Lors de sa tournée européenne, notamment sur le plateau de TV5 à Paris le dimanche 25 novembre 2018, l’Honorable Député à l’Assemblée Nationale Sénégalaise M. OUSMANE SONKO, président du Parti PASTEF les Patriotes et candidat à la candidature à l’élection présidentielle de février 2019 a réitéré sa volonté farouche de sortir du FCFA une fois élu à la Magistrature Suprême.
Cette question semble n’avoir jamais été aussi brûlante qu’au cours de la décennie que nous traversons. Depuis cette annonce, des attaques tous azimuts fusent sans réels arguments, certains versent même dans l’excès en le taxant de populiste. Alors Parlons-en ! car chez les Patriotes il n’y a pas de sujet tabou.
Cette question est à l’origine d’un clivage qui perdure en Afrique francophone depuis les indépendances nationales. Le franc CFA signifiait auparavant Franc des Comptoirs Français d’Afrique, puis Franc des Colonies Françaises d’Afrique, pour subtilement devenir le Franc des Communautés Françaises d’Afrique, avant de subir un lifting marketing et devenir le Franc de la Communauté Financière d’Afrique.
Ce franc FCFA fait à présent débat au-delà du continent africain et déborde largement des cercles traditionnels du pouvoir pour nourrir un débat public franco-africain. Symbole à la fois d’un ordre économique (hier, le capitalisme français, aujourd’hui celui des marchés de la zone euro) et d’un pouvoir politique (dont la gestion est en partie transférée, via des accords de coopération monétaire, au gouvernement français et les orientations sont déléguées de facto à la Banque Centrale Européenne), le franc CFA est devenu l’étendard d’un nombre incalculable de luttes politiques, et réunit contre lui des voix très différentes. L’existence du CFA induit le maintien de relations étroites avec la France à travers un rattachement à l’euro-zone et au marché unique européen.
Pour répondre à la question « Faut-il garder le FCFA ou en sortir ? » nous nous intéresserons d’abord au fonctionnement et au rôle joué par cette monnaie au Sénégal et au-delà en Afrique, avant de caractériser son opposition parmi les dirigeants africains et enfin expliquer la vision de M. SONKO par rapport à cette question à travers son livre-vision Solutions.
Ce système CFA, tant décrié par certains, repose sur un mécanisme d’une grande simplicité : la France s’engage à assurer la convertibilité totale de la devise avec l’Euro (le franc jusqu’en 1999). En contrepartie, les états adhérents doivent déposer 50 % de leurs réserves de change sur un « compte d’opérations » ouvert auprès du Trésor Français par les deux banques centrales de la zone : celle d’Afrique Centrale, basée à Yaoundé (Cameroun), et celle d’Afrique de l’Ouest, située à Dakar (Sénégal). La parité du franc CFA avec l’euro est fixe et les transferts de capitaux sont libres entre la zone Franc et l’Hexagone. Ces principes ont été inscrits dans le marbre dès les Accords de Brettons Woods, en 1944.
En fait, la politique monétaire appliquée dans l’UEMOA est élaborée par la Banque Centrale Européenne (BCE) basée à Francfort. L’objectif macroéconomique fixé par la BCE est la lutte contre l’inflation, alors que l’objectif macroéconomique des pays de la CEMAC et de la CEDEAO est la croissance économique.
En effet, seule une croissance économique importante permet de réduire le taux de pauvreté dans ces pays et d’enclencher une dynamique de développement, « Ceteris paribus sic stan » toute chose égale par ailleurs. De fait, la politique monétaire appliquée dans la zone CFA est à l’inverse de ce qui devrait être fait : on lutte contre l’inflation alors qu’il faudrait stimuler la croissance, tout en s’accommodant d’une remontée des prix (Courbe de Philips). A cet égard, le CFA apparaît donc comme un frein à la croissance. De plus, les pays de la zone CFA ont pour obligation de reverser 50% de leurs réserves de change sur un compte d’opération spécial au Trésor Français, ces réserves étant censées assurer la liquidité du CFA.
