J’étais un mari violent et je ne le savais pas

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Après vingt ans de vie commune, Nicolas a été mis dehors par sa femme à cause de sa « violence ». Pourtant, il n’avait jamais levé la main sur elle… Il a accepté de nous confier son histoire.

« Quand ma femme a prononcé le mot “violence”, ça m’a abasourdi. Je suis plutôt soupe au lait, j’ai des sautes d’humeur, mais de là à me traiter d’homme violent ! Je suis parti sans comprendre mais je savais que si je restais, c’est elle qui partirait, et je voulais protéger les enfants. C’était il y a cinq ans et j’ai encore du mal à l’accepter. D’ailleurs, quand vous m’avez demandé de témoigner de mon passé d’homme violent, ça m’a fait comme un coup de poing au plexus. Je ne me suis toujours pas fait à cette idée, et pourtant je sais que c’est la réalité.

Dans ma tête, c’était ça, respecter une femme…

J’étais un homme bien. Une “brute de travail” – les mots ont un sens, n’est-ce pas ? – qui a bossé “comme un fou” pour que sa famille ne manque de rien. Et effectivement, ils n’ont manqué de rien : à mes yeux, cela faisait de moi un bon père. Les claques aux enfants, les colères, c’était pour leur apprendre ; le rôle d’un père, quoi. Mais j’étais un époux qui respectait sa femme : j’ai tout fait pour qu’elle soit heureuse, je n’ai jamais levé la main sur elle et je ne l’ai jamais forcée à avoir des relations sexuelles. Dans ma tête, c’était ça, respecter une femme… J’étais également un bon citoyen, qui ne boit pas, ne triche pas, respecte la loi. Et puis je suis un chrétien convaincu et pratiquant. Bref, j’étais aux antipodes du sale type qui cogne sur sa femme et ses enfants.

Mes parents s’aimaient, mais ils hurlaient sans arrêt

Un jour, quelque temps après avoir quitté la maison, j’ai vu une affiche. C’était écrit, en gros : “Contre la violence conjugale.” Il y avait un numéro de téléphone et j’ai décidé d’appeler. Quand on m’a dit que je pouvais faire partie du groupe thérapeutique, j’étais estomaqué : à mes yeux, rien, dans ce que je leur avais dit – et qui était la vérité – ne pouvait leur permettre de penser que j’étais un homme violent, qui avait besoin d’aide… Je me suis laissé faire puisque, de toute façon, je n’y comprenais rien… À la première réunion, je n’ai eu qu’une envie : partir en courant. J’étais assis au milieu d’hommes qui racontaient comment ils avaient envoyé leur femme à l’hôpital, comment l’alcool les rendait sauvages avec leurs enfants, comment ils s’étaient retrouvés en prison à cause de ça. Rien à voir avec moi ! Je suis resté quand même.

Dans ma famille, on était rudes. Personne ne savait trop quoi faire de ses émotions, à part crier et se mettre en colère. Mes parents s’aimaient, mais ils hurlaient sans arrêt. Je me souviens d’un jour où mon parrain a tué son chien à coups de marteau parce qu’il ne cessait d’aboyer. Pourtant, il l’aimait. Mais il voulait être obéi. Moi, j’étais l’aîné de la famille. Un petit garçon un peu gnangnan. Quand j’ai réalisé que mes larmes me coupaient du clan des hommes que j’aimais et que j’admirais, j’ai arrêté de pleurer. Et puis il y a eu la mort de ma mère. J’avais 18 ans quand un cancer des os l’a emportée.

À l’époque, il n’y avait pas de pompe à morphine. Elle qui avait passé sa vie à nous crier dessus, elle est morte en hurlant de douleur. Elle me suppliait de la tuer et je me sauvais pour ne plus l’entendre. Ça a été comme une grenade qui explose : la famille a volé en éclats… On n’a pas pleuré maman ensemble, puisque l’on ne pouvait pas pleurer. C’est à sa messe d’enterrement que j’ai rencontré ma femme. Étrange coïncidence, non ? J’ai eu le coup de foudre. Elle avait 15 ans et demi. Elle était jolie, douce, vive… Deux ans plus tard, c’était parti pour la vie. Nous avons eu cinq enfants. Tout ce que je faisais, je le faisais pour leur bien.

J’étais le patriarche, celui qui sait à la place de tout le monde, qui décide, qui ordonne, l’homme, fort, puissant, respecté. J’étais un patron épouvantable. Je travaillais jusqu’à l’épuisement et j’exigeais que tout le monde en fasse autant. Personne ne m’aimait mais je m’en foutais. Si un ouvrier tombait malade, il était viré. Mes enfants, eux, étaient à l’affût du bruit de ma voiture, le soir, à mon retour du travail. À la manière dont je freinais, dont je claquais la portière, dont j’ouvrais et je refermais la porte de la maison, ils savaient s’ils allaient passer une mauvaise soirée. Je croyais qu’ils me respectaient, alors que je les terrorisais…

Entre ma femme et moi, c’était plutôt difficile. Mais je pensais que c’était comme ça dans tous les couples : des hauts et des bas, la vie quotidienne, le travail… Elle est tombée malade, elle a beaucoup maigri. Son corps a changé, elle était toujours au bord de l’épuisement. Elle ne me laissait presque plus la toucher, ça me rendait fou. Je n’entendais rien de ce qu’elle me disait, je ne comprenais rien de ce qu’elle vivait. Elle n’arrêtait pas de dire qu’elle voulait partir. Moi, je menaçais, j’exigeais, je suppliais, je grondais… Quand j’ai compris qu’elle était à bout, j’ai vendu mon entreprise et je lui ai acheté la maison dont elle rêvait. Mais quand je lui ai annoncé la nouvelle, au lieu de sauter de joie, elle a simplement dit : “On verra.” Six mois plus tard, elle me mettait à la porte. Et le ciel m’est tombé sur la tête…

C’est ça, l’histoire des violences familiales

Ça n’est qu’aujourd’hui, en racontant mon histoire d’un trait, que je réalise que j’ai vécu plus de vingt ans avec cette femme sans jamais prendre aucune décision avec elle. J’étais seul maître à bord. Je ne savais pas échanger. Je l’informais, c’est tout. J’écoutais ses réactions, parfois, mais ma vie, notre vie, je la menais seul. C’était à peu près pareil avec nos enfants. L’autre chose que je suis en train d’apprendre, c’est que l’on peut maîtriser sa colère. Moi, j’en suis rempli. Je ne suis pas très sûr de savoir d’où elle vient mais, maintenant, je la sens arriver, monter. Je sais quand elle va exploser, et qu’elle va m’envahir pendant deux heures, quinze heures, trois jours… Je ne peux pas l’arrêter, mais je peux partir pour qu’elle ne fasse de mal à personne. C’est ça, l’histoire des violences familiales : des colères mal dirigées, qui ravagent tout sur leur passage. La mienne a dévasté pendant plus de vingt ans la vie de ma femme et de mes enfants. Mais c’est fini, maintenant. Elle ne les touchera plus jamais. Ça veut dire que c’est possible de sortir de l’enfer.

À la femme qui lit ce témoignage et qui commence à avoir peur de son homme et de sa violence, je voudrais dire : il faut partir ou le mettre dehors. C’est la seule chance, pour elle comme pour lui, de sortir de la spirale. Quant à l’homme qui se retrouve dans mon histoire, qu’il sache qu’il y a moyen d’arrêter tout ça en se faisant aider par des gens compétents, même si c’est long et difficile. S’il aime sa famille comme j’aime la mienne, c’est la seule solution…

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