources collectives à notre développement commun. C’est une question d’équité et de justice.
Aujourd’hui, est-ce qu’il ne faudrait pas faire une évaluation de la traque, en termes de dépense et de recette ? Ou sont passés ces milliards dont vous parlez ? A travers quelle loi de finances ?
C’est une question dépassée depuis longtemps. Je vous demande de consulter le communiqué du gouvernement qui est très clair en la matière. Vous pourrez également consulter les lois de règlement y affairant. Ceci étant dit, la question de la reddition des comptes publics que vous appelez ‘’traque des biens mal acquis’’ est là pour rester. C’est une exigence de la démocratie moderne.