Ce sont autant de ressources en moins pour le financement du développement économique. Enfin, les banques doivent limiter leur distribution de crédits à hauteur de 23% du PIB alors qu’il est de 100% en Europe. Cette disposition limite donc de fait l’investissement des entreprises, la consommation des classes moyennes qui émergent et donc la croissance et le développement.
Politique monétaire restrictive, transfert des réserves de change au Trésor Français et limitation de la distribution de crédits, telles sont les conséquences de cette servitude monétaire volontaire. En outre, la zone franc souffre d’un réel déficit de gouvernance. En effet, la politique monétaire devrait être définie au sein du conseil des gouverneurs des deux banques centrales (zone CEMAC et zone CEDEAO), or ce n’est pas le cas. De fait les experts français du ministère de l’Économie et des Finances, ou ceux de la Banque de France ont une fâcheuse tendance à s’approprier le dossier.
L’ensemble de ces facteurs inhérents au CFA nuisent à la croissance économique de la zone CFA tout en laissant un arrière-goût de françafrique.
A qui profite le franc FCFA ?
Deux avantages pour la France :
Sur le plan Economique
Pour les grands groupes français qui peuvent travailler en zone CFA sans risque de change et en rapatriant sans limite leurs bénéfices.
Le FCFA n’est convertible dans aucune banque classique. Il permet à la France de s’enrichir sans cause. Prenons quelques exemples concrets.
• Quand le Sénégal vend à l’extérieur, il obtient une monnaie qu’on appelle une devise. Qui convertit ces devises en FCFA ? c’est la France.
• Quand le Sénégal s’endette à l’extérieur et reçoit un prêt, qui convertit cette devise en FCFA ? c’est la France.
• Quand une personne de la diaspora envoie 1000 euros ou 1000 dollars à ses parents au Sénégal, qui convertit cette devise en FCFA ? c’est la France
• Et enfin quand le Sénégal reçoit l’Aide Publique au Développement (APD), qui convertit cette devise en FCFA ? c’est la France.
Même au sein de la zone « Franc », le Franc de la zone CEMAC n’est pas convertible avec le Franc de la zone CEDEAO.
Sur le plan Politique
Il existe une logique de pré carré. Le franc CFA permet à Paris d’exercer une forme de « soft control » sur la manière dont ces pays se développent dans un environnement de concurrence exacerbée avec notamment l’arrivée de la Chine et de l’Inde sur le Continent.
Cette dimension est prépondérante, car la réalité économique montre que les principaux partenaires commerciaux de la France ne sont pas dans la zone Franc. Le Nigeria, l’Angola et l’Afrique du Sud sont les partenaires principaux de la France en Afrique sub-saharienne, alors qu’ils ne sont pourtant pas dans la zone CFA.
Enfin, certains dirigeants africains y trouvent intérêt car ce système entraîne aussi un « siphonage » des ressources vers l’Europe. Puisqu’il n’y a pas de limites à la convertibilité, les élites locales ont tout loisir de placer leur argent sur un compte étranger ou d’acheter un appartement dans une métropole européenne par exemple. Il existe effectivement des élites rentières qui n’ont pas intérêt à faire évoluer ce système. C’est en ce sens que l’on peut parler de servitude volontaire.
Par exemple, en Guinée Equatoriale, la moitié du PIB en valeur, est transférée à l’étranger soit plus de 6 milliards USD en 2017. C’est considérable. La soutenabilité du système CFA dépendra des pouvoirs politiques de la zone Franc. Un abandon du système CFA doit avoir pour préalable un renforcement de la gouvernance et une très forte augmentation du capital institutionnel dans ces pays.
Maintenant comment sortir du FCFA ?
« Tout projet, surtout quand il induit des changements profonds, doit obéir à une conduite et un processus devant conduire, en amont, à réunir les moyens du parvenir et, en aval, les conditions de sa réalisation » .
Mr Ousmane Sonko l’a bien précisé lors de sa conférence à Sciences PO Paris le vendredi 23 novembre 2018, ce sera une sortie concertée avec les 14 pays d’Afrique qui ont comme monnaie le FCFA. M. SONKO n’a jamais parlé de sortie brutale mais plutôt d’une sortie concertée, réfléchie et négociée avec ses partenaires de la sous-région.
