Médecin-chef de district, Docteur Fatma Fall est au cœur de la santé des populations du département de Mbour. Connue pour sa rigueur, sa compétence et son envie sans faille d’un système de santé performant, elle a en charge de coordonner la lutte contre le Covid-19 à Mbour et s’y donne à fond. Portrait d’une cardiologue, spécialisée en santé publique, tenace et atypique.
Figure phare dans la gestion de l’épidémie à coronavirus dans le département de Mbour, Fatma Fall mène son combat au pas de charge. Contre la psychose qui grandit, contre la stigmatisation des malades et de leurs proches, contre la propagation communautaire de la maladie. Dès l’annonce de l’apparition du premier cas de Covid-19 à Mbour, elle est devenue un point central. Courue par les media, elle est au centre d’un dispositif qui couvre les districts des communes.
Point de répit pour elle. Sauf avec la presse à l’endroit de laquelle on sent un bémol. « Le médecin-chef de district a décidé de ne plus communiquer sur les cas. Tout le monde sait qu’elle travaille, mais son silence est une question de stratégie. Elle maîtrise son discours. Seulement, pour elle, le moindre mot peut être interprété. Étant une personne très discrète, elle cherche à protéger les cas confirmés », indique El Hadj Ndiaye, enseignant à la retraite et ami du médecin.
Ce repli a ses explications. Le samedi 14 mars dernier, Dr Fall avait convié les journalistes à un point de presse. Attendue à 18 heures, elle ne débarque sur les lieux que deux heures de temps après. Elle présente ses excuses et explique que le département de Mbour venait d’enregistrer son premier cas de Covid-19. Elle devait alors acheminer la personne infectée à Dakar. Très vite l’information fait le tour du Sénégal. Quelques jours après, elle annonce un deuxième cas de Covid-19. Mbour devient alors le centre de toutes les attentions du fait de l’importance d’une ville qui, après Dakar et Touba, traine une des plus fortes concentrations démographiques du Sénégal.
Face à la psychose qui commençait à s’installer, elle se barricade alors et décide de revoir sa communication. Elle ne veut plus communiquer que sur ce qui peut apaiser. Elle s’éloigne des propos qui peuvent installer la terreur ou qui poussent à banaliser la réalité de la pandémie. De la ténacité, elle en a pour gérer toutes ces choses-là, mais elle a beaucoup à faire pour supporter en plus la pression des medias.
Tous les jours, elle tient deux réunions avec ses agents. Sans compter celles tenues entre Thiès et Dakar. « Mais elle reste à l’écoute de ses hommes. Ce qui est, selon moi, le seul moyen de maintenir l’esprit de groupe », soutient M. Ibrahima Bodian, ancien responsable de l’éducation pour la santé au district de santé de Mbour.
La population de Mbour demeure cependant dans l’expectative et s’inquiète du nombre de cas positifs qu’enregistre le département. Mais Dr Fall reste ferme : « Je ne communique plus sur le nombre de cas. Ça pose plus de problèmes que ça n’en résout. Les gens vont être affolés et ce n’est pas ça l’objectif de la santé. Pour connaître le nombre de cas, il faut vous référer aux communiqués du ministre de la Santé qui fait chaque jour l’état des lieux », lance-t-elle.
Les rumeurs montent et on annonce que Mbour compterait 14 cas positifs. Mais Dr Fall reste sourde et muette aux interpellations, avec un visage plein de sérénité. Solide de caractère, démarche active, ses pas assurés la mènent dans tous les contours du district sanitaire de Mbour. La tête haute, telle une bourgeoise, elle semble insensible à ce qui l’entoure. Mais elle est loin d’être une tête en l’air. Son sens pour l’ordre et la ponctualité sont connus de tous les agents. Ses convictions en bandoulière, elle a un goût prononcé pour les défis. Covid-19 en est un.
Imperturbable, elle lui fait face. « Quand vous la regardez, vous avez des appréhensions sur sa personne. Mais elle est d’une bonté sans mesure. Elle croit juste en ce qu’elle fait. Elle est médecin-chef, mais elle continue ses consultations en cardiologie », confie Guédado Bâ, acteur communautaire.
