Parler de Seydi El-Hadji Malick SY (RTA) dans le contexte du Gamou, est une source de bénédiction pour notre pays, pour sa grande majorité musulmane en ce qu’il a su rigoureusement nous arrimer aux principes salutaires de la Sunna prophétique sans verser dans le rigorisme doctrinaire et fanatisant de certains courants pour une charia dure et intransigeante. Il a su également initier un ordre spirituel authentique qui nous a affranchis des artifices et des supercheries morales et psychologiques issues de la renaissance « thieddo » et des nouvelles pratiques animistes.
Pourtant comme tous les Prophètes et Saints missionnaires, il n’a pas échappé aux critiques (fondées ou non) de ses contemporains et même de ses post-contemporains non pas pour des manquements tangibles ou avérés de sa part, mais peut-être parce qu’il avait érigé une orthodoxie et une vision autre qui gênaient notre confort moral et psychologique habituel.
Et dans notre pays, on nous raconte tout sauf ce qui pourrait éclairer la conscience des sénégalais soucieux d’être en phase avec certaines vérités pour mieux se (re) connaitre à travers leur passé, leur histoire.
Churchill disait que le mensonge peut faire le tour du monde avant que la vérité n’enfile son pantalon.
1 – El-Hadji Malick dans le contexte « houleux » de
redéfinition de l’histoire générale du Sénégal
Peut-on véritablement écrire l’histoire d’un pays, d’une nation si l’on sait que les projections anthropomorphiques ont une ascendance manifeste et coercitive sur les considérations d’objectivité et de restitution des faits dans leur authenticité ?
Le père de Hampaté BA lui disait ceci : « tu as ta vérité et j’ai la mienne mais la VERITE est un et indivisible et se place au-dessus de nos préoccupations partisanes ».
L’Histoire vraie du Sénégal, on ne la racontera peut-être jamais parce qu’il y va d’une « supposée » stabilité et d’une cohésion sociale préétablie pour notre pays. Ceux qui ont tenté, même par souci de vérité, de couper les tentacules de cet hydre de mer, l’ont appris à leur dépens.
Je m’incline devant tant de respectabilités, d’honorabilités et de vénérabilités dont regorge notre patrie mais leur histoire, par omission ou déformation, ne sera jamais totalement connue. Et comme disait V. Hugo, « même les plus grands esprits ont leurs fétiches ».
Au mieux, on pourra peut-être se contenter d’une histoire générale « officielle ou officialisée » ou au pis, « des histoires » du Sénégal sous le prisme déformant de nos anthropomorphismes et au grand dam des exigences de la reconstruction historique.
Dans sa grande croisade contre les idées reçues, El-Hadji Malick SY a, à la fois fustigé l’histoire traditionnelle et l’histoire sainte. La première pour son manque d’objectivité parce qu’elle « enjolive » les épopées glorieuses et snobe nos grands moments d’échec et de recul. La seconde, parce qu’à bien des moments, leurs acteurs principaux ont ouvertement trébuché.
Pourtant, il a écrit l’une des plus belles pages de l’histoire sainte, œuvre qui n’a rien à envier au célèbre ouvrage panégyrique de Imam Boussri, mais il a avoué que la source authentique de connaissance ne peut nous venir que de la « Tawhid », ensemble des essais sur le principe de l’« Unicité de Dieu »
L’histoire vraie ne se raconte pas sous l’emprise de la colère, de la revanche, d’un complexe quelconque ou de rancœur.
Elle ne se conçoit pas comme on façonne une œuvre d’art en esquissant ou en dégommant les figures d’intérêt selon les goûts et les humeurs de son auteur.
Sauf que l’œuvre d’art, même subjective, peut être fascinante ! Et l’histoire ne jouit pas de ce confort là.
Rétablir des vérités historiques, ne peut se faire dans la conjecture, l’incontinence et l’inconsistance.
2 – La ville sainte de Tivaouane, « une invention coloniale » ?
