Karl Lagerfeld : l’insaisissable Kaiser est mort

0 29

Toute sa vie, l’homme qui a ressuscité Chanel a fait preuve d’un sens aigu de l’autodérision, d’un contrôle de soi infaillible et d’une créativité débordante.

Créateur de génie, personnage énigmatique et couturier exigeant à la verve cinglante, Karl Lagerfeld s’est éteint ce mardi 19 février. Auréolé d’un épais mystère – personne ne saurait attester précisément de sa date de naissance ni ne connaît avec certitude les détails de sa vie privée –, le directeur artistique au catogan poudré et lunettes de soleil opaques aura bouleversé l’histoire de la mode en général et celle des maisons de couture Chanel et Fendi (pour le prêt-à-porter femme) en particulier, parvenant toujours à capter l’air du temps avec humour.

Nul ne peut affirmer l’âge du couturier allemand. Pendant des années, ce dernier a volontairement semé le doute sur le sujet, se targuant de ne pas connaître lui-même sa date d’anniversaire. Toutefois, on imagine que Karl Lagerfeld – de son vrai nom Karl Otto Lagerfeldt – a environ une vingtaine d’années lorsqu’il arrive à Paris avec sa mère – une Prussienne. Comme une suite logique à la jeunesse aisée qu’il a menée outre-Rhin, Karl Lagerfeld, fils d’un homme d’affaires scandinave, pose ses valises dans un hôtel particulier germanopratin du Quai Voltaire, en 1954. À peine débarqué dans la capitale de la mode, les vents lui sont favorables. Ainsi, le jeune Karl remporte le premier prix du concours du « Secrétariat international de la laine », ex æquo avec un autre jeune couturier, Yves Saint Laurent – son futur meilleur ennemi. Le couturier Pierre Balmain, qui fait partie du jury, le remarque et le recrute alors comme assistant.

La folie Lagerfeld
Puis tout s’accélère : après avoir fait ses armes chez Balmain, il est nommé directeur artistique chez Jean Patou. Le styliste en herbe a la bougeotte et entame une carrière de designer indépendant. Rapidement, il crée des vêtements pour les marques Chloé et Fendi qui font respectivement appel à ses services en 1963 et 1965. Il dépoussière durablement l’image de marque de Fendi, à l’origine maison de fourrure romaine, en inventant l’idée d’un luxe ludique, loin de la silhouette bourgeoise de l’époque.

En 1983, douze ans après la mort de Coco Chanel, il est nommé directeur artistique de la maison de la rue Cambon. À ce moment, la griffe vit des heures difficiles et l’intervention du celui qu’on surnommera plus tard le « Kaiser de la mode » lui redonne un second souffle. Puis en 1984, il lance sa marque éponyme, et en 1986 le fameux dé d’or – la sacro-sainte distinction à l’époque dans le milieu – vient couronner son travail. Plus rien n’arrête Karl Lagerfeld, qui semble détenir la formule pour réveiller les belles endormies – et les réinscrire dans la modernité.

Autodérision et persiflage
À l’aube de l’an 2000, Karl Lagerfeld s’offre une nouvelle image. Il perd 40 kilos pour pouvoir se glisser dans les costumes Dior Homme dessinés par Hedi Slimane. Le nouveau millénaire marque un véritable tournant dans la carrière du styliste, qui s’amuse de plus en plus avec son image et multiplie les projets avec la nouvelle génération. Si dans les années 80 Karl Lagerfeld s’enthousiasmait volontiers pour le physique irréprochable de son mannequin vedette, l’icône parisienne Inès de la Fressange, en 2017, il n’hésite pas à s’associer à Kristen Stewart, Pharrell Williams ou Lily-Rose Depp (la fille de).

Devenu la caution d’un luxe moderne et branché, il multiplie petits et grands projets : il collabore avec H&M en 2004 pour une collection capsule, crée la ligne K par K en 2007, se met en scène dans le film Lagerfeld Confidential, rhabille sa vénérée bouteille de Coca-Cola Light, starifie son chat, le bien nommée Choupette, et œuvre à des défilés toujours plus spectaculaires (du lancement de la fusée Chanel au Grand Palais au défilé croisière organisé à Cuba). Agitateur intarissable, il ne manque pas une occasion de tacler ses rivaux, comme la Maison Pucci qui en prend pour son grade : « Je pense que les tatouages sont horribles, c’est comme porter une robe Pucci à vie » – les adeptes de la marque apprécieront.

Le côté pile de sa verve cinglante ? Son sens poussé de l’autodérision. La preuve : en 2008, il prête son image à la Sécurité routière en vantant les mérites du gilet jaune dans un spot publicitaire : « C’est jaune, c’est moche, ça ne va avec rien, mais ça peut vous sauver la vie. » Autres faits d’armes, en 2010 : il apparaît dans le clip de Jean Roch auprès de Snoop Dogg jouant le rôle de Dieu. Et Karl Lagerfeld de conclure par une pirouette : « La chose la plus importante que vous devriez savoir sur moi, c’est que tout ce que vous ont dit les autres n’est pas nécessairement vrai. »

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.