Sous le ciel, ici bas sur terre, les Sénégalais aiment deviser de tout, de rien ! A ce jeu, ils n’ont personne pour les égaler tant leur propension à bavarder prend le dessus sur leur volonté de connaître, de savoir et de découvrir. La classe politique, censée refléter le pays dans sa diversité, s’enlise dans des échanges stériles. Les uns accusent, les autres récusent. Des écuries se forment, les unes contre les autres, des lignes « Maginot » se dessinent sur des sujets eux-mêmes fragmentés au point de diviser l’opinion publique qui perd ses repères de perception de réalités dont se saisissent les médias.
Jamais, de mémoire d’observateur, la Grande-Bretagne n’a été aussi présente qu’elle ne l’est en ce moment dans les conversations, sur les plateaux de télévision, dans la presse, sur les réseaux sociaux et même dans des cercles de pouvoir. Jusqu’à une époque récente, la diplomatie anglaise à Dakar se caractérisait pas sa discrétion et son habileté à exister sans ostentation. Raison invoquée alors pour justifier ce positionnement : le Sénégal constitue « la tête de pont » du pré-carré français en Afrique. En clair Paris veille, donc zut !
Cette doctrine, -si d’aventure c’en est une-, s’est fracassée. La France mène une offensive diplomatique très remuante en Afrique Australe qui, comme chacun le sait, relevait du giron britannique. Et pour faire contrepoids à cette option française, Londres déployait des initiatives asymétriques, non pour contrarier à dessein les Français mais pour étendre son « cercle d’influence » d’autant qu’une forte odeur de gaz s’échappe des profondeurs marines de toute la façade atlantique du continent.
La multinationale Total avait fini de plier bagage pour quitter le Sénégal convaincue, par ses recherches exploratoires, que nulle trace d’hydrocarbure n’était trouvable. Dans un mouvement inverse, la firme anglaise BP s’installait à Dakar. Mieux, elle étendait ses tentacules et mobilisait de gigantesques moyens techniques et financiers pour acheter ou racheter des blocs, notamment ceux du sud offshore de Sangomar.
Les services dominent le secteur tertiaire anglais. Mais avec le Brexit (retrait de l’Union européenne), de grands groupes financiers transfèrent leur sièges ailleurs qu’à Londres. L’industrie décline. Le pétrole de la mer du Nord, dont le Brent servait de référence pour les variations de cours, diminue à vue d’œil. Si bien que pour assurer sa survie la Grande-Bretagne décide de prendre le large, peu lui chaut alors le lieu de son expansion future.
Voilà pourquoi la BBC (voix de la Couronne, née en 1922) a cru bon de s’intéresser à des dessous-de-table dont l’ampleur, toute relative, structure le documentaire diffusé sur ses réseaux et bâti sur une approche démonstrative d’une corruption « avérée » et « établie ».
Loin de nous l’idée de jeter l’anathème sur la journaliste Mayeni Jones, auteure de l’enquête. En revanche, la BBC n’est pas exempte de reproches. Comment cette « auguste Maison » pour reprendre la belle formule du talentueux journaliste Ibrahima Sané, a-t-elle pu endosser le travail fini alors que le protocole laisse apparaître des failles béantes. Un article n’est bon que s’il garantit l’équilibre, faute de quoi, il est justement bon pour… le panier, autrement dit, la poubelle !
Pour avoir bâti sa réputation sur la qualité de l’information, la BBC prive ses admirateurs et autres fidèles auditeurs et téléspectateurs d’arguments pour la défendre ou lui trouver des circonstances atténuantes. Aurait-elle perdu en cours de chemin « sa raison de vivre » au profit de « ses moyens de vivre » ? La constante diminution du budget qui lui est alloué par le Gouvernement britannique et l’absence de relais de croissance pérenne affectent les performances des rédactions et mettent en péril sa coûteuse indépendance. D’ailleurs a-t-elle jamais été indépendante ?
Retenons pour ne plus l’oublier qu’une Charte royale a donné corps à la BBC, société de droit public, recevant des subventions du pouvoir politique. Libre, peut-être… et à équidistance des forces qui se battent pour le contrôle du Parlement et la conquête du 10, Downing Street (Primature). Néanmoins, l’organisme audiovisuel anglais a, à son actif, l’élargissement des libertés, l’accès des peuples à l’information en tant que « droit », la lutte contre les obscurantismes, l’ouverture au monde pour en saisir les traits dominants.
Pendant longtemps, la BBC a véhiculé des valeurs de responsabilité en exigeant de ses reporters et de ses producteurs « un équilibrage soigneux d’intérêts concurrents » ainsi que le stipule sa fameuse charte éditoriale dans la plus pure tradition anglo-saxonne. Le droit du peuple à l’information signifie le simple droit des citoyens de savoir ce que fait leur propre gouvernement, et par extension, un regard bienveillant sur les agissements des entreprises recevant des fonds publics à l’image de BBC, BP, etc…
En un mot, la BBC de 1922 n’est pas celle de 2019. D’autant qu’en 1956, cessait déjà le monopole qu’elle exerçait dans la diffusion des informations.
D’où une alerte attentive aux idées reçues. La BBC n’a pas d’autre vocation que la promotion de la Grande-Bretagne au même titre que la Voix de l’Amérique (VOA), la Deutsch Welle (Allemagne), RFI (France), Radio Chine, entre autres. Ces mêmes idées reçues poussent les élites africaines à se succéder sur les plateaux de ces chaînes de télévisions pour débattre des problématiques africaines, loin des théâtres d’opération. Ces médias avancent leurs pions et introduisent dans leurs programmations des émissions en langues locales. Tandis que les médias africains, quoique fragiles, traitent avec vaillance les sujets au prix parfois d’efforts surhumains.
Cette inversion du regard est nécessaire pour réhabiliter un métier dont l’âge d’or se conjugue au futur.