LES PIÈGES DE LA PAUVRETÉ

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A vue d’œil les marchés respirent. Sorgho, mil, millet, maïs, courges et féculents inondent les étals au grand bonheur des consommateurs qui retrouvent le sourire grâce à la variété des choix offerts. A des prix raisonnables. Les légumes verts, les fruits et les légumineuses complètent la gamme des produits du cru provenant du pays profond.

L’hivernage a vécu. Toutefois, l’inégale répartition des pluies affecte l’intérieur des régions de manière disproportionnée. Les précipitations ne constituent pas encore un baromètre d’appréciation des performances agricoles. Mais, les récoltes obtenues reflètent l’efficacité des pratiques culturales. Le centre plonge. L’est s’en sort mieux. Le nord flanche parce que mal en point. Tandis que le sud se maintient. Pour sa part, l’ouest résiste avec des variétés hâtives que le marché plébiscite.

Toutes productions confondues, le Sénégal a-t-il tiré profit de la pluviométrie de la présente campagne ? Les récoltes ont-elles répondu à l’attente des paysans ? Y aura-t-il un déficit céréalier ? Quelle stratégie pour dissuader le bradage ? La période de soudure a été aussi courte que la saison des pluies mais le besoin de disposer de revenus a très vite poussé nombre de paysans à anticiper la vente de leurs céréales. L’incertitude persiste à ce sujet. Elle est même à son comble.

De toute évidence le problème des prix des céréales va se poser à termes. Commerçants et intermédiaires sillonnent les pistes pour se rapprocher des points de collecte dans l’optique de faire main basse sur le labeur des paysans esseulés. Ces lieux de négoces attirent davantage du fait des facilités de déplacement et d’écoulement. Dans ce rapport inégal, les transactions se concluent au détriment des paysans harcelés de toutes parts par les créanciers et les pressions de toutes sortes. Qui disait que l’abondance favorise le ruissellement ? A l’arrivée, un petit groupe s’enrichit en appauvrissant les plus faibles happés par les besoins.

Ce tableau, guère reluisant, le ministre de l’Agriculture, Moussa Baldé, le connaît du bout des doigts. A l’entame de l’hivernage, il s’était rendu à l’intérieur du pays pour apprécier l’état de préparation de la campagne agricole (semence, matériel, intrants, superficies emblavées, degré d’engagement des pays, prévision météorologique). S’il n’a pas perdu le fil du sujet retournera-t-il pour sentir battre le pouls des profondeurs dès lors que la commercialisation est en cours ?

Certains acteurs du monde rural prennent le large. Quand d’autres, notamment des citadins empruntent le chemin inverse et s’emparent des terres. Le pays s’use devant ce ballet incessant et le silence médusé des pouvoirs publics. Une ascension de l’inégalité s’observe cependant à l’endroit des femmes (du monde rural, principalement).

La pression sociale s’exerce à outrance sur les femmes pour les cantonner aux tâches domestiques dans les foyers. L’absence de clairvoyance des pouvoirs publics confine les femmes dans l’inactivité avec un risque accru de dépendance. Toutes les inégalités sociales découlent de ces mauvais choix. Les choses peuvent néanmoins s’améliorer si l’Etat se montre déterminé à investir davantage dans la population.

Elles réclament plus de terres à exploiter. Elles en obtiennent très peu au cours des délibérations des Conseils ruraux majoritairement dominés par les agriculteurs, jaloux de disposer, par le foncier, des attributs de puissance et de jouissance. En jetant leur dévolu sur l’acquisition de terres qu’elles convoitent tant, les femmes livrent un combat que les hommes soutiennent du bout des lèvres. Cette réticence du sexe fort ne s’explique pas.

Car, l’accès des femmes à la terre ne signifie pas un renversement de situation. En effet, ce sentiment d’inquiétude habite les agriculteurs. Ils ont peur de l’avenir surtout lorsque le dynamisme décelé chez les femmes contraste avec le manque d’audace des hommes. Elles prennent des risques et créent un environnement favorable à l’éclosion d’opportunités de financement structuré.

En réponse à ce nouvel élan, la Banque Africaine de Développement (BAD) a initié des formules d’allocations de ressources dédiées aux femmes et aux jeunes qui veulent travailler la terre. L’engouement suscité emballe déjà de larges secteurs de la finance persuadés que la créativité, la productivité et les interactions sont la source des richesses de demain.

Les banques commerciales rechignent à accompagner ce mouvement. Comme toujours, elles invoquent la structure des coûts pour justifier leur approche prudentielle qui limite leur périmètre d’intervention. Vieille rengaine. Preuve par neuf que les banques classiques s’adaptent mal au contexte de prospérité partagée résultant d’une croissance inclusive. L’économie a changé d’échelle. Elle se dématérialise à mesure que le numérique se développe.

L’échiquier bancaire sénégalais compte près de vingt établissements qui, à l’exception d’un ou de deux, se détournent ostensiblement des acteurs de plateforme. Dans leur écrasante majorité, ces banques sont des filiales de grands groupes bancaires animés par la logique de rapatriement des bénéfices et non par une réinjection des plus-values dans le tissu économique.

L’arrivée massive de jeunes et de femmes dans des secteurs à fort potentiel de croissance correspond à une évolution des mentalités de plus en plus portées vers des actions collectives qui deviennent la règle plutôt que l’exception. Les progrès technologiques et les innovations favorisent une organisation sociale impliquant toutes les forces sans exclusive.

Le Sénégal, compte tenu de son rôle avant-gardiste, doit repenser ses réformes agraires et foncières. Le but à poursuivre consiste à inclure des approches de contingentements face aux rigidités pour améliorer le sort de millions de femmes qui aspirent à un mieux être, de surcroît à leur portée. Un rôle plus accru des femmes, une fois la terre acquise, donne un coup de fouet à l’économie parce qu’elles génèrent des actifs productifs qu’aucune administration fiscale ne pourrait ignorer.

L’Etat du Sénégal a l’obligation de prêter attention à ces segments (jeunes et femmes) de la société jusque-là ignorés et considérés comme des couches vulnérables. Quand il se dit que la pauvreté se féminise à outrance, n’est-il pas tout autant judicieux de relever dans le même temps l’indifférence masculine qui frise le mépris ? A ceux et celles qui estiment n’avoir pas de voix au chapitre, le chemin de rupture semble proche.

 

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