A Ngaye-Mékhé, l’artisanat est vie. Plus de 200 ateliers de cordonnerie foisonnent dans cette localité logée au cœur du Cayor, à une vingtaine de kilomètres de la très religieuse Tivaouane. Ici, les artisans sont ralentis par l’importation et la mauvaise qualité du cuir, ainsi que le manque de formation et les mille problèmes liés à l’exportation et à l’écoulement des produits. Reportage !
Assis à califourchon, poignet plié, paume vers le sol, Assane Kassé regarde à la dérobée, un tas de mocassins posés sur une planche. Autour de lui, des pelures et des sandales sont déposées pêle-mêle. Le quinqua, cheveux poivre-sel, est vêtu d’un T-shirt bleu sur un pantalon kaki. Le président de l’Union des artisans de métier et environ (Uame) est rompu de fatigue. Le regard las, le front plissé, il embraie, la voix chevrotante et plaintive : «En 2014, le président de la République était venu ici, dans le cadre de la journée nationale de l’artisanat. A l’occasion, il nous avait promis la construction du Centre d’exposition et de commercialisation artisanale (Ceca). C’est chose faite. Même si des équipements, d’une valeur de 150 millions FCfa, sont déjà disponibles, le centre n’est pas entièrement équipé. Pis, nous ne savons pas comment fonctionnent certaines machines.» Défaut de formation ? La voix des artisans de Mékhé acquiesce.
Plus Assane Kassé livre les grandes misères de ses camarades d’infortune, plus la déception et la colère montent dans son cœur. Et sa charge d’émotion ne trouve pas un vocabulaire taillé à sa mesure. Mais, il reste zen. «Nous n’avons pas le bon cuir. Celui que nous utilisons est importé et n’est pas de bonne qualité. Ce sont en réalité des déchets de cuir qu’on nous vend, à des prix exorbitants. En dehors de cela, il y a des machines en mode laser que nous ne savons pas manier», déplore M. Kassé.
Ngaye-Mékhé. Un nom anodin, sorti de l’anonymat grâce à l’artisanat. Nichée à une vingtaine de kilomètres du département de Tivaouane, région de Thiès, cette localité est devenue, au fil du temps, la capitale de l’artisanat sénégalais. Les centaines de cantines de cordonnerie et métiers dérivés ont fait de cette terre, un lieu privilégié du «Made in Cayor». Cependant, malgré le mirifique pactole généré par an (voir encadré), les cordonniers de la zone font face à d’énormes problèmes. L’importation et la mauvaise qualité du cuir à coups de millions FCfa, les difficultés liées à l’écoulement et à l’exportation, sans oublier le manque de formation des jeunes, tout y passe. Une kyrielle d’obstacles entravant manifestement le secteur.
«Plus de 200 ateliers de cordonnerie, 1 600 paires de chaussures par jour»
A Ngaye-Mékhé, 200 ateliers de cordonnerie pullulent et peuvent confectionner environ 1 600 paires de chaussures par jour, selon le président de l’Union des artisans de métier et environs (Uame). Assane Kassé : «Outre la formation, nous demandons à l’Etat de nous construire une usine de tannerie à Touba ou Daara Jolof. Ce qui nous permettra, sans doute, d’avoir du cuir de qualité et éviter de bouter hors de nos frontières ces milliards de francs Cfa. Nous avons le savoir-faire. Néanmoins, nous ne pouvons pas importer nos produits. Alors que les étrangers, notamment les Américains, les préfèrent.»
L’homme au physique gringalet ajoute : «L’autorité compétente ne nous aide pas dans ce sens. Il n’y a aucun artisan d’ici qui traverse nos frontières pour aller vendre ses produits à l’étranger. Le centre a des machines qui, depuis 3 ans, ne fonctionnent pas. Une Ong italienne nous a aussi offert des machines. Mais sans formation, nous ne pouvons les utiliser. Même si une trentaine de jeunes, dont 15 de la ville, ont été formés en Europe.» Et pour sonner la grande révolution de l’artisanat sénégalais, conseille Assane Kassé, les autorités compétentes, en particulier le Cosec, devront permettre aux professionnels du secteur d’exporter leurs produits et surtout participer aux grandes foires internationales. Afin de vendre la destination «Made in Sénégal».
A Mékhé, chaque cantine a pignon sur rue et est troublée par le bourdonnement régulier des machines. Aujourd’hui, ils sont des centaines et des centaines de jeunes de la ville ou d’ailleurs à s’adonner au métier de cordonnerie dans la zone. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils arrivent à subvenir à leurs besoins. Grâce aux commandes des quelques rares passagers. Ou des commerçants des autres localités du pays, qui viennent s’approvisionner sur place.
«Nous rendons grâce. Mais depuis trois longues années, nous peinons à mettre la main sur les 5 millions de FCfa du Fonds de roulement «détenus» par Seynabou Gaye Touré (présidente du Conseil départemental de Tivaouane, Ndlr). Nous avons toqué à toutes les portes et rencontré notre ministre de tutelle, le Directeur de l’artisanat, le Préfet et le maire de la ville. J’ai même écrit trois correspondances au président de la République pour solliciter une audience. En vain. Que le Président sache que nous avons juste bénéficié des 45 millions FCfa en équipements sur les 50 offerts par la Cosec. Et n’avons pu recouvrer les 5 millions restants constituant notre Fonds de roulement», accuse M. Kassé. Qui a, aujourd’hui, le lourd défi de se poser en homme providentiel, au-dessus des singularités, pour défendre l’intérêt général des artisans de Ngaye-Mékhé.