Née à Rufisque, Dr Fatma Fall a fait ses études primaires à l’institution Immaculée Conception. Dès son plus jeune âge elle se voyait docteur. Le Bac D en poche en 1979, elle file à la Fac de médecine.
« Je voulais être médecin. C’était la médecine ou rien ! Je disais que si on ne m’orientait pas en Médecine, je n’allais pas poursuivre mes études universitaires. J’aimais la médecine. C’était ça ou rien ! J’avais des oncles médecins. Ils m’ont soutenue dans mon choix », rappelle-t-elle avec un regard chargé de fierté. Quelques années de formation plus tard, elle se retrouve titulaire d’un diplôme de spécialisation en santé publique, mais aussi en cardiologie.
Fille d’une couturière et d’un agent de l’ex-Office national de coopération et d’assistance pour le développement (Oncad), structure chargée de fournir le crédit, les semences d’arachide, l’engrais et le matériel agricole au monde paysan, elle avoue que ses parents « ne connaissaient que le travail bien fait. Ils nous ont éduqués dans la droiture et le respect. J’entretenais une relation particulière avec mes parents. Ils étaient mes meilleurs amis. Ce que je suis, je le leur dois », ne cesse-t-elle de répéter, nostalgique. Outre son expérience et sa rigueur, il y aussi une dose de compétence saluée par tous. Mais si ses collaborateurs et patients l’adoubent avec une force qui ne souffre d’aucune faille, d’autres se plaignent de son manque d’empathie.
Son ami El Hadj Ndiaye rectifie cependant : « Au Sénégal, quand tu fais preuve de rigueur, on t’assimile à une personne difficile. La santé est importante. Sans une bonne santé on ne peut ni étudier ni enseigner, ou s’activer dans n’importe quoi. Alors pouvez-vous imaginer qu’une personne qui s’occupe de la santé de toute une population soit laxiste ? »
Un de ses anciens collaborateurs, Ibrahima Bodian, responsable de l’éducation pour la santé au district de santé de Mbour, ajoute : « C’est une femme de devoir. Si elle arrive à gérer une grande équipe, c’est grâce à son dynamisme, sa ténacité et à sa vision de ce que devrait être la santé. C’est un domaine fait de paramètres, d’obligations, de responsabilités. Durant tout le temps où j’ai travaillé avec elle, elle n’a jamais badiné avec les directives. Elle écoute et met à contribution tous ses collaborateurs. Du plus petit au plus grand ».
Militante d’un système de santé performant
D’une discrétion exemplaire, Dr Fatma Fall n’est pas du genre à tourner autour du pot. Son action de tous les jours se résume à son militantisme pour une santé sociale efficace. « La médecine est sérieuse. Quand on choisit de prendre en charge la vie des personnes, il faut y mettre son amour et son temps. Nous n’avons pas choisi la facilité. Nous avons choisi des responsabilités. J’adore ce que je fais. Personne ne m’influence. Des gens m’ont encouragée, comme mes oncles. Et quand on me confie un travail, je fais tout pour bien assurer. Je ne veux pas qu’on me fasse des reproches. Je fais des erreurs comme tout le monde, certes, mais si j’en fait c’est indépendant de ma volonté », se dédouane-t-elle.
Le premier poste qu’elle a occupé dans sa carrière est celui de médecin de la commune de Dakar. C’est au temps du défunt maire Mamadou Diop. Puis elle rejoint le centre de santé de Ouakam. Assez vite elle quitte le service public pour intégrer le privé. Il ne lui a cependant fallu que 5 ans d’exercice pour se rendre compte qu’elle n’était pas dans son milieu. « Le privé n’était pas pour moi. Je n’aidais pas les gens comme je le voulais. Dans la vie, il faut être utile », raconte-t-elle. Pour des raisons humanitaires, elle décide donc de quitter le privé pour revenir dans le public. Ibrahima Bodian témoigne : « Elle est sociable et simple. Elle est toujours à l’écoute. Tout ce qu’elle souhaite entreprendre sans profit pour la population, elle ne s’y engage pas ».