A Médine, si le Prophète de l’Islam (PSL), sur une proposition de Ababacar, a choisi sa chamelle pour identifier son lieu de résidence, c’est essentiellement pour des raisons d’équité face aux dignitaires médinois qui voulaient tous en faire leur honorable hôte. Mais si El-Hadji Malick SY (RTA) a choisi Tivaouane comme point de chute pour parachever sa noble et exaltante mission, c’est pour se conformer à la précision de la boussole.
Autrement dit, sa haute stature mystique lui permettait de faire ce choix avec toutes les garanties de succès. Et la suite des évènements lui a amplement donné raison.
Des facteurs stratégiques et d’accessibilité ont également motivé le choix de Maodo.
A ses yeux, initier des centres universitaires islamiques proches des milieux urbains constituait une belle opportunité pour dresser son bouclier face à la politique coloniale d’assimilation culturelle et d’intégration.
En Erudit avisé, il affirmait toujours que la lumière du savoir était fécondante et devait constituer l’élément géniteur pour fertiliser les autres sources d’abreuvage qui alimentent notre chaine de spiritualité. Ce que Serigne Cheikh A.T. SY, son petit-fils et un de ses plus éminents et fervents disciples, a formulé autrement, en me disant lors d’un débat privé que « le pouvoir de l’imagination apportait plus à la quête mystique que les formules lithurgiques censées nous ouvrir au dévoilement ».
La ville sainte de Tivaouane, devenue « capitale mondiale de la confrérie Tidjane » (selon un documentaire diffusé sur TV5 Afrique), site de pèlerinage unique dans le monde pour célébrer la naissance du Prophète de l’Islam, point de chute d’intellectuels et d’érudits musulmans de tous horizons, sources d’inspirations poétiques associées à l’image de El-Hadji Malick SY (RTA)…et j’en passe !
Cette panoplie multidimensionnelle constitue l’identité vraie de cette cité bénie qui porte et portera à jamais l’empreinte du Vénéré Maodo.
Dire que Tivaouane (qui était déjà une bourgade de tribus peulh, puis un fief de la noblesse « thieddo » avant la venue de Maodo) est une « invention coloniale », relève de propos et d’arguments débiles et fallacieux.
Que reproche-t-on finalement au Patriarche de Tivaouane ? D’avoir eu la « bénédiction » coloniale pour s’installer sur ce site ?
Et j’affirme sans risque d’être démenti que tous les titres fonciers et autres attributions domaniales accordés aux chefs religieux et coutumiers de l’époque ont été faits avec l’aval de l’autorité coloniale.
3 – El-Hadji Malick SY et la question du jihad
Lorsque d’éminents intellectuels et dignitaires religieux comme Khaly Madiakhaté Kala ont interpellé Maodo sur la nécessité d’intégrer le principe du jihad dans sa panoplie stratégique de vulgarisation de l’Islam au Sénégal, à l’instar de ses prédécesseurs El-Hadji Omar TALL (RTA) et Tafsir Maba Diakhou BA (RTA), il a répondu qu’il fallait résoudre autrement, les problèmes non résolus par le jihad et ceux engendrés par ses exécutants plutôt que se livrer à un enchainement de conflits armés qui laisseraient des équations entières insolubles.
En d’autres termes, le jihad devrait être conçu dans une logique stratégique efficiente plutôt qu’en mode de continuité, aux conséquences parfois incontrôlables, incalculables.
La fin « mystérieuse » du jihad omarien comme celle tragique du grand Combattant (Al Mujaahidoul Kabir) Tafsir Maba Diakhou ont de quoi soulever des interrogations sur le caractère immuable de la lutte armée dans la vulgarisation de la foi et du message islamiques.
On n’hérite pas du jihad ! Ahmadou Cheikhou (RTA), qui a repris le flambeau de son Vénéré Père l’a appris à ses dépens puisqu’il n’a jamais eu le temps de trouver et de déployer ses moyens avant de tomber sous les balles de Archinard et de ses puissantes troupes coloniales.
