Décès d’Idriss Déby Itno : qui sont les rebelles du FACT que combattait le maréchal du Tchad ?

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Depuis le 11 avril, plusieurs colonnes du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) étaient descendues de la frontière libyenne et avaient progressé en territoire tchadien en direction de N’Djamena.

Idriss Déby Itno l’avait répété à de nombreuses reprises à ses proches : « Un jour, vous pourrez dire ‘Déby est mort’. Mais jamais vous ne direz ‘Déby a fui’ ». Le 17 avril, le président tchadien s’est donc rendu sur le front des combats qui opposaient ses troupes à celles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT). Il y succombera, d’une blessure par balle, dans la fin de journée du 18 avril, même si son décès n’a été annoncé que dans la matinée du 20 avril.

Les combats avaient lieu dans le nord du Kanem, à environ 300 kilomètres de la capitale. Le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) y avait pénétré le 17 avril et l’armée y avait envoyé des renforts terrestres pour couper aux insurgés la route de Mao, stratégique pour descendre vers le Sud, tandis que l’allié français fournissait des renseignements grâce au survol de son aviation basée au Tchad.

Repli

Des pertes importantes avaient été enregistrées des deux côtés, les rebelles disposant d’un armement de qualité, en partie russe, récupéré en Libye. Mais la balance des effectifs paraissait alors jouer en faveur de l’armée régulière. Le 18 avril, bien que des rumeurs fassent état de nombreux décès parmi les généraux tchadiens, le gouvernement affirmait ainsi que son armée, dirigée par le maréchal Idriss Déby Itno, avait mis en déroute les rebelles et fait 150 prisonniers.

Mahamat Mahdi Ali, le leader du FACT, concédait pour sa part que ses troupes avaient opéré « un repli stratégique » depuis les environs de Nokou, à une cinquantaine de kilomètres de Mao. Selon nos informations, les colonnes du FACT au Kanem se sont toutefois disloquées lors des dernières attaques de l’armée dimanche 18 et lundi 19 avril. Certains des rebelles ont fui vers l’ouest et le Niger, d’autres vers le Tibesti.

« Ce que voulait éviter le président, c’est un regroupement des rebelles goranes »

Le FACT, qui a perdu une partie de ses troupes et de son matériel, s’est donc replié dans le Nord. S’il s’estime toujours en mesure d’atteindre N’Djamena et met la pression, via des communiqués, sur le conseil de transition mis en place après le décès d’Idriss Déby Itno, ses capacités semblent pour le moment bien amoindries. Selon nos informations, il dispose toutefois d’une base dans les environs de Tanoua, dans ce que les Libyens appellent la « bande d’Aozou ». Il a également plusieurs positions de repli en territoire libyen, dans les montagnes du Djebel as-Sawda.

Fondé en avril 2016, le FACT aurait également eu accès à d’autres bases d’entraînement, notamment dans la région libyenne du Fezzan, dont les positions sont aujourd’hui en grande partie contrôlées par les mercenaires de l’entreprise russe Wagner. Selon plusieurs experts, le groupe rebelle tchadien disposerait de 1 000 à 1 500 combattants.

« Coup de poker »

« Pour Mahamat Mahdi Ali, le chef du FACT, l’attaque dans le Kanem était un coup de poker mais aussi un symbole. D’un côté, il a voulu prendre de vitesse le régime, qu’il pensait focalisé sur N’Djamena et les résultats de la présidentielle [proclamés le 19 avril au soir]. De l’autre, c’est sa région d’origine et il a voulu montrer qu’il y bénéficiait de soutiens », expliquait une source sécuritaire à Jeune Afrique, juste avant l’annonce du décès de Déby Itno. « Ce que [voulait] éviter le président, c’est un regroupement des rebelles goranes qui ont combattu ces dernières années en Libye », ajoutait un diplomate.

Le FACT est en effet une scission de l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD) de Mahamat Nouri. Il est également proche du Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR, qui a attaqué le Tchad en 2019 et qui est dirigé par Mahamat Hassane Boulmaye). Mahamat Mahdi Ali est lui-même originaire de Salal (dans le Bahr el Gazal). C’est un Sagarda, un membre de la communauté gorane du Kanem.

« Idriss Déby Itno [savait] depuis des années que le principal risque pour lui [venait] du sud libyen, où la plupart des groupes rebelles ont combattu », précise un expert basé à N’Djamena. L’UFDD, le CCMSR et le FACT ont en effet tous trois opéré en Libye, le dernier ayant surtout apporté son soutien aux milices de Misrata dans leurs combats contre l’État islamique, mais aussi contre l’Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar. Le FACT aurait notamment participé à des attaques contre des positions de l’ANL à Ras Lanouf et Sidra (terminaux pétroliers) ou Tamenhint (base aérienne). Ses installations ont d’ailleurs été bombardées à plusieurs reprises par l’ANL, en particulier dans le Djebel as-Sawda en décembre 2016.

Éviter une recrudescence des mouvements rebelles

« La défaite d’Haftar aux portes de Tripoli et l’évolution de la situation dans le sud libyen ont progressivement poussé le FACT à se replier vers la frontière tchadienne », poursuit notre expert. « Ils se sont retrouvés pris en tenaille entre Haftar et Idriss Déby Itno, qui poussait le Libyen à les attaquer, confirme une source sécuritaire. Cela a poussé le FACT à descendre dans les zones frontalières avec le Tibesti. Or, cette dernière est une région frondeuse que le régime a du mal à contrôler, notamment aux alentours de Miski ou Zouar. »

« Le premier défi de Mahamat Idriss Déby sera d’éviter une recrudescence des mouvements rebelles et les scissions dans son propre clan

En 2020, Idriss Déby Itno avait envoyé à plusieurs reprises des émissaires dans la région, notamment l’ex-chef de l’État Goukouni Weddeye et le général Oki Dagache, tous deux originaires du Tibesti, ou encore son fils et directeur de cabinet adjoint, Abdelkerim Idriss Déby. Mais ses relations avec les notables locaux, qui réclamaient plus d’autonomie et une meilleure répartition des richesses minières, étaient fragiles.

Le casse-tête libyen et l’épine du Tibesti survivront à Idriss Déby Itno, dont le fils, Mahamat Idriss Déby, a pris la tête de la transition de 18 mois annoncée le 20 avril. Son premier défi : éviter une recrudescence des mouvements rebelles et les scissions dans son propre clan, que ne manquent pas d’alimenter Timan Erdimi, depuis son exil de Doha. « Kaka », le surnom du nouvel homme fort de N’Djamena, a longtemps observé les stratégies de son père. Le voilà désormais forcé de les appliquer.

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