Deal entre Sonko et Tullow Oil : une fake news finement cousue de fil de mensonge

0 13
L’affaire a failli torpiller la candidature de Ousmane Sonko à la présidentielle de février 2019 à laquelle le leader de Pastef est sorti 3e avec 15% des voix. Alors que le député se préparait à lancer sa campagne en fanfare, son nom est cité dans un supposé deal avec la société pétrolière britannique Tullow Oil qui aurait versé 195 000 dollars (113 millions de francs cfa) à Ousmane Sonko.
La révélation a été faite dans un article attribué à la journaliste britannique, Michelle Madsen et publié sur « un obscur site d’information Ghanéen, Modern Ghana », le 9 janvier 2019, et exhibé comme un trophée de guerre par le camp du président sortant, Macky Sall. Mais, ce qui passait pour un gros scandale aura duré le temps d’une rose (48 heures) et s’est avéré être une grosse fake news finement cousue de fil de mensonge. Puisqu’aussi bien la journaliste Michelle Madsen (on lui a donné le nom Damsen dans l’article) que la compagnie Tullow Oil n’ont pas perdu de temps pour balayer d’un revers de main ces allégations mensongères.
Retour sur les faits
Dans un article révélation publié (en anglais et traduit par Libération Online) ce dimanche 14 juin 2020 sur BBC, Michelle Madsen démêle fil par fil cette toile d’araignée. « Je suis sortie d’un cours de danse dans le nord de Londres par une journée ensoleillée en janvier dernier pour trouver une série d’appels manqués de numéros africains. Je ne savais pas de quoi il s’agissait – j’ai donc vérifié mes boîtes de réception sur Facebook et Twitter – il y avait des centaines de messages me demandant tous la même chose : étais-je « Michelle Damsen », l’auteure d’une mystérieuse nouvelle au centre d’une tempête médiatique au Sénégal ?
« Un scandale de corruption secoue mon pays et votre nom a été mentionné ». « Nous sommes très inquiets car nous avons vu un article censé être écrit par vous ». « Je suis un journaliste sénégalais et j’ai vraiment besoin de vous parler! » », Narre la journaliste dans son récit.
« Ils voulaient tous savoir si j’avais écrit un article intitulé : « Les défis de l’exploitation des ressources naturelles en Afrique », paru sur un obscur site d’information ghanéen, Modern Ghana, le 9 janvier 2019. L’article a accusé le candidat de l’opposition Ousmane Sonko d’avoir accepté un pot-de-vin d’une compagnie pétrolière européenne et a été écrit par « Michelle Damsen ».
C’était à quelques semaines de l’élection présidentielle sénégalaise et M. Sonko était l’un des principaux adversaires du Président Macky Sall. (…) Je savais cependant que je n’avais pas écrit l’article de Modern Ghana et j’ai dit la même chose à tous les journalistes qui m’ont contactée. Mais j’ai été ébranlé par certains détails dans les reportages publiés au Sénégal et par la rapidité avec laquelle l’histoire a été liée à moi. (…) Tullow Oil et M. Sonko ont nié toutes les allégations et ces documents se sont rapidement révélés être des contrefaçons (…) », révèle-t-elle.
« L’auteur de l’article avait même proposé de payer de l’argent pour… »
Elle poursuit : « La tempête médiatique a duré moins de 48 heures. Je voulais savoir qui était « Michelle Damsen » et comment le faux article s’était propagé comme une traînée de poudre à travers le Sénégal. J’ai contacté le chef de « Modern Ghana », Bright Owusu, qui a dit que l’article était apparu sur la page d’opinion du site Web. Owusu a déclaré que l’auteur de l’article, un homme avec un accent africain, avait même proposé de payer de l’argent pour sa publication ».
Les révélations issues des investigations font tomber des nues. « Avec les métadonnées des courriels envoyés par l’auteur à Owusu et le numéro de téléphone, j’ai travaillé avec un programmeur et enquêteur numérique chez Reckon Digital, pour l’identifier. Le numéro a été retracé aux Etats Unis et était enregistré au nom de « Baba Aïdara ». J’ai été choqué – Baba Aïdara est un journaliste sénégalais vivant aux États-Unis et un adversaire du gouvernement sénégalais. Il se trouve également qu’il est l’un de mes meilleurs contacts », révèle-t-elle.
Baba Aïdara parle de « piratage de son compte »
Contacté par Michelle Madsen, Baba Aïdara a nié en bloc et soupçonne l’Etat du Sénégal d’avoir « hacké » son compte. « J’ai parlé à Aïdara, qui a nié que l’histoire vienne de lui. Il a dit qu’il pensait avoir été piraté et il soupçonnait le gouvernement sénégalais. Les journalistes à qui j’ai parlé au Sénégal ont déclaré qu’il y avait eu une « guerre des fausses nouvelles » dans la perspective des élections de 2019, avec des intox venant de toutes parts », confie Madsen.
Mais, ajoute-t-elle, « beaucoup ont dit qu’ils soupçonnaient que l’histoire provienne de l’équipe de campagne du Président Sall, qui comprenait un groupe de travail sur les communications dirigé par un certain nombre d’experts en communications numériques qui avaient déjà travaillé sur des campagnes présidentielles ».
Motus et bouche cousue du côté de l’Apr
Les tentatives de la journaliste d’entrer en contact avec les collaborateurs du président Sall ont été sans succès. D’ailleurs dévoile Michelle Madsen : « j’ai essayé de parler à l’équipe de campagne de M. Sall et au porte-parole de son parti, l’APR, mais personne ne voulait me donner d’interview ou répondre à mes questions. J’ai cependant réussi à obtenir un entretien avec M. Sonko, qui a déclaré qu’il n’avait jamais reçu d’argent de Tullow Oil et que le gouvernement s’était « donné pour mission de le discréditer efficacement » ».
Michelle « Damsen », un fantôme ?
D’après le programmeur sollicité par la journaliste, « il est possible que le téléphone d’Aïdara ait pu être piraté ». Quant à la fameuse Michelle Damsen (celle qu’on a fait passer pour la vrai Michelle Madsen) elle reste un fantôme. « Un an plus tard, je ne sais toujours pas qui est « Michelle Damsen », peut-être que je ne le saurais jamais. Il convient de garder à l’esprit que la prochaine fois que « Michelle Damsen » prendra le clavier, l’histoire et son impact pourraient avoir une portée beaucoup plus large », espère-t-elle.
Seneweb
Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.