Par suite d’une nuit de forte pluie à Dakar où il avait été le seul à se rendre à la « zawiya » pour la prière nocturne, Maodo a eu à ironiser en ces termes : « Peut-on initier le jihad avec des fidèles qui préfèrent le confort du lit, les senteurs de l’encens plutôt que de braver la pluie, le vent, les éclairs et le tonnerre afin d’accomplir un pilier essentiel de notre échelle d’adoration.
Il ne cessait de murmurer à son entourage qu’il valait mieux former des croyants qui ont l’âme d’un soldat plutôt que de livrer le jihad avec des soldats impréparés.
Et en parfait Mystique, il disait à qui voulait l’entendre que « mon arme de combat, c’est mon Chapelet ! ». Mais ce n’était point un chapelet tueur encore moins un chapelet d’envoûtement !
Rappelons que le jihad a été institué sur une injonction du Ciel et qui autorisait les musulmans à se défendre face aux « ennemis » de Dieu et à leurs agresseurs.
« Préparez, pour lutter contre eux, tout ce que vous trouverez, de forces et de cavaleries, afin d’effrayer l’ennemie de Dieu et le vôtre et d’autres encore que vous ne connaissez pas en dehors de ceux-ci mais que Dieu connait ». (Chapitre 8, verset 60)
4 – Cheikhou Oumar, Maodo et les Autres…
c’était le même combat mais, porter leur cause ne devrait pas être l’affaire des affabulateurs, des opportunistes et des sensationnalistes.
Sur les questions stratégiques de son temps, El-Hadji Malick SY savait qu’il y’avait des choix décisifs à faire. Dans ses écrits (« Kifaayatu Raghibine » notamment) comme ses prêches publiques, il jugeait l’« ennemi intime » plus redoutable que les porteurs de fusils.
En effet, les foules nouvellement fanatisées, les néo-fidèles fraichement débarqués de notre idolâtrie locale et dont la formation islamique restait encore floue, les grandes familles « thieddo » coalisées par alliance aux nouvelles dynasties religieuses, les prêcheurs d’un nouveau genre, les réseaux d’espionnage indigènes… constituaient des menaces pressantes pour préserver l’orthodoxie de la foi islamique et l’authenticité confrérique dans notre pays.
Pour le Patriarche de Tivaouane, il était plus urgent de pacifier, puis purifier et reféconder par la lumière les « espaces » jadis, sous influences païennes.
Cette subtile confrontation nous rappelle celle d’un autre Sage de l’Islam sénégalais, Cheikh El-Hadji Oumar (RTA) dont l’histoire est à la foi poignante, palpitante, pertinente mais aussi très instructive. En effet, durant son jihad, il a tué plus de musulmans que d’infidèles, exécutés plus d’imams, de dignitaires religieux que de souverains païens tout simplement parce que durant sa noble « croisade », il devait faire face à une épidémie sociale et morale suscitée par le règne systématique d’une hypocrisie dont les auteurs étaient les principaux dignitaires de son temps. Or, au regard des textes sacrés (Sourate « La Repentance » dans le Coran), l’hypocrisie est pire que la mécréance. C’est « le ver dans le fruit ! »
Aux yeux du Cheikh, il fallait radicalement séparer, éloigner les auteurs de cette épidémie, des croyants intègres et honnêtes. Il disait sur leur compte qu’« ils sont capables d’ébranler la foi et bâtir en retour des mosquées » (you haddamou imaanan wa tubnaa massaajid).
Aujourd’hui encore, le « ver est dans le fruit ! »
En effet, une nouvelle « ère de déviations » se dessine et portée d’une part, par des « dignitaires religieux » reconvertis dans la pratique du charlatanisme tout en se disant investis des pouvoirs mystiques. Certains sont même abonnés aux registres des grands charlatans de ce pays.
Ce revers de la médaille semble traduire une certaine « revanche » des fétichistes sur les vrais mystiques qui ont donnés à l’Islam sénégalais toute sa particularité, toute sa grandeur.
Pas un évènement majeur dans notre pays (politique, religieux, traditionnel) où l’on n’entend pas de sacrifices animistes avec des têtes de mulets et de chevaux tranchées, mêlées à des pratiques occultes de sorcellerie et à travers lesquelles l’on prétend apporter une onction victorieuse pour tel ou tel leader, tel ou tel personnage.
