Ce que Béchir Ben Yahmed m’a appris (Cheikh Yérim Seck)

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La première fois qu’il m’a été donné de rencontrer cette grande figure du journalisme mondial, c’était un jour de juillet 2001. Après avoir lu mon ouvrage Afrique: Le spectre de l’échec, paru quelques mois plus tôt, Béchir Be Yahmed m’a fait l’honneur de m’inviter à une conférence de rédaction de son prestigieux journal, Jeune Afrique.

Pendant deux tours d’horloge, il a dirigé la séance avec une poigne militaire, distribué plus de mauvais que de bons points, descendu en flammes les moutures des articles en cours, confié à lire les derniers livres parus, fait le tour de l’actualité en Afrique et dans le monde, indiqué les sujets à traiter…

Pour me pousser à sortir ce que j’avais dans les tripes, il a exhibé mon livre, exposé ses aspects les plus polémiques, jeté sa meute de reporters sur moi… J’ai dû fort argumenter pour défendre mes écrits.

Au moment du départ, il m’a reçu dans son bureau et m’a lancé: « Je vous ai lu et écouté parler. Vous n’êtes pas inintéressant. Passez au bureau de François Soudan voir avec lui si vous pouvez collaborer avec nous. »

Soudan m’a demandé, illico presto, de rédiger une demande manuscrite, en insistant sur ce dernier mot. Rappelé deux semaines plus tard pour commencer, j’ai découvert que mon écriture manuelle devait servir de matière à… une étude graphologique.

Ah oui… Le très rationnel BBY, l’acronyme qui le désigne au sein de la rédaction de Jeune Afrique, trouve dans cet ésotérisme un instrument essentiel à ses choix de recrutement.

Ainsi a démarré une aventure de dix ans au cours de laquelle j’ai appris à travailler de plus en plus vite et de mieux en mieux.

BBY ne donnait en effet à personne le loisir d’être lent, encore moins d’être mauvais. Il y avait, derrière sa silhouette fuyante, tant il marchait vite en dépit de l’âge, quelque chose comme un avis de tempête permanent.

Pressé jusqu’à la caricature, exigeant jusqu’à l’excès, au besoin cassant voire apeurant, le patron de Jeune Afrique n’a jamais rien lâché pour arriver, 61 ans durant, à aligner cet hebdomadaire sur le standard international le plus élevé.

Impossible à surprendre, il a, tous les jours, écouté toutes les radios, regardé toutes les télévisions, consulté tous les journaux, lu tous les livres… avant d’arriver à la réunion de rédaction.

Pour tirer le meilleur de moi, il m’a marqué à la culotte, donné la parole à chaque réunion pour recueillir ma proposition d’article, fait travailler sur des sujets difficiles dans des conditions extrêmes de temps et de lieu…

Mais il m’a donné de réelles opportunités de progresser. À entendre François Soudan, directeur et âme de la rédaction, je dois sans doute être le premier journaliste de la maison à avoir, au cours du premier trimestre de son recrutement, été envoyé pour couvrir un sommet de l’Union Africaine, la plus importante rencontre de chefs d’Etat du continent africain,relate yerimpost.

Béchir Ben Yahmed était pour moi un maître, un patron exigeant, mais aussi un protecteur et, après mon départ du journal, un directeur de conscience, un père…

Ce patriarche au front volontaire, au regard perçant et au verbe tranchant est de la trempe de ces hommes qui vous eduquent par l’exemple. Il est impossible de côtoyer BBY sans être fortement impacté par son assiduité, son efficacité, sa rigueur, son eternelle posture exigeante, d’abord avec lui-même…

Aucune excuse de l’impuissance n’était valide à ses yeux. Sa phrase placardée sur les murs des locaux du journal tranche: « Dites-moi comment on va faire, et pas pourquoi on ne peut pas le faire ».

BBY n’inculquait pas que le travail bien fait. Il enseignait comment être un homme au sens de cet être mu par des valeurs. Celui qui rappelait sans cesse un célèbre verset du Coran -dans lequel Dieu dit que l’homme est l’artisan de son…

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