DOSSIER : La diaspora italienne, Di Lorto l’enfant de Provence
uite de notre série consacrée à la diaspora italienne, de ces joueurs d’origine italienne ayant fait le bonheur de clubs dans le monde entier. Aujourd’hui, Laurent Di Lorto, fils d’immigrés en Provence, gardien de l’OM et de Sochaux dans les années 1930 qui aurait pu connaître un destin plus prestigieux sans l’arrivée de la guerre.
Laurent Di Lorto est né à Venise… mais la Venise provençale : Martigues, au bord de l’Etang de Berre, près de Marseille. Au début du 20e siècle, la zone accueille beaucoup d’Italiens. Le film « Toni » de Renoir en témoigne. Parmi ces Italiens, qu’on nomme méchamment les « Bàbis », les Di Lorto. Très tôt, le jeune Laurent se passionne pour le football. C’est tout naturellement qu’il fait ses débuts dans le club de sa ville, le FC Martigues en 1924. Ses aptitudes sont remarquées par le voisin marseillais qui l’engage en 1931.
La consécration à l’OM puis Sochaux
Di Lorto entre sur la pointe des pieds chez les Olympiens, comme doublure et avec le statut d’amateur. C’est à partir de la saison 1933-1934 qu’il prend son envol. Il devient une des idoles des Marseillais. Il remporte la Coupe de France en 1935. Di Lorto, c’est un athlète mais également un style: gueule d’ange, cheveux gominés, raie sur le côté. En match, il porte souvent la casquette. On le retrouve parfois sur des produits publicitaires. Di Lorto a tout pour réussir à Marseille, cité où vivent des dizaines de milliers d’Italiens. Pourtant, après quatre saisons sur le Vieux-Port, il est recruté par le FC Sochaux. Choix hasardeux ? Bien au contraire. La famille Peugeot, propriétaire du club, casse la tirelire pour se composer une équipe de rêve et faire une belle publicité à leur marque. Le succès ne tarde pas : avec les Lionceaux, il remporte la Coupe en 1937 et le Championnat en 1938. Di Lorto est au plus haut. L’Equipe de France s’ouvre à lui. Il est vraisemblablement le premier International français d’origine italienne né en France. Il joue le Mondial 1938 en France et compose avec ses coéquipiers sochaliens Etienne Mattler et Hector Cazenave la « Ligne Maginot » (comparaison flatteuse vu qu’elle n’a pas encore été balayée par les Nazis). Mais la guerre arrive et cette génération voit sa carrière écourtée.
Crucifié par l’Italie de ses parents
Sans la guerre et avec une professionnalisation du football plus précoce, Laurent Di Lorto aurait pu davantage marquer l’histoire. Notamment avec les Bleus. Au final, malgré son talent, il ne compte que 11 sélections de 1936 à 1938. Comble du sort c’est le 12 juin 1938, en quart de finale de la Coupe du Monde qu’il joue son dernier match en bleu, crucifié par… l’Italie, qui joue en noir, contexte politique oblige. En début de match, devant les 58.000 spectateurs de Colombes, il bafouille sur un tir anodin de Colaussi et favorise la qualification des Azzurri, futurs Champions du Monde, qui l’emporteront 3 à 1. Et pourtant, c’est face à ces mêmes Italiens qu’il avait gagné ses lettres de noblesse en amical (0-0 au Parc des Princes) en décembre 1937 en repoussant tous les assauts transalpins, et deux surnoms : Bayard et Laurent le Magnifique. Le destin est parfois cruel. Di Lorto raccrochera les gants la saison suivante, à seulement 30 ans. Il deviendra quelques temps entraîneur à Saint-Dié, puis reviendra s’installer à Montbeliard pour y tenir une boutique de vêtements pour enfants. C’est là qu’il repose.
Parce que le temps qui passe est souvent ingrat, le nom de Laurent Di Lorto est parfois oublié. Le gardien des Bleus, de l’OM et de Sochaux mériterait d’être davantage mis à l’honneur. A Martigues, il y a bien une avenue, une traverse, un gymnase et deux écoles Di Lorto, mais dédiés à son frère Paul ; résistant fusillé en juin 1944 par les Nazis. Preuve que les enfants de l’immigration italienne de la première moitié du 20e siècle ne faisaient pas que jouer au football.