Les veillées religieuses ou autres séances lithurgiques qui avaient pour cadres intimes et authentiques les mosquées et les enceintes des « zawaayas », sont progressivement « délocalisées » vers les salles de spectacles, les stadiums et autres grands stades qui ont tendance à leur conférer plus de contenu sensationnel que de dimension méditative.
Lors de la grande rénovation de la Mosquée du Prophète (PSL) à Médine, Serigne Cheikh Tidiane SY (RTA) avait rappelé au secrétaire général de la Ligue Islamique Mondiale de l’époque que « Le Prophète de l’Islam recommandait la méditation plutôt que l’émerveillement ».
L’effet sensationnel des foules, Maodo s’en était toujours méfié. D’où son impitoyable avertissement « l’affluence est un poison mortel » (Al Jama’atou soumoun qaatil).
Au sein des grandes familles religieuses, on s’intronise, de manière à peine voilée, héritier ou successeur sans même que la question soit posée. Ces projections de dissidence cachent mal des volontés fractionnistes qui n’ont rien à voir avec la sauvegarde du message, des valeurs et de la culture religieuse que les Ainés nous ont légués et pour lesquels ils se sont lourdement sacrifiés.
Ces facteurs de division constituent non seulement une atteinte à l’unité des cœurs que nous recommandent les textes sacrés et leurs protecteurs, mais ils sont aussi une forme de prise d’otage des fidèles, des disciples qui, au bout du compte, sont manipulés et ne savent plus à quel saint se vouer.
En voulant épurer Baghdad de certains comportements et agissements décadents, peu conformes avec l’orthodoxie musulmane alors que celle-ci était la capitale politique, culturelle, économique et militaire de l’empire musulmane, Cheikh Abdou Khadre Djeylani (RTA) avait recruté, choisi quarante cinq (45) jeunes pour leur intimer de se dresser en boucliers face à ces dépravations.
Face à ce défi énorme, ils avaient estimé ne pas disposer de moyens appropriés pour s’y consacrer.
« Vous n’avez qu’à jouer la carte de la perfection » rétorqua le Grand Mystique et vous finirez par affoler tous ces hommes d’appareil, tous ces détenteurs de pouvoir en brisant leurs chaines de corruption.
Les véritables problèmes auxquels l’Islam a été confronté durant son pénible et passionnant cheminement ont eu souvent des causes internes allant de la « dynastisation » politique, de l’instrumentalisation théologique au service des gouvernants en passant par le grand « schisme » confessionnel qui a mis « en minorité » Seydouna Aly (RTA) et ses partisans alors que celui-ci était le véritable dépositaire du legs prophétique dans l’ordre de succession du Califat.
Ces mouvements ont eu certes des retombées tragiques sur la destinée de cette grande religion mais ils ont également permis à des courants intellectuels et ésotériques très inspirés, à l’instar des Réformateurs incarnés par Mouhamad Iqbal et Jamal U Dinn Al Afghani d’une part, du grand courant de la Mystique musulmane d’autre part, porté par une fécondité spirituelle jamais égalée, de redorer le blason et de dresser haut le flambeau du renouveau islamique.
Cette même tonalité a été insufflée à l’Islam sénégalais par de grands noms tels que Cheikhou Oumar (RTA), Maodo Malick SY (RTA), Cheikh Ahmadou Bamba (RTA) et les Autres, dans un cadre confrérique soufi afin de nous permettre de nous réapproprier l’Islam dans ses deux dimensions fondamentales : l’accès à une sacralité sans bavure et l’attachement à de hautes valeurs pour constituer une Communauté de référence.
Les fondements comme les fondamentaux sont là pour inspirer la nouvelle jeunesse musulmane afin d’être les héritiers de ces grands Ainés sans verser dans le système des influences, des canaux sensationnalistes et de la divination profane issue d’un subtil paganisme inféodé à l’Islam des marabouts.