Le défi du pr Iba Der Thiam face à la falsification historique coloniale (Par Mame Mactar Guèye JAMRA)
Pourquoi le pouvoir colonial s’est-il évertué au fil du temps à travestir notre histoire? Pourquoi parvenons-nous difficilement à nous défaire de ce complexe d’infériorité culturelle que les colons auront, au cours des générations, réussi à nous inculquer, et qui voudrait que nous percevions nos propres réalités socio-culturelles sous le prisme déformant des lunettes «d’intellectuel» léguées par le pouvoir colonial?
Les fameux recueils d’histoire de Félix Bigaud, qui a réalisé, en 1962, alors que le Sénégal venait fraîchement d’accéder à la souveraineté internationale, un certain nombre de synthèses historiques qui ont longtemps servi de supports pédagogiques dans les écoles du Sénégal nouvellement indépendant, en attestent largement. La plupart des séquences historiques défavorables à l’image de l’ancien colonisateur, n’ont, pour la plupart, pas fait l’objet d’une restitution impartiale et objective. Comme la mort de Samba Laobé Fall, ce 33e Damel du Cayor et neveu de Lat Dior, dont les historiens colonialistes ont tourné en dérision la fin tragique, comme s’il s’agissait d’une pitoyable capitulation!
Comme en témoigne cette caricature du journal «Le Monde» (photo jointe), du 27 novembre août 1886, qui en dit long sur la restitution tendancieuse du combat épique entre le lieutenant Chauvet et le Damel Samba Laobé Fall, que les historiens colonialistes ont toujours présenté comme un rebelle qui, lors de son ultime combat, a «honteusement» supplié son protagoniste de ne pas l’achever! Alors que tous les dépositaires authentiques de notre tradition orale attestent que ce brave rebelle cayorien a opposé, jusqu’à son dernier souffle, une résistance farouche aux spahis du Lieutenant Chauvet, en novembre 1886. Et sans «implorer la clémence» de qui que ce soit, Samba Laobé Fall aura dignement rendu l’âme, en plein champ de bataille!
L’équipe d’historiens et d’universitaires de haute renommée cooptée par le professseur Iba Der Thiam, après en avoir été mandaté par l’État, pour réécrire «L’Histoire Générale du Sénégal», mérite respect et considération. En ce qu’elle nourrit la noble ambition de relever le redoutable défi de la réécriture, par nous-mêmes et pour nous-mêmes, de notre Histoire, longtemps dénaturée par ce que le défunt professeur Cheikh Anta Diop qualifiait, à juste raison, de «manie coloniale de la restitution historique partisane».
Bien qu’aucune œuvre humaine ne puisse se targuer d’être parfaite, les historiens africains, coachés par l’agrégé d’histoire et maître de conférence à l’Université Cheikh Anta Diop, le professeur Iba Der Thiam, ont le mérite de permettre bientôt à nos enfants de connaître LA VRAIE HISTOIRE de notre cher Sénégal, dépouillée de tout paternalisme occidental et, surtout, de toute restitution partiale.
Les 5 premiers volumes rétabliront, avec l’objectivité scientifique et la rigueur historique requise, la «Tuerie de Thiès», consécutive à la célèbre grève des cheminots, du 27 septembre 1938 (7 morts, 125 blessés), souvent édulcorée dans les récits coloniaux. Nos enfants auront l’opportunité de comprendre ce qui s’est réellement passé ce 1er décembre 1944, au Camp militaire de Thiaroye, où de braves tirailleurs sénégalais, après avoir héroïquement défendu la «mère-patrie» contre l’invasion hitlérienne, ont été drôlement «remerciés» par le pouvoir coloniale français. Démobilisés après la seconde guerre mondiale, ces vaillants tirailleurs sénégalais qui réclamaient légitimement le paiement de leurs arriérés de soldes, alors qu’ils étaient en cantonnement dans le camp militaire de Thiaroye, sont impitoyablement foudroyés par les salves meurtrières des automitrailleuses du Régiment d’artillerie de la France! Le pire crime de guerre qu’aient jamais subi des soldats «indigènes».
Nos étudiants découvriront alors comment, pour couvrir cet odieux crime de masse, la hiérarchie militaire française avait, sans état d’âme, dans ses rapports destinés au gouvernement coloniale, ACCUSÉ DE MUTINERIE nos courageux tirailleurs, qui n’avaient commis que le «crime» de réclamer le paiement de leurs primes de démobilisation, et de leurs pécules de maintien sous les drapeaux. Les chercheurs et universitaires comprendront pourquoi l’historienne française Armelle Mabon continue de dénoncer la dissimulation des documents traitant des causes et responsabilités de ce crime colonial du 1er décembre 1944, à Thiaroye. Elle a toujours soutenu que : «L’absence de ces documents dans les archives ne relève pas du hasard, d’une perte malencontreuse ou d’un mauvais classement». Et qu’il s’agit «d’une volonté délibérée de les soustraire de tout regard, et cela depuis plus de 70 ans». La célèbre historienne française, qui avait accueilli favorablement la volonté du président de la République française, François Hollande, de remettre ces archives à l’État du Sénégal, avait néanmoins averti: «Pour que ce geste fort ait du sens et permette une véritable réconciliation, après tant de malentendus et de mensonges, il faut impérativement restituer tous les documents officiels dans les archives ; donner le bilan sincère du nombre de morts ; révéler le lieu réel de leur sépulture ; nommer ces hommes qui ont été tués ; amnistier ceux qui ont été condamnés, la grâce ne suffisant pas ; reconnaître la spoliation du rappel de solde de ces tirailleurs et la responsabilité de l’armée française; réhabiliter ces soldats africains en leur rendant un hommage solennel».
Il est vrai qu’à l’occasion de sa visite officielle au Sénégal, le 12 octobre 2012, le président François Hollande avait (enfin) reconnu qu’il y a eu une «répression sanglante» au Camp de Thiaroye. Une cérémonie solennelle fut d’ailleurs officiellement dédiée à la mémoire de ces 70 Martyrs, injustement tombés sous les balles de ceux qu’ils avaient pourtant aidé à réussir triomphalement le débarquement de Provence, en août 1944, libérant Toulon et Marseille.
Encourageons donc cette illustre équipe d’historiens africains qui, sous la houlette du professeur Iba Der Thiam, a humblement accepté d’apporter des correctifs idoines, après que de légitimes amendements eussent été portés à leur attention, par des personnes-ressources sur des pans délicats de notre passé commun. Nous les félicitons surtout d’avoir eu le courage d’entreprendre cette tâche herculéenne de restitution de notre patrimoine historique, longtemps usurpé et dénaturé. Cette œuvre gigantesque de 25 volumes d’histoire nous conférera assurément à tous le pouvoir de «ressusciter» nos héros et de mieux connaître les particularismes de toutes ces peuplades qui se sont succédées sur nos terroirs. Comme le répète souvent l’éminent chroniqueur de la RFI, Alain Foca, dans son émission-culte «Archives d’Afrique» : «Nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple, car un peuple sans histoire est un monde sans âme» !