Dans son livre-vision Solutions, le président du parti PASTEF les Patriotes y expose plusieurs pistes :
• D’abord « lancer une monnaie sous régionale dans le cadre de la CEDEAO. Cela suppose une Banque centrale forte sous contrôle démocratique exclusif des Etats, capable de maîtriser l’émission monétaire, les taux d’intérêt, et de décider du cours de la monnaie et du change.
Cette politique de la monnaie et du change s’oppose radicalement au système actuel de la BCEAO axé sur les politiques de convertibilité forcée, de parité fixe CFA/ EURO sans politique de change et de dépôt des réserves dans le compte d’opération du trésor français »
Effectivement cette monnaie sous régionale va se baser sur des critères de convergence en tenant compte des réalités économiques de chaque pays. On voit bien que M. Ousmane Sonko privilégie une sortie avec ses partenaires sous régionaux car il est conscient du processus déjà enclenché par la CEDEAO.
Ensuite « […] Les pays de la zone UEMOA doivent dès à présent maintenir et faire évoluer leur unité monétaire. […] les mesures à prendre sont les suivantes.
• Se départir de la tutelle monétaire de la France en lui retirant ses sièges au Conseil d’Administration de la BCEAO.
• Conserver la centralisation des réserves de change de la zone auprès de la banque centrale et cesser puis rapatrier les dépôts de 50% de ses réserves auprès du trésor français
• Exploiter les marges qui s’offrent, notamment les stocks de réserves de change, à mettre à disposition de nos Etats, propriétaires de la banque dans la limite d’un plancher prudentiel… »
Et maintenant si et seulement si ces deux pistes échouent, M. Ousmane Sonko nous parle d’une troisième piste notamment « il nous a paru nécessaire d’envisager une troisième et dernière option : celle qui consiste, pour le Sénégal, à pouvoir disposer de sa propre monnaie. L’histoire a montré que des pays, moins dotés que le Sénégal même en ressources naturelles et humaines, ou en territoire et population, ont pu se doter d’une monnaie souveraine et porter leur émergence. D’ailleurs, les pays, les pays africains qui ont leur monnaie ne se porte pas moins bien que ceux qui sont dans les zones CFA. »
M. Ousmane SONKO préconise de sortir le Sénégal non pas du FCFA mais plutôt de sortir la France du FCFA.
Aucun pays ne s’est développé sans avoir sa propre monnaie. On peut citer le cas du Ghana, de l’Ethiopie, du Rwanda… De quoi le Sénégal a peur alors ? Certains pays ont choisi, lors de l’indépendance ou après, de quitter la zone franc coloniale : Algérie, Maroc, Tunisie, Mauritanie, Madagascar, Guinée… Le Mali l’a quittée en 1962 pour la réintégrer en 1984. Les économies de certains de ces pays sont nettement meilleures que les économies des pays de la zone FCFA actuelle.
Le dirham marocain est aujourd’hui une monnaie très stable et on retrouve trois de ces pays (Algérie, Tunisie et le Maroc) parmi les plus développés en Afrique.
Le président français Emmanuel Macron, lors de sa visite à Ouagadougou (Burkina Faso) le mardi 28 novembre 2017 a clairement laissé la possibilité aux pays qui le souhaitent de sortir du FCFA et de mettre les dirigeants africains face à leurs responsabilités.
« Le franc CFA, la France n’en est pas le maître, elle en est le garant, ça veut dire que d’abord c’est un choix des Etats de la zone CFA. Personne n’oblige quelque Etat que ce soit d’en être membre. Donc ce sont les Etats africains qui sont dans la zone qui sont les maîtres de leur destin et qui peuvent totalement en choisir… s’ils veulent changer le nom je suis totalement favorable, et s’ils considèrent qu’il faut supprimer totalement cette stabilité régionale et que c’est mieux pour eux je suis également favorable… » dixit le locataire du palais de l’Elysée Emmanuel Macron.