Dr Fatma Fall sera ainsi l’adjointe du médecin-chef du district sanitaire de Mbour, le docteur Aloyse Diouf, aujourd’hui directeur de cabinet du ministre de la Santé et de l’Action Sociale, qui joue un rôle central dans la communication contre le Covid-19. En 2011, Dr Fall est ensuite nommée médecin-chef à Foundioungne. Elle se retrouve alors obligée de laisser ses enfants à Mbour. « Ce n’était pas facile pour moi. J’avais des enfants de bas-âge. Mais cela ne m’a pas m’empêché de faire mon travail. C’était difficile pour mes enfants ». Mais elle a la chance d’avoir des filles qui l’ont beaucoup soutenue. « Elles acceptent et m’encouragent. J’avais des inquiétudes pour elles. Mais elles me disaient tout le temps : « Maman si tu as du travail, ne te presse pas de rentrer. Fais-le calmement et quand tu termines, tu pourras rentrer ».
Heureusement, tout s’est bien passé. Elle est ainsi promue médecin-chef de district (Mcd) à Mbour, en 2013. Troisième femme nommée à ce poste, précisément au quartier Tefess, cet établissement est alors érigé en établissement public de santé (Eps) de niveau 2. Le poste de santé de Tefess est transformé en district sanitaire au moment où Dr Aloyse Diouf est nommé Directeur du Service national de l’éducation pour la santé (Sneps) et il fallait lui trouver un remplaçant.
Prendre soin de sa maison
Quand elle n’est pas dans les liens de la santé, cette dame aime recevoir des invités, regarder des reportages et adore aussi retrouver ses occupations domestiques. « Après mon travail, je m’occupe à faire des tâches ménagères. Je les fais très bien d’ailleurs. Faire le ménage ou la lessive me permet de décompresser. Si tu t’occupes seulement de ton travail et que tu ne sais pas prendre soin d’une maison, tu peux avoir une femme de ménage qui fait ce qu’elle veut. Mais si la personne à qui tu confies ta maison sait que tu sais bien t’y prendre, elle fera bien son travail », confie-t-elle.
Et ajoute : « Les Sénégalaises sont braves. Ce sont des battantes. Je les respecte. Elles gèrent la maison, le boulot, leur époux et leurs enfants. Quand tu sors à l’aube, tu croises les femmes avec leurs bassines, leurs sacs. Chacune d’entre elles va travailler ». Malgré tout elle n’aime pas qu’on parle de parité. « Le concept est réducteur en soi pour les femmes. C’est comme si il y avait une différence entre les hommes et les femmes. Ce que je dois faire je le fais, donc je parle toujours de complémentarité. Il y a des choses où on ne pourra jamais prendre la place des hommes. Il y a aussi des choses pour lesquelles les hommes ne pourront jamais prendre la place des femmes. Si quelqu’un doit occuper un poste, on ne doit pas se focaliser sur le genre. On doit juger sur les compétences », défend Dr Fatma Fall.
Certains pensent qu’elle « manque de joie et d’humanité ». Ibrahima Bodian balaie l’impression : « Ceux qui le pensent, la connaissent mal. Elle a certes du caractère et des convictions, mais elle a une qualité déterminante chez une personne : le désir de comprendre. Elle prête attention à son entourage comme au personnel du district. Du plus grand fonctionnaire jusqu’au vigile, chacun a la considération de Dr Fatma. Elle se rend dans toutes les cérémonies familiales, peu importe le poste qu’occupe l’agent ».
Il ajoute : « Quand quelqu’un fait des erreurs, elle prend la peine de découvrir elle-même ce qui se passe. Et elle prend toujours le courage de dire les choses, de prendre ses décisions et d’assumer. Elle rassure en interne ».
Mme Niang, un autre agent, de confirmer : « On travaille en parfaite harmonie avec elle. Elle tient tout le temps une réunion pour voir ce qui a été fait dans la journée avec pour objectif d’améliorer la santé des populations. Nombre de Mbourois ne manquent pas de l’apercevoir marchant dans la rue. Si elle marche, sachant qu’une voiture est à sa disposition, c’est par modestie ». Mais là, c’est le médecin qui rectifie : « La voiture de service ce n’est pas mon bien. C’est pour le service. En plus j’adore la marche ». Marcher lui permet sans doute de se libérer l’esprit, mais nul doute que Covid-19 est toujours dans sa tête.