« J’étais sur un piédestal à tel point que j’attirais tous les regards quand je mettais le nez dehors. J’étais très belle et aimée de tous, de par mon apparence », selon Adja*.
Cette belle apparence, notre interlocutrice qui a souhaité conserver l’anonymat le devait au « xessal » ou dépigmentation qui est une pratique très répandue au sein de la société sénégalaise, en particulier chez les femmes. Elle est toujours d’actualité. « À l’approche des cérémonies familiales, des femmes jettent leur dévolu sur les produits éclaircissants de la peau pour paraître belle le jour-j », explique Aïcha Rassoul qui s’active dans la vente de produits dépigmentants. « C’est presque une drogue chez certaines. En ce qui me concerne, je ne m’en cache pas. J’aime éclaircir ma peau. En plus, cela rend admirable la femme », justifie de son coté Bijou Diop.
« Il s’agit plutôt d’un phénomène de mode », modère le Dr Ibrahima Ndiaye. « On est plutôt en face d’une compétition entre femmes, chacune cherchant à démontrer qu’elle dispose de plus de moyens pour arriver à ses fins. Ce qui fait que certains tombent dans l’excès avec des conséquences regrettables pour la santé », étudie le professeur Djiby Diakhaté.
Le sociologue n’a pas tort. Le xessal n’est pas sans danger pour ses pratiquant(e)s.
Elle nous accueille dans un cadre sobre. Adja couvre tout son corps, excepté son visage, ses mains et ses pieds, de peur de laisser une partie à la merci de regards moqueurs. « Je traverse des moments très difficiles. Je ne peux plus sortir sans couvrir tout mon corps. Pourtant je ne suis pas d’un âge avancé. Mais je n’ai pas le choix », pleure-t-elle. Ce qui peut être considéré comme une décoloration n’a pas donné les effets escomptés.
Au lieu d’une beauté physique, celle qui a renoncé à la couleur originelle de sa peau n’a récolté que déception. « Aujourd’hui tout ce que je gagne, je le dépense dans le traitement de mon corps », se résigne-t-elle. À force de s’adonner à la dépigmentation, on risque d’abîmer sa peau du fait de la forte présence de l’hydroquinone dans les produits utilisés. « Beaucoup de femmes n’avaient pas compris qu’on ne devait pas appliquer des produits contenant de l’hydroquinone et sortir sous un soleil ardent, parce qu’ils les exposent à une phototoxicité cutanée. Quant au corticoïde, il provoque beaucoup de méfaits dont le plus déplorable est l’atrophie cutanée. C’est ce qui fait que des femmes paraissent plus âgées qu’elles ne le sont », selon le dermatologue Dr Ibrahima Ndiaye.
Les conséquences peuvent être plus désastreuses avec l’apparition de pathologies comme le diabète, l’hypertension artérielle. « Mais la maladie la plus grave, c’est le trouble psychique et le mal être que cela peut susciter. Les dépigmentées ne sont jamais satisfaites et se posent constamment des questions sur l’efficacité des produits utilisés. Elles en perdent même le sommeil. Le miroir devient leur compagnon de tous les jours », diagnostique le sociologue Djiby Diakhaté.
Ce mal-être peut même être projeté sur l’entourage des utilisatrices des produits éclaircissants. Ce qui, selon le sociologue, est souvent à l’origine de conflits évitables au début. Le malheur, c’est qu’il n’y a pas un début de renoncement qui pointe à l’horizon. Les laboratoires s’y sont invités pour faire croire aux inconditionnelles qu’il ne s’agit plus de se débarrasser de sa peau noire mais de la rendre plus éclatante. C’en est presque devenu banal au point de répandre la dépigmentation dans des couches insoupçonnées. « Aujourd’hui, force est de constater que des hommes se rincent la peau. Plus grave, on le constate chez des nouveau-nés sous prétexte qu’ils doivent être présentables le jour de leur baptême », déplore le professeur Djiby Diakhaté.
Cette manie de faire du « xessal » une nécessité a créé de nouveaux métiers. Des femmes qui se sont autoproclamées prépareuses de produits éclaircissants à moindre risque veulent redonner le sourire aux « victimes ». En leur proposant d’autres solutions moins dangereuses.
Se pose à présent la question de la légitimité de ces « réparatrices » de la peau. « Il n’appartient pas à ces soi-disant chimistes de réparer quoi que ce soit. Le seul interlocuteur légitime reste le dermatologue », prévient le spécialiste. « Le dermatologue fera un inventaire et un bilan pour faire l’état des lieux des dégâts causés par la dépigmentation. La femme sera ainsi informée sur les causes, mais sera surtout accompagnée dans la suite pour des solutions alternatives », renchérit le Dr Ibrahima Ndiaye.
À son avis, les « chimistes autoproclamées » qui se présentent comme des réparatrices de tort appartiennent au « cercle vicieux » qui maintient en otage les femmes éprises de la dépigmentation. Il fait aussi un plaidoyer contre la vente libre des corticoïdes. Un combat à des années-lumière de son épilogue tout comme celui mené depuis des années contre le « xessal ».