M. Macron laisserait entendre que la balle est dans le camp des dirigeants africains.
Car il faut le rappeler : le FCFA n’est pas une monnaie mais un signe monétaire de la monnaie Euro (et auparavant du Franc français), une émanation d’un découvert bancaire autorisé par le Trésor français et non la Banque de France. Si c’était la Banque de France, le conseil d’administration de la zone franc ne serait plus dirigé de facto par la France, depuis le passage du Franc français à l’Euro, mais par tous les membres de l’Union européenne. Alors on aurait parlé d’un Euro CFA.
La monnaie doit être au service de l’économie. Elle doit s’adapter au contexte économique actuel. A cet effet, il faut permettre aux pays de se prémunir contre les chocs asymétriques, d’améliorer la convergence et l’ajustement macroéconomiques afin de financer le développement. Il est vital aujourd’hui que le franc CFA acquiert une autonomie, qu’il se libère du joug colonial. Il est grand temps que les pays africains notamment le Sénégal assument les conséquences d’une politique macroéconomique librement choisie. Il n’y a pas de secret. Il suffit que nous décidions de nous choisir nos politiques et d’en assumer la responsabilité. La liberté n’a de sens que si elle est assortie de responsabilité.
Une fois la rupture accomplie, les pays de l’ex-zone franc devront créer leur propre système basé sur des principes simples : accès direct aux marchés internationaux sans tuteur, c’est-à-dire la France, mise en place d’un système fiscal simple sans règles d’imposition incompréhensibles, taux de change flexible par rapport aux principales monnaies.
Pour atteindre cet objectif, les pays concernés ont deux possibilités selon l’ex-ministre des finances ivoirien, ex-Président de l’Assemblée Nationale de la Côte d’Ivoire et Professeur d’économie monsieur Mamadou Koulibaly :
• La première consisterait à créer des monnaies nationales indépendantes, avec une parité flexible comme les monnaies de l’Union Européenne avant l’introduction de l’euro. Cette solution peut fonctionner uniquement si les banques sont privées et indépendantes et que les banques centrales ont la liberté de mettre en œuvre des politiques monétaires crédibles.
• La deuxième option serait que les pays africains s’unissent et créent une monnaie commune, mais cela suppose un gouvernement unique, contrôlé par une banque centrale unique et indépendante du pouvoir politique, ainsi qu’une politique économique monétaire et budgétaire uniques.
Ces solutions ne seront efficaces et efficientes sans un préalable. Ces prérequis ont été développés dans le livre-vision Solutions de M. Ousmane SONKO.
Quelle que soit la solution adoptée, il faudra des états démocratiques, avec une corruption très faible et des institutions très fortes (malheureusement on constate dans nos pays africains à l’image du Sénégal que les hommes sont plus forts que les institutions). Ils doivent indiquer clairement à leurs citoyens leurs droits de propriété et leur accorder la liberté de décider s’ils veulent hypothéquer ces droits. Tout commence avec l’attribution du droit de propriété aux citoyens, un droit qui les fera émerger de la pauvreté. Le libre-échange fera le reste.
Pour conclure
Doit-on rester fataliste face à cela ? Le Président du Parti PASTEF M. Ousmane Sonko dit niet.
Aucun pays ne peut se développer avec la mendicité financière internationale mais aussi pas de développement sans éveil des consciences ; et sur ce plan le parti Pastef les patriotes est en train de jouer pleinement son rôle.
The King of the Reggae Bob Marley disait dans l’une de ses chansons « Emancipate yourselves from mental slavery, none but ourselves can free our minds » (Affranchissez-vous de l’esclavage mental, personne d’autre que nous ne pourra libérer nos esprits).
Les élites sénégalaises voire même africaines qui défendent le maintien du FCFA savent bien que souveraineté politique et souveraineté économique vont de pair. Or tout le monde s’accorde à dire qu’avec ce FCFA, on serait toujours sous le joug français autant sur le plan économique que politique.
« Wolof néna kou eumbeu sa kersa eumbeu sa soutourou »
DIOP Ibrahima
Professeur d’Economie-Gestion au Lycée Général et Technologique les Eucalyptus à Nice.
Chef de Cellule PASTEF Nice Côte d’Azur
Membre du Pôle Projet et Stratégie de PASTEF France
Membre de la Commission Bonne Gouvernance Economique de PASTEF