Les mots, dits ou écrits, sont les véhicules qui transportent nos idées, nos pensées. Ils trahissent souvent nos émotions. Ils lèvent parfois le voile, à notre insu, sur ce que l’on a pensé mais choisi de taire. Écrire, parler, sont des actes redoutables, lourds de conséquences. Ils peuvent construire ou détruire…Ils peuvent, également, laisser indifférent. Il faut donc apprendre à les manier. Avec parcimonie conseillent les Sages : dire du bien ou se taire. Surtout à une époque où, la diffusion des propos est devenue incontrôlable et sans limites spatio-temporelles. Avec des possibilités infinies de tronquer, ou de troquer des mots, pour des maux.
Écrire est donc une prise de risque. Car l’on fixe, pour longtemps et de manière irréfutable, une part de soi. Suffisamment réfléchie. Donc pleinement assumée. L’on se livre ainsi pour un temps, non maitrisable, pour ne pas dire une éternité, au jugement des hommes et à l’épreuve du temps. Signe des temps, même parler est devenu périlleux ! Depuis le développement exponentiel des capacités de prise, de stockage et de diffusion des images et du son, aucun « wax waxeet » ne dure le temps d’une fleur… Les contrevérités, ou les mensonges purs et simples, sont capturés, publiés et dénoncés. Leurs auteurs reconnus, indexés, tués du regard… Mais ils n’en ont cure. A un point tel que même la honte a baissé les bras…
S’il est devenu d’usage de se dédire, surtout en politique, il est impossible de renier ses propres écrits. Le temps reste donc le meilleur des juges. Il finit par démasquer les uns et par réhabiliter les autres.
Par ailleurs, quelqu’un a dit : «Ce qui me tue dans l’écriture, c’est qu’elle est trop courte. Lorsque l’on a fini une phrase, que de choses sont restées en dehors !» Des choses qui, elles aussi, font partie de la vie … Ces choses que l’on aurait voulu cacher, y compris à soi-même, et qui se lisent entre les lignes. Hélas…
Foin de philosophie ! Revenons sur terre.
60 ans «d’indépendance…» Et c’est comme si notre pays avait tourné en rond. Parti sur la même ligne de départ que la Corée du Sud en 1960, et au vu de ce que nous sommes devenus comparativement en 2018, est-il besoin de tirades savantes pour constater notre échec collectif ? Pourquoi et comment en est-on arrivés là ? Mais surtout, que faire pour que nos enfants sortent de ce cercle vicieux et vicié ? Faire de la politique de nos jours, devrait se réduire à apporter des réponses, sans équivoque, à ces questions simples. Ce devrait être davantage d’avoir les capacités de concevoir, et la volonté de la mettre en œuvre, une alternative à la faillite des élites dirigeantes du Sénégal depuis une soixantaine années.
Faire des plans qui n’intègrent pas ce constat de base relève de l’illusionnisme. Juste pour retarder l’éveil et enrichir certains au détriment de la majorité. La proclamation de chiffres sur l’emploi pour se donner bonne conscience lorsque, de jour en jour, le nombre de marchands à la sauvette sur l’autoroute augmente à vue d’œil, est à la limite de la décence. Les chiffres bizarres sur le chômage que l’on communique sortent de paramètres de base inadaptés à nos réalités socio-économiques. Nos chiffres, élaborés selon des modalités de calculs surréalistes au regard de la réalité qui nous assaille, sont vides de sens. Comme l’annonce tonitruante de…promesses de financements à donner le tournis à une plèbe dont le seuil de pauvreté est visible à la prolifération du nombre de bras valides tendus pour mendier… Tout cela relève de l’autosuggestion. Pour dire le moins ! Nous ne disons pas que rien n’a été fait ! Loin s’en faut. Mais un sage m’a appris qu’il y aurait quatre manières de ne rien faire : ne rien faire ; faire ce que l’on ne doit pas faire ; le mal faire ou le faire à contretemps. En vérité, et pour donner congé aux répondeurs automatiques, toutes les générations d’hommes et de femmes qui ont dirigé le Sénégal depuis…1962 ont, chacune, une responsabilité plus ou moins grande, plus ou moins grave dans la faillite de notre modèle de développement. Quel est-il d’ailleurs ? Existe-t-il seulement ? Faits d’un patchwork d’imitations caricaturales de sous-produits culturels, politiques et économiques du Monde occidental, et plus particulièrement français, nos idées du progrès semblent hors sujet ! Anachroniques. Obsolètes. Le monde va vite. Très vite… Regardez l’Asie sortir de la misère et aller à la conquête du Monde… Et nous ? Et nous ? Et nous ?
Nos aspirations de mieux-être collectif sont-elles définies, énoncées, intelligibles et acceptées par la majorité de nos concitoyens ? Que voulons-nous vraiment faire de notre présent et de l’avenir de nos enfants ? L’émergence clame t-t-on ! De quoi ? Vers quoi ?Quel est le modèle de société le plus adapté à nos besoins, à notre manière de penser et d’être dans le monde ? Devons-nous réduire nos ambitions à une « imitation, somme toute caricaturale et obscène » du modèle occidental ? Pauvres perruques blondes, faux cils, faux ongles, lèvres rougies et visages peinturlurés… pauvres friperies qui envahissent nos étals ôtant le pain à nos braves artisans tailleurs… faillite de nos filières textiles…Pauvres faussaires, pauvres victimes de notre inconsistance… ce n’était qu’une parenthèse !
Quatre siècles de colonisation et plusieurs générations de conduite de nos affaires par une minorité, broyée par l’école occidentale, ont défiguré nos identités. A un point tel que certains intellocrates, doctes et péremptoires, doutent que nous ayons pu, un jour avoir des ancêtres bâtisseurs de pyramides… Et pourtant ! Ils contribuent ainsi, par la mauvaise image qu’ils renvoient à leurs maitres occidentaux, à la tentation d’une révision de l’histoire, pour brouiller davantage les repères de la Renaissance africaine. Or, la Renaissance c’est d’abord un état d’esprit. Pour ne pas dire que la Renaissance est d’abord spirituelle. Elle prend racine dans le cœur et illumine l’esprit. C’est alors que l’on saura briser les chaînes qui nous immobilisent dans le paradigme : développement = occidentalisation. C’est faux !
Se développer c’est tout simplement améliorer ce que l’on a. Chaque jour davantage. Et de mieux en mieux. Ce n’est pas une question de chiffres que l’on aligne et des ratios que l’on compare. Regarder, impassibles, le paysan sénégalais gratter la terre avec une houe et une daba devrait juste nous empêcher de dormir. Et si nous devons lui acheter un tracteur, assurons-nous que, s’il tombe en panne, les enfants du village sauront le réparer, à défaut de l’avoir monté eux-mêmes. Pour dire que, si depuis 60 ans nous avions éduqué notre peuple à la construction des outils de son propre progrès, nous serions à mille lieux d’afficher des sourires banania au Groupe Consultatif de Paris.
Notre opposition à la politique du Président Macky Sall prend racine sur ces questions de fond. Elle n’a rien de personnel. Elle surgit d’une haute idée que nous avons de notre pays, de son Histoire, de ses Résistants, défaits au plan militaire, mais dont le sang irrigue nos rêves de grandeur. Nous sommes et restons opposés à la capitulation ! Ce qui est particulièrement navrant, pour ceux de ma génération, c’est de voir ce qu’il est advenu de la Gauche sénégalaise. Notre école de vie. Celle que nous avons en partage avec le Président Sall et plusieurs autres personnalités qui se reconnaîtront. De compromis en compromissions, elle est devenue un monstre qui avale toutes sortes de couleuvres. Ses représentants les plus en vue et qui avaient enchanté notre jeunesse sont attablés au banquet de la mise à mort de l’embryon de démocratie qui faisait notre fierté. Englués dans des stratégies de survie individuelle, ils ont abdiqué au grand dam des fantassins qui ruminent encore la promesse du « Grand Soir »… Ils ont eu tort les ainés !
Ainsi, la coalition au pouvoir rassemble des prétendus communistes, des socialistes fratricides, des libéraux parricides, des erratiques, des égarés et plusieurs affairistes. Quel est le fil conducteur de cette congrégation disparate ? Que font certains autour de cette table ? Quel sens ont encore certaines références idéologiques dont les modèles authentiques ont failli ? Il fera jour…
En attendant, et dans la dernière ligne droite menant à l’élection présidentielle du 24 février 2019, il nous faut prendre la pleine mesure de la gravité de la situation de notre pays, de notre Continent. Devant l’imminence et la prolifération de ressources minières et naturelles importantes, l’issue de ce scrutin est vitale pour la survie de notre Nation et l’avenir de nos enfants. Ne jouons pas avec les mots sur ces questions essentielles. Il est impératif, pour chacun et chacune d’entre nous, de prendre conscience des véritables enjeux de l’heure. Il est temps de nous rassembler et de mobiliser toutes nos forces autour d’un Pacte Intergénérationnel de Salut Public (P.I.S.P) dont les termes devraient tourner autour des enjeux de souveraineté politique et économique véritable, de restauration des principes de bonne gouvernance et d’édification d’une Nouvelle République. Une entité qui ne serait pas qu’un simple clonage de la République française, sans son génie. Le temps de la maturité et de la responsabilité est venu. Nous ne pouvons plus continuer à simuler. Il nous faut reconnaître que depuis les événements de 1962, précisément, le train Sénégal a déraillé et qu’il serait temps de le remettre sur les rails du progrès dans la dignité et l’indépendance. Sous ce rapport, et dans l’urgence, de nouvelles alliances non circonstancielles, doivent voir le jour. Car à la vérité, la plupart des alliances électorales qui ont été mises en œuvre dans notre pays ont été fondées sur la duperie. Elles n’ont pas survécu aux appétits qui surviennent à l’accession au pouvoir. Lorsqu’elles durent, elles sont cimentées par une communauté d’intérêts particuliers, le partage de privilèges et de prébendes. Avec comme prix à payer pour certains, le reniement ou un silence honteux.
Le Pacte Intergénérationnel de Salut public devra se fonder sur une prise de conscience et de responsabilité historique. Il devra rassembler des hommes et des femmes de mission, déterminés à infléchir, notablement et de manière irréversible, la trajectoire de progrès de notre peuple. Ces hommes et ces femmes devront mettre en avant les intérêts supérieurs de notre nation, maitriser leurs egos et leurs ambitions à court terme pour investir pour l’avenir de nos enfants. La survie de la nation du Sénégal dans une Afrique Nouvelle décomplexée et conquérante est à ce prix. A quelques jours de la nouvelle année, ayons le Sénégal à cœur et le reste suivra !
Amadou Tidiane WONE