L’ex journaliste, actuel ministre de la Culture a pris sa plume pour répondre à Ousmane Sonko, qui a soutenu que le projet du Ter est un “investissement prématuré”. Voici le texte de Latif Coulibaly.
M Sonko, investissement prématuré vous avez dit ?
Dans une interview publiée dans la presse en ligne, Ousmane SONKO soutient, pour résumer l’idée centrale de son propos, ceci : les investissements faits pour réaliser le TER sont prématurés.
Je souhaiterais exprimer une opinion à propos de la thèse qu’il soutient. Juste un avis. En me posant cette question : qu’est ce qui fonde son opinion ? Exceptée l’expression d’une opinion légitime d’un opposant sur la politique conduite par un régime qu’il combat, j’ai cherché en vain dans son propos des éléments concrets pour comprendre ce qui objectivement peut justifier les prétentions de Sonko. Avec respect, je souhaiterais échanger avec lui sur son propos.
Sonko, si vous permettez, je vais partager cette réflexion-ci avec vous. Comme disait Jean Pierre Fitousi, le crime c’est de renoncer à faire des emprunts nécessaires, pour faire avancer une cause nationale et satisfaire un besoin s’avérant impérieux, sous prétexte de sauvegarder la liberté des générations futures et pour ne pas compromettre leur devenir.
Je me rappelle en 1981, jeune journaliste débutant, je suivais à l’Assemblée nationale un débat autour des questions économiques au cours duquel fut annoncée la décision de l’Etat de renoncer à la construction de l’autoroute Dakar-Thiès pour cause d’ajustement structurel. Je me rappelle également de l’intervention d’un député qui avertissait, assurez-vous bien, que ce que vous faites sous le diktat des institutions financières internationales est bien conforme à l’intérêt national. Le parlementaire avait raison d’avertir. Aujourd’hui, il a fallu des centaines de milliards pour y arriver, alors que dans les années 70-80, il nous fallait un peu moins de 100 milliards pour le faire.
Jean Pierre Fitousi dont la pensée est ci-haut citée a bien intégré l’idée que la solidarité intergénérationnelle doit être comprise autrement que de dire ou soutenir des thèses comme celle défendues ou prêtées à Ousmane Sonko. Je crois comme le dit le philosophe africain, que toute vision proposée pour s’occuper du destin d’un peuple doit comporter une forte dose de messianisme. Une part messianique que le commun des citoyens ne cherche pas et ne peut pas voir dans l’expression formelle de cette vision. Le TER dans la vision qui fonde le PSE participe de ce messianisme difficilement compris par les esprits simples. Je ne considère nullement Ousmane Sonko parmi ceux-là. Seulement son opposition radicale qui est sa liberté souveraine brouille quelque part sa lecture des choses au point de lui faire dire que le TER est prématuré.
En lisant Ousmane Sonko, j’ai eu l’impression qu’il confond (volontairement ?) deux notions : des investissements opportuns et des investissements prématurés. Un investissement s’analyse en termes d’opportunité, d’efficacité et d’efficience. C’est quasiment une hérésie que de parler d’investissements prématurés. Pour reprendre l’expression fétiche du plus sénégalais des canadiens, le brillant humoriste Boucar DIOUF, mon grand-père disait : « Seule la mort prématurée est mauvaise ». Mes parents Sereer disent quant à eux : « tela tela mala qhol » (En toute chose, mieux vaut s’y prendre tôt).
Etant en retard dans tous les secteurs dont le développement devrait assurer une avancée notable de nos sociétés, suggérer un instant le caractère prématuré des investissements faits dans le secteur du rail relève sans aucun doute d’une erreur d’appréciation qui ne peut être pardonnée. La colonisation a installé le chemin de fer chez nous depuis 1883. Nous l’avons démantelé alors que partout dans le monde, il a été prouvé que c’est autour de cette infrastructure qui a même pu aider à la construction de nations entières que le développement s’est déployé. Le Canada en est un exemple type, tout comme les Etats Unis d’Amérique. On pouvait citer à l’infini des cas précis dans le monde et même en Afrique. Aucun investissement ne saurait être de trop, encore moins prématuré pour construire dans nos pays un réseau de communication (transport) surtout quand il s’agit d’un réseau le moins cher au monde. Je cite le Président de la BAD qui disait lors du panel des présidents organisé le jeudi 16 janvier 2019 à l’ouverture de la conférence internationale sur l’émergence en Afrique : « l’Afrique est fatiguée de vivre des choses qu’on retarde, qu’on fait lentement. Il faut aller vite, travailler vite et bien. On est capable de le faire. Il faut oser en investissant dans de grands projets structurants ». Il ajoute : « c’est important les infrastructures qui assurent la connectivité ». Le TER est le parfait exemple de ce dont parle Monsieur Edessina, Président de la BAD.
Abdou Latif